Le 25 avril dernier, un jeune musulman en prière, seul, dans une mosquée, a été frappé de 57 coups de couteau. On aurait pu espérer une parole d’apaisement. Or c’est le moment choisi par le ministre de l’Intérieur pour annoncer et présenter en conseil de Défense (sommes-nous en guerre ?) un rapport dénonçant « les visées conspirationnistes » des Frères Musulmans, destiné à alerter les Français sur la menace d’islamisation qui pèse sur le pays.
Un rapport aux effet délétères sur les musulmans
Annoncé à grands renforts d’interviews, avant même sa présentation en conseil de défense, il a fait l’objet de gros titres sensationnalistes pour créer l’angoisse d’un côté, interpellant et blessant les musulmans de l’autre côté. Ce n’est qu’un mois plus tard, le 21 mai exactement, qu’un document de 76 pages a été plus largement diffusé ; mais est-ce l’intégralité du rapport ? Entre-temps, le 4 juin, un autre musulman était abattu par balles, par un raciste islamophobe revendiqué.
Au-delà du brouhaha médiatique, le contenu du rapport est contrasté, voire contradictoire. On ne sera pas surpris qu’il présente la communauté musulmane comme une menace pour l’identité culturelle et sociale de la France. Il contient surtout des recommandations pour une plus forte surveillance de la confrérie des Frères Musulmans dont le « programme subversif » constituerait une menace d’islamisation de la France. Mais il reconnait dans le même temps que la confrérie est affaiblie aussi bien dans les pays musulmans qu’en Europe, où elle ne disposerait pas des moyens nécessaires pour déployer ses projets.
Le rapport évoque l’abandon de notre pays par les « élites musulmanes », mouvement largement documenté par trois sociologues (Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France tu l’aimes mais tu la quittes). Force est de constater qu’alors que minarets et coupoles font désormais partie du paysage français, les « musulmans » - c’est-à-dire les citoyens français de confession musulmane - sont regardés comme une catégorie sociale homogène. Essentialisés, cantonnés aux « quartiers », assimilés aux émeutes et aux attentats, accusés de « séparatisme »... Bref, objets de beaucoup de préjugés, de fantasmes et même de violences. Il y a les assassinats mais il y a aussi toutes les agressions plus ou moins violentes, toutes les insultes quotidiennes, toutes les discriminations sournoises qui ne font pas la une de l’actualité mais dont on sait - par des statistiques officielles - qu’elles ont significativement augmenté. Beaucoup de musulmans se sentent indésirables.
Au-delà du brouhaha médiatique, le contenu du rapport est contrasté, voire contradictoire. On ne sera pas surpris qu’il présente la communauté musulmane comme une menace pour l’identité culturelle et sociale de la France. Il contient surtout des recommandations pour une plus forte surveillance de la confrérie des Frères Musulmans dont le « programme subversif » constituerait une menace d’islamisation de la France. Mais il reconnait dans le même temps que la confrérie est affaiblie aussi bien dans les pays musulmans qu’en Europe, où elle ne disposerait pas des moyens nécessaires pour déployer ses projets.
Le rapport évoque l’abandon de notre pays par les « élites musulmanes », mouvement largement documenté par trois sociologues (Olivier Esteves, Alice Picard, Julien Talpin, La France tu l’aimes mais tu la quittes). Force est de constater qu’alors que minarets et coupoles font désormais partie du paysage français, les « musulmans » - c’est-à-dire les citoyens français de confession musulmane - sont regardés comme une catégorie sociale homogène. Essentialisés, cantonnés aux « quartiers », assimilés aux émeutes et aux attentats, accusés de « séparatisme »... Bref, objets de beaucoup de préjugés, de fantasmes et même de violences. Il y a les assassinats mais il y a aussi toutes les agressions plus ou moins violentes, toutes les insultes quotidiennes, toutes les discriminations sournoises qui ne font pas la une de l’actualité mais dont on sait - par des statistiques officielles - qu’elles ont significativement augmenté. Beaucoup de musulmans se sentent indésirables.
Le dialogue interreligieux a-t-il encore une place dans la République ?
Mais par ailleurs, le rapport invite à une meilleure reconnaissance de l’islam comme religion française. On ne peut que souscrire à ce second point et aux recommandations à ce sujet.
Le rapport regrette le peu d’espaces de débat où chrétiens, musulmans et juifs ont la possibilité de s’interroger mutuellement et invite à les encourager. « Pour qu’émerge une "troisième voie laïque", les croyants ont un rôle à jouer et doivent pouvoir s’engager davantage dans le débat public », est-il écrit.
C’est précisément ce que fait le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC) avec persévérance depuis 30 ans. On peut même dire avec opiniâtreté, compte tenu des événements traversés au cours de cette période.
En 1993, année de la création du GAIC, les mosquées, après avoir été longtemps confinées dans les sous-sols et les garages, commençaient à sortir de terre. C’était l’époque où l’islam en France aspirait à devenir un islam de France. Pourtant, l’état du monde, et en particulier des relations avec le monde arabe, n’était déjà pas particulièrement serein : première intifada en Palestine, guerre au Liban, début de la décennie noire en Algérie, première guerre en Irak. Depuis, le monde a connu d’autres bouleversements : le 11 septembre 2001, les attentats, les décapitations sur notre territoire même. La réalité semble avoir donné raison à Samuel Huntington et au « choc des civilisations » annoncé, qu’un grand nombre refusait à l’époque.
Le rapport regrette le peu d’espaces de débat où chrétiens, musulmans et juifs ont la possibilité de s’interroger mutuellement et invite à les encourager. « Pour qu’émerge une "troisième voie laïque", les croyants ont un rôle à jouer et doivent pouvoir s’engager davantage dans le débat public », est-il écrit.
C’est précisément ce que fait le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC) avec persévérance depuis 30 ans. On peut même dire avec opiniâtreté, compte tenu des événements traversés au cours de cette période.
En 1993, année de la création du GAIC, les mosquées, après avoir été longtemps confinées dans les sous-sols et les garages, commençaient à sortir de terre. C’était l’époque où l’islam en France aspirait à devenir un islam de France. Pourtant, l’état du monde, et en particulier des relations avec le monde arabe, n’était déjà pas particulièrement serein : première intifada en Palestine, guerre au Liban, début de la décennie noire en Algérie, première guerre en Irak. Depuis, le monde a connu d’autres bouleversements : le 11 septembre 2001, les attentats, les décapitations sur notre territoire même. La réalité semble avoir donné raison à Samuel Huntington et au « choc des civilisations » annoncé, qu’un grand nombre refusait à l’époque.
Une forme de résistance aux tragédies

© Deposit Photos
Conformément à sa vocation qui est de « participer à des espaces de dialogue, de rencontres et de coopération entre chrétiens et musulmans », durant ces 30 ans, le GAIC a multiplié les rencontres, que ce soit en France ou au niveau européen, soutenu par les institutions européennes jusqu’en 2009, jusqu’au jour où celles-ci, au nom de la laïcité, ont renoncé à subventionner toute manifestation à caractère religieux. Pourtant, le GAIC est indépendant de toute autorité relnon plus que ceux qui l’animent et le font vivre, ont des convictions et agissent au nom de celles-ci, qui rejoignent les valeurs de fraternité, d’égalité et de justice inscrites au cœur des institutions républicaines.
Leur amitié, leurs volontés initiales et leurs convictions, ont résisté à tous les évènements, toutes les tragédies qui ont affecté notre pays mais aussi le reste du monde, les premières n’étant que l’écho des secondes. Le GAIC et ses partenaires dont, entre autres, l’IESH de Paris représentent ces croyants engagés dans le débat public qui cherchent à favoriser des prises de position conjointes face à des réalités sociales ou des événements qui interpellent la conscience de tout croyant. Ils constituent déjà et encore cette « troisième voie laïque » que suggère le rapport. Et cela sans arrière-pensées ni de part ni d’autre comme l’insinuent les allusions à l’IESH de Paris et ses dirigeants passés et actuels.
Bien que l’IESH de Paris soit le seul établissement d’enseignement islamique privé en France à s’être vu reconnaitre le statut d’établissement d’enseignement supérieur, il lui est reproché « une recherche de respectabilité » pour mieux dissimuler sa dangerosité, et « une réalité académique en décalage avec la réalité des enseignements dispensés, lesquels relèvent plus des "sciences islamiques" que des sciences humaines ». Plus encore, son ancien directeur dont, par ailleurs, la stature intellectuelle est reconnue est présenté comme l’un des penseurs de la « stratégie d’infiltration » destinée à faire de la France un pays musulman.
Leur amitié, leurs volontés initiales et leurs convictions, ont résisté à tous les évènements, toutes les tragédies qui ont affecté notre pays mais aussi le reste du monde, les premières n’étant que l’écho des secondes. Le GAIC et ses partenaires dont, entre autres, l’IESH de Paris représentent ces croyants engagés dans le débat public qui cherchent à favoriser des prises de position conjointes face à des réalités sociales ou des événements qui interpellent la conscience de tout croyant. Ils constituent déjà et encore cette « troisième voie laïque » que suggère le rapport. Et cela sans arrière-pensées ni de part ni d’autre comme l’insinuent les allusions à l’IESH de Paris et ses dirigeants passés et actuels.
Bien que l’IESH de Paris soit le seul établissement d’enseignement islamique privé en France à s’être vu reconnaitre le statut d’établissement d’enseignement supérieur, il lui est reproché « une recherche de respectabilité » pour mieux dissimuler sa dangerosité, et « une réalité académique en décalage avec la réalité des enseignements dispensés, lesquels relèvent plus des "sciences islamiques" que des sciences humaines ». Plus encore, son ancien directeur dont, par ailleurs, la stature intellectuelle est reconnue est présenté comme l’un des penseurs de la « stratégie d’infiltration » destinée à faire de la France un pays musulman.
Quand la recherche de dialogue interreligieux des musulmans est vue comme un désir suspect
L’IESH de Paris et le GAIC ont, de longue date, noué des partenariats dans cet esprit de connaissance mutuelle et de construction de la paix entre les peuples posé par ses statuts, sans avoir à aucun moment le sentiment, pour ce dernier, d’être l’instrument d’un projet d’islamisation et encore moins d’avoir porté un discours en ce sens. Qualifier d’« entrisme » la recherche de dialogue interreligieux des musulmans, en les accusant dans le même temps de séparatisme délivre un message non seulement confus mais délétère.
Si le véritable objectif poursuivi par les instances politiques est le combat contre « l’islamisme » (qui reste à définir) et non pas contre l’islam et les musulmans, il faut que les messages soient clairs car comme l’indique pertinemment le rapport « le combat contre l’islamisme ne peut être mené sans l’adhésion de la population dans son ensemble et des Français de confession ou de culture musulmane ».
Or c’est un tout autre discours que l’on entend dans ce rapport et les conditions de sa diffusion ne font que renforcer ce message hostile. Le musulman - frériste, salafiste ou même simplement croyant - y est présenté comme une menace pour la cohésion nationale et plus largement pour la sécurité. Comment, en réponse, attendre une réaction d’« adhésion » des citoyens musulmans, dans leur grande diversité ? Tous, quelles que soient leurs convictions profondes et leur pratique, se sentent discriminés, rejetés, indésirables. En un mot, profondément blessés.
Il ne suffit pas d’énoncer un certain nombre de recommandations, souvent pertinentes comme le développement de la recherche universitaire en islamologie contemporaine, l’enseignement de l’arabe, la reconnaissance d’un Etat palestinien par exemple, pour espérer emporter l’adhésion des citoyens de confession musulmane à un combat contre l’islamisme et, bien plus largement, à la construction d’une société française diverse dans ses composantes mais pacifiée, solidaire et fraternelle.
Si le véritable objectif poursuivi par les instances politiques est le combat contre « l’islamisme » (qui reste à définir) et non pas contre l’islam et les musulmans, il faut que les messages soient clairs car comme l’indique pertinemment le rapport « le combat contre l’islamisme ne peut être mené sans l’adhésion de la population dans son ensemble et des Français de confession ou de culture musulmane ».
Or c’est un tout autre discours que l’on entend dans ce rapport et les conditions de sa diffusion ne font que renforcer ce message hostile. Le musulman - frériste, salafiste ou même simplement croyant - y est présenté comme une menace pour la cohésion nationale et plus largement pour la sécurité. Comment, en réponse, attendre une réaction d’« adhésion » des citoyens musulmans, dans leur grande diversité ? Tous, quelles que soient leurs convictions profondes et leur pratique, se sentent discriminés, rejetés, indésirables. En un mot, profondément blessés.
Il ne suffit pas d’énoncer un certain nombre de recommandations, souvent pertinentes comme le développement de la recherche universitaire en islamologie contemporaine, l’enseignement de l’arabe, la reconnaissance d’un Etat palestinien par exemple, pour espérer emporter l’adhésion des citoyens de confession musulmane à un combat contre l’islamisme et, bien plus largement, à la construction d’une société française diverse dans ses composantes mais pacifiée, solidaire et fraternelle.
Donner toute sa place à un dialogue qui débouchera sur un grand récit commun
Le GAIC est tenté de reprendre une des conclusions du rapport quand il écrit : « un nouveau discours public sera probablement nécessaire qui ne cantonne pas la République à la laïcité » et soit de nature à proposer les ferments d’une « amitié civique », reconnaissant ainsi que la laïcité ne suffit peut-être plus pour construire un grand récit qui permette de faire société tous ensemble. Nombre de non-chrétiens et de non-musulmans sont également prêts à accueillir favorablement ce propos.
Ce n’est pas en pourchassant les musulmans ou les prétendus Frères Musulmans, en fermant leurs établissements d’enseignement, quand bien même leur excellence serait reconnue, en les écartant des instances municipales et des fonctions électives, en cultivant une politique du soupçon à l’égard de leurs lieux de culte, qu’on éloignera la prétendue menace d’islamisation qui pèserait sur la France, mais en donnant toute sa place à un dialogue qui débouchera sur ce grand récit commun que nombre de citoyens - quelles que soient leur confession - aspirent à construire.
*****
Micheline Bochet-Le Milon et Ramzi Aït-Djaoud sont coprésidents du Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC).
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