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Politique

Instance de dialogue : la grand-messe de l’État avec l’islam

Rédigé par Mérième Alaoui et Huê Trinh Nguyên | Mercredi 17 Juin 2015 à 07:05

           

La journée inaugurale de l’instance de dialogue avec l’islam s’est tenue lundi 15 juin et a réuni plus de 150 personnalités musulmanes venues de tout le territoire autour du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, en présence de Manuel Valls. Une journée rythmée par des discours et quatre ateliers qui se voulaient concrets. Reportage.



Pour Manuel Valls, il s’agit, à travers l’instance de dialogue, de « faire jaillir au grand jour la réalité de l’islam en France », afin de « mener le combat des consciences », car « l’islam est en France pour y rester ». © Saphirnews
Pour Manuel Valls, il s’agit, à travers l’instance de dialogue, de « faire jaillir au grand jour la réalité de l’islam en France », afin de « mener le combat des consciences », car « l’islam est en France pour y rester ». © Saphirnews
Une première historique. Bernard Cazeneuve l’avait annoncé aux lendemains de « Charlie » et préparé avec les préfets et les acteurs locaux en région durant ce premier semestre. Il fallait résolument établir un dialogue institutionnel entre l’État et les forces vives de l’islam telle « l’instance qui existe déjà avec les catholiques, voulue et créée par Lionel Jospin », selon les mots de Manuel Valls, « il est vrai avec beaucoup moins de monde »

Depuis lundi, au ministère de l’Intérieur, c’est chose faite. L’instance de dialogue avec l’islam est née. Les rencontres annoncées à raison d’une ou de deux par an sont lancées. Pour les musulmans, la première grande question face à cette nouveauté est la nomination de ces porte-voix censés être représentatifs non pas des grandes fédérations ‒ reproche fait à la composition du Conseil français du culte musulman (CFCM) ‒ mais de la diversité de l’islam de France.

Parmi les femmes invitées, Latifa Ibn Ziaten, présidente d’Imad-ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix, une association qu’elle a créée après le meurtre de son fils, en vue d’aider les jeunes des quartiers et de promouvoir la laïcité et l’interreligieux. © Saphirnews
Parmi les femmes invitées, Latifa Ibn Ziaten, présidente d’Imad-ibn-Ziaten pour la jeunesse et pour la paix, une association qu’elle a créée après le meurtre de son fils, en vue d’aider les jeunes des quartiers et de promouvoir la laïcité et l’interreligieux. © Saphirnews

Moins d’une vingtaine de femmes

Venus de toute la France, métropolitaine comme d’outre-mer, ils sont plus de 150 participants, dont moins d’une vingtaine de femmes. Ces dernières sont donc largement sous-représentées, la faute revenant non pas au choix du ministère mais à la faible appétence des musulmans à faire émerger des figures féminines parmi ses élites.

On note la présence de Latifa Ibn Ziaten, chaleureusement saluée par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur, mais aussi celle de femmes moins médiatisées : plusieurs présidentes ou vice-présidentes d’associations (Gironde, Rouen, Cergy, Yerres…), des membres d’établissements de formation (Institut des hautes études islamiques, collège Ibn Khaldoun …), la sociologue Fatiha Ajbli, ancienne membre de la Ligue française de la femme musulmane, et de jeunes conférencières comme Ipek Kilinc et Emine Mutlu du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF).

Pendant qu’il donnait une interview, Hassen Chalghoumi, de la mosquée de Drancy, a été pris à partie par Anas Saghrouni, président d’EMF, l’accusant d’être « une honte pour la communauté musulmane ». © Saphirnews
Pendant qu’il donnait une interview, Hassen Chalghoumi, de la mosquée de Drancy, a été pris à partie par Anas Saghrouni, président d’EMF, l’accusant d’être « une honte pour la communauté musulmane ». © Saphirnews
Outre les membres du CFCM et les présidents de ses antennes régionales (CRCM) invités d’emblée, la gent masculine est majoritairement composée de recteurs, de présidents de mosquées et d’imams venus de toutes les régions de France ainsi que d’aumôniers. Les non-religieux, pour leur part, n’atteignent pas la dizaine : Rachid Lahlou (Secours islamique France), Ghaleb Bencheikh (Religions pour la paix), Sami Debah (Collectif contre l’islamophobie en France), Abdelhak Sahli (Scouts musulmans de France), Ali Rahni (Rencontre et dialogue Roubaix), Anas Saghrouni (Etudiants musulmans de France), Bruno Guiderdoni (Institut français de civilisation musulmane)…

Quant à la présence du très controversé Hassen Chalghoumi ‒ pour sa surexposition médiatique inversement proportionnelle à sa représentativité ‒, bien que momentanément chahutée par Anas Saghrouni au moment où les caméras et micros se tendaient vers l’imam de Drancy, elle est diluée dans le large panel des musulmans de France, qui, pour beaucoup, viennent pour la première fois dans l’antre du ministère de l’Intérieur.

« Mener le combat des consciences »

Tous sont rassemblés place Beauvau pour « un moment important pour ne pas dire déterminant », selon le Premier ministre dans son discours d’ouverture. « Cette instance de dialogue est là pour créer un cap de dialogue. Elle n’est pas là pour forcer à la décision, pour contraindre », précise Manuel Valls. Du dialogue sans s’interdire de « dire la vérité ».

L’instance n’a pas l’ambition, affichée du moins, de remplacer le si critiqué CFCM, mais au contraire de l’élargir. Manuel Valls déclare toutefois que « la franchise nécessaire, c’est de reconnaître les limites du CFCM non pas que les hommes ont failli, c’est que la réalité et la complexité de l’islam, nous devons être capable de l’appréhender. On ne peut pas traiter ces problèmes uniquement avec une seule organisation, il fallait donc élargir cette capacité à dialoguer ».

Plus de 150 personnalités musulmanes étaient présents à la première réunion de l’instance de dialogue avec l’islam. © Saphirnews
Plus de 150 personnalités musulmanes étaient présents à la première réunion de l’instance de dialogue avec l’islam. © Saphirnews
Une critique qui n’est pas développée par Dalil Boubakeur, lequel achèvera son mandat de président du CFCM fin juin, se contentant de remercier les autorités pour la mise en place de l’instance de dialogue, ravi de trouver une occasion d’« exprimer notre malaise face aux amalgames, nos incompréhensions face au bouillonnement d’aprioris ».

Contre « les rejets d’une partie de nos concitoyens, les amalgames dont vous êtes victimes », il faut « mener le combat des consciences », clame le Premier ministre, affirmant que « l’islam français n’est pas lié au wahhabisme, l’islam français n’est pas lié au salafisme, soyons attentifs à cela ».

Mais « l’islam suscite aussi une inquiétude », estime-t-il en évoquant, par un détour bref dans la géopolitique, « la place qu’ont pris des mouvements qui sont inquiétants à l’échelle mondiale comme les Frères musulmans ou les salafistes ». Une petite phrase ‒ qui rappelle le tacle de février dernier ‒ reçue sans sourciller par la quarantaine de membres présents affiliés à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans.

« Pas de théologie, mais avancer avec vous »

Mais place aux ateliers de travail. Il s’agit non « pas de faire de la théologie (…) ni de régler l’ensemble des problèmes », mais « de privilégier les petits progrès, d’avancer avec vous, plutôt que de privilégier les grandes solutions et les grands discours », prévient Manuel Valls.

Et Dalil Boubakeur d’annoncer les thèmes des quatre ateliers qui traduisent les principales préoccupations des Français de confession musulmane ‒ telles qu’elles ont été remontées à la suite des réunions organisées en régions par les préfets où 5 000 personnes ont été conviées ‒ : sécurité des lieux de culte et image de l’islam ; construction et gestion des lieux de culte ; formation et statuts des aumôniers et des cadres religieux ; pratiques rituelles (halal, hajj, Aïd, carrés musulmans…).

Par on ne sait quel arbitrage, certains participants ne se sont pas forcément trouvés dans la thématique dans laquelle ils s’étaient préalablement inscrits. Mais qu’importe, pour la plupart des invités, l’essentiel est de participer à cette vaste opération de mise en commun de desiderata, d’expériences de terrain et de solutions à proposer.

À chaque atelier participait également une quarantaine de personnalités représentant des institutions : la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA), la Direction générale de la police nationale (DGPN) s’agissant de la sécurité des mosquées ; le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour l’image de l’islam ; l’Association des maires de France (AMF) concernant la construction des lieux de culte… Abdennour Bidar, chargé de mission laïcité au sein du ministère de l’Éducation, et Gilles Kepel, politologue, sont également présents.

Un satisfecit

Au sortir des ateliers en fin de matinée, c’est le satisfecit général. Bien que chacun n’ait pu bien évidemment s’exprimer, c’est le sentiment d’avoir été écoutés qui a prévalu, l’impression d’une réelle volonté d’engagement de l’État qui a émergé. « J’espère que cette réunion ne s’arrêtera pas là et que d’autres auront lieu pour faire avancer les dossiers », s’enthousiasme Mohammed Minta, imam de la mosquée de Décines, président de Zakat France et enseignant au lycée al-Kindi. « Nous sommes en train de cheminer vers quelque chose de durable qui prend la communauté musulmane, les Français de confession musulmane dans sa globalité », se réjouit le président de l’UOIF Amar Lasfar.

Toujours est-il qu’à cette première réunion de l’instance de dialogue seuls ont été conviés des musulmans pratiquants, qui, si l’on en croit les statistiques de l’IFOP, ne forment qu’une minorité des Français à référence musulmane, alors que c’est bien l’ensemble des musulmans, pratiquants ou non, qui pâtissent de l’image dégradée de l’islam. Pour sa part, « je crois qu’on n’a jamais eu un aussi bon ministre de l’Intérieur en charge des cultes », souffle à demi-mot Abdelwahab Bakli, multicasquette ayant bourlingué sur le terrain depuis des années et aujourd’hui membre de l’association Action Espoir à Saint-Étienne. « J’ai pour vous un respect qui doit se dire chaque jour avec force », dira Bernard Cazeneuve, l’après-midi, dans son discours de clôture. Un respect partagé par une large majorité d'invités pour qui l'instance de dialogue avec l'islam est l'opportunité d'une reconnaissance institutionnelle qu'ils n'atteindront pas autrement.





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