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Société

Latifa Ibn Ziaten : même sans Merah, « je tiens à un procès »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 6 Mai 2013 à 06:00

           

Le 11 mars 2012, la vie de Latifa Ibn Ziaten a basculé. Mohamed Merah venait d’abattre son fils Imad, un jeune militaire de 30 ans. Si ce drame marquera à jamais cette mère endeuillée, elle a choisi de venir en aide aux jeunes désœuvrés pour les empêcher d’emprunter le même chemin que Mohamed Merah, à travers son association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix. Dans son ouvrage « Mort pour la France », Latifa Ibn Ziaten évoque ce combat qu’elle s’est fixée et son parcours depuis la mort de son fils. Musulmane pratiquante, cette femme d’origine marocaine revient également sur son intégration en France et l’éducation qu’elle a donné à ses cinq enfants. Entretien.



Latifa Ibn Ziaten : même sans Merah, « je tiens à un procès »

Saphirnews : Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire l’ouvrage « Mort pour la France » ?

Latifa Ibn Ziaten : Après le drame, j’avais envie de parler. J’ai commencé à faire des enregistrements et ensuite on m’a fait des propositions pour écrire un livre. J’avais vraiment besoin de parler.

Dans le livre, vous délivrez beaucoup de messages : aux parents pour l’éducation de leurs enfants, aux jeunes musulmans pour qu’ils se sentent à leur place dans la société française. Quel message principal souhaiteriez-vous que le lecteur garde de votre livre ?

Latifa Ibn Ziaten : S'il ne faudrait retenir qu’un message, ce serait celui du vivre-ensemble et de la paix.

Dans votre livre, il y a un passage émouvant dans lequel vous racontez votre rencontre avec la mère d’une jeune tué, fin septembre 2012, à Echirolles lors d’une bagarre entre jeunes…

Latifa Ibn Ziaten : Oui. Il est important d’aller vers les familles. Dans la douleur, on a besoin d’être entouré. Moi, j’ai été mal entourée, je l’ai mal vécue. Je ne veux pas qu’une autre personne vive la même chose, cela me touche.

Vous estimez avoir été mal entourée ?

Latifa Ibn Ziaten : Oui. Comme je le raconte dans le livre, la police nous a humilié lors de l’interrogatoire (après le décès d’Imad, la police avait dans un premier temps sous-entendu qu’il était un délinquant, ndlr). Il a fallu ensuite que je mène un autre combat pour qu’Imad soit reconnu « Mort pour la France ». Ce n'est pas un combat facile et il prend du temps. Il faut taper à toutes les portes, c’est quelque chose de trop dur (à faire). J’ai gagné ce combat avec fierté et tristesse en même temps. Ça me fait mal de voir la légion d’honneur d’Imad devant moi.

Vous avez eu le courage de poursuivre un autre combat avec votre association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix. Parlez nous de cette structure et de vos actions.

Latifa Ibn Ziaten : Il y a une dizaine de personnes qui aident l’association et 450 adhérents. Actuellement, je suis en Corse. J'ai pu rencontrer des jeunes dans un lycée. Tout s'est très bien passé. Je délivre mon témoignage lors de rencontres et je vois qu’il passe. Parfois, certains pleurent. Je veux offrir de l’écoute aux jeunes, voir plus de lumières dans les cités fermés. Les portes doivent s’ouvrir pour que les jeunes soient bien dans leur peau, pour qu’ils sachent qui ils sont. Mais ce n’est pas facile, quand un jeune vous dit : « Aidez-moi ! » Il faut aussi expliquer les règles de tolérance et de laïcité.

Et la religion dans tout ça ? Comment vous a-t-elle aidée à surmonter cette épreuve ?

Latifa Ibn Ziaten : Dans notre association, il n’est pas question de religion. Je ne suis pas imam. Je peux conseiller uniquement sur la base comme la prière, qui est personnel. Il n’y a pas besoin d’imposer une religion. Etre musulman, c’est être tolérant. Qu’importe l’endroit où l’on vit, il faut respecter les règles du pays. Ici, il faut respecter les règles de laïcité et de la République.

A Bastia, je suis sur le point de rencontrer des élèves d'une école de l'association cultuelle de la ville, qui apprennent à lire et à écrire l'arabe. Je veux leur parler de la tolérance et de la paix. Leur dire que l'islam, ce n'est pas Merah mais que c'est la tolérance et le vivre ensemble.

En tant que croyante, la foi, la force et savoir pardonner m'aident. Je ne suis pas une femme de haine mais de paix.

Dans votre livre, vous parlez de votre intégration en France...

Latifa Ibn Ziaten : Mon intégration en France s’est faite sans aucune difficulté. Je n’ai senti une différence qu’au moment du drame quand la police nous a humilié.

Pour la première fois de votre vie, vous avez senti que l’on vous a traité ainsi parce que vous êtes Arabes ?

Latifa Ibn Ziaten : Oui, mais tout le monde n’est pas comme cela. Il y a des personnes moins intelligentes, c’est tout. Il (le commissaire, ndlr) a voulu nous faire mal. Bien sûr, ça blesse mais j’ai réussi à me relever en combattant avec mon arme qui est la paix.

Avez-vous des nouvelles de l’enquête sur Mohamed Merah ? Etes-vous régulièrement tenus au courant des avancements de l’enquête ?

Latifa Ibn Ziaten : L’enquête avance. Le patron du Raid vient d’être remercié (le 12 avril, ndlr). Un jour, nous aurons la lumière sur tous les meurtres de Mohamed Merah.

Mais avez-vous le sentiment que l’on vous cache des choses comme le soutient la mère d'une autre victime de Merah ?

Latifa Ibn Ziaten : Non, il faut faire confiance à la justice. Si on a un doute, c’est grave. C’est important de faire confiance. La vérité éclatera un jour ou l’autre. Bien sûr, on espère le plus tôt possible. Dans l’attente, on souffre. A chaque fois qu’on parle de l’affaire, la douleur resurgit. Il est impossible de faire le deuil de son fils. C’est une souffrance que l’on portera à vie mais je tiens à un procès. Je pense au frère de Mohamed Merah (Abdelkader Merah, ndlr). S'il est en prison, ce n'est pas pour rien. Et apparemment, Mohamed Merah n'était pas seul lors du meurtre de mon fils. Il a sûrement eu un ou des complices mais je laisse l'enquête se faire.

Dans votre livre, vous remerciez les autorités marocaines de vous avoir soutenu. Pourquoi ?

Latifa Ibn Ziaten : Le Maroc est un grand sauveur pour notre famille. Je n’osais pas appeler le Maroc car mon fils combattait pour la France, j’étais perdue. Un ami m’a conseillé d’appeler le Maroc et le Maroc m’a répondu. Le Maroc n’oublie pas ses enfants. Je dis souvent que le Maroc est ma mère et la France est mon père. La mère qui vous a mis au monde ne vous oublie jamais. C’est peut-être en m’entendant dire cela qu’Imad a choisi d’être enterré là-bas. Il a voulu être avec sa mère.

Mort pour la France
Mort pour la France

Vous dites également avoir demandé une autorisation pour obtenir le statut de visiteuse de prison. Avez-vous obtenu une réponse ?

Latifa Ibn Ziaten : Oui, ma demande a été acceptée pour la ville de Marseille. J’attends ma carte. D’ici quelques mois, normalement en septembre, je pourrai visiter les prisonniers. Ils ont besoin d'écoute, parfois certains n'ont pas de visite. Je veux être présente à leurs côtés pour les écouter dans leur vie quotidienne. Mon but est le même que celui de mon association : délivrer un message de paix et dire que l'islam est une religion de tolérance.



Mort pour la France de Latifa Ibn Ziaten. Edition Flammarion. mars 2013, 268 pages, 18 €.






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