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Éditorial

Rapport sur les Frères musulmans : vigilance face aux dérives

Rédigé par Saphirnews | Vendredi 23 Mai 2025

           


© Deposit Photos
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Le rapport tant attendu sur « les Frères musulmans et l’islamisme politique » est désormais public, du moins dans sa version déclassifiée. Elaboré par deux hauts fonctionnaires à la demande du gouvernement, il s’attache à évaluer la menace que feraient peser les réseaux fréristes sur « la République » et « la cohésion nationale ».

Bien que l'intention d'éclairer ces dynamiques complexes soit légitime, il est impossible de dissimuler nos préoccupations quant aux répercussions de ce rapport sur l'ensemble des musulmans. La crainte principale réside dans le risque que ce document, malgré ses tentatives de nuance, serve d'instrument d'essentialisation et de stigmatisation à l'encontre d'une composante entière de notre nation.

Les écueils de l'essentialisation et de la généralisation

En se focalisant sur des mouvances particulières et leurs idéologies, ce rapport risque de réduire la richesse et la diversité de l'islam français à quelques courants problématiques. L'islam, à l'instar de toute grande tradition spirituelle, se caractérise par sa pluralité et ses multiples interprétations vécues par des millions de nos concitoyens. Concentrer l'attention sur une vision politique minoritaire pourrait conduire à présenter cette approche comme l'essence même de la foi musulmane – une erreur profonde et une injustice manifeste.

Le danger réside également dans l'extrapolation des analyses de ce rapport à l'ensemble des citoyens de confession ou de culture musulmane. Chaque projet porté par des musulmans, chaque prise de position d'un musulman risque désormais d'être examinée à travers ce prisme déformant, suspectée a priori de participer à un « projet islamiste » ou de subir une « influence » cachée.

Un climat de défiance préoccupant

Ces mécanismes génèrent des conséquences néfastes pour l'ensemble de notre société. L'essentialisation nourrit un climat de soupçon généralisé : comment nos concitoyens musulmans, engagés paisiblement dans la vie civique, pourront-ils continuer à œuvrer sereinement si chacun de leurs actes est interprété comme le signe d'une appartenance à un projet « islamiste », « séparatiste » ou « extrémiste » ?

Le poids de cette stigmatisation constitue un frein majeur à l'engagement citoyen. Qui osera encore s'investir dans des projets associatifs, culturels, ou simplement exprimer sa foi, si cela signifie s'exposer à des amalgames susceptibles de compromettre son intégrité morale, voire physique ?

Ce type de rapport, s'il est mal interprété ou instrumentalisé, risque de renforcer les stéréotypes négatifs qui pèsent déjà sur les musulmans, alimentant défiance et incompréhension mutuelle. L'usage abusif de concepts comme « l'entrisme » ou « la dissimulation » pour (dis)qualifier toute action entreprise par des musulmans mérite une attention particulière tant ses effets sont dévastateurs. En se développant, l'imaginaire complotiste, nourrie notamment par le mythe d'une « cinquième colonne » si chère à l'extrême droite, ne peut que provoquer plus de dégâts sur le tissu social déjà bien fragilisé.

Pour l'immense majorité des musulmans qui ne se reconnaissent nullement dans l'islamisme politique, se voir collectivement associés à cette mouvance est profondément injuste et peut engendrer un sentiment de rejet. Au malaise déjà perceptible chez les Français musulmans s'ajoute un sentiment d'insécurité croissant, poussant une génération entière au repli ou à l'exil.

Un appel à la responsabilité

La lutte contre le radicalisme et l'extrémisme sous toutes ses formes doit être implacable. Les acteurs musulmans constituent les premiers remparts contre ces phénomènes qui ont, à de trop nombreuses reprises, endeuillé la France, l'Europe et le monde musulman. Mais cette lutte doit être définie avec précision, ciblée avec justesse. Il importe donc de refuser et de dénoncer l'instrumentalisation politique du présent rapport. Si ses auteurs soulèvent une menace, celle-ci ne doit pas être amplifiée pour servir des projets particuliers au détriment de la justice.

Si des structures représentent une menace avérée pour la sécurité nationale, les services de l'État ont les moyens et la responsabilité d'agir, avec fermeté et discernement, dans le cadre strict de la loi. Cette vigilance sécuritaire est légitime et nécessaire pour tous les citoyens. Cependant, cette exigence ne doit jamais servir de prétexte pour porter atteinte aux libertés publiques et à l’Etat de droit et jeter l'opprobre sur toute une composante de la société française.

Malheureusement, lorsque les questions touchent à l'islam et aux musulmans en France, nous observons trop souvent une tendance à transformer des enjeux de sécurité en débats de société clivants, qui dévoient des principes républicains fondamentaux comme la laïcité, contre une communauté particulière. La lutte contre toute dérive, d'où qu'elle vienne, doit être l'affaire de tous, et elle ne saurait justifier la mise à l’index de citoyens à raison de leur appartenance supposée ou réelle à une religion qui, in fine, menace la cohésion nationale et la sérénité dont notre pays a tant besoin.

Notre appel est un appel à la nuance et à la responsabilité dans l'interprétation et l'utilisation de ce rapport. Que ces analyses servent à informer et à guider une action publique juste et proportionnée, et non à conforter des préjugés et à alimenter la division. Les communautés musulmanes de France sont diverses et aspirent, comme tous les citoyens, à la paix, au respect et à la reconnaissance.

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