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Société

Un élu RN étale sa méconnaissance de la laïcité pour tenter d'exclure une femme musulmane d'un lieu public

Rédigé par Lina Farelli | Lundi 14 Octobre 2019 à 10:05

           


Un élu RN étale sa méconnaissance de la laïcité pour tenter d'exclure une femme musulmane d'un lieu public
Une femme musulmane, voilée, prenant son fils en pleurs dans les bras pour le consoler face à l'agression qu'elle subit d'un élu désirant l'exclure d'une enceinte démocratique : c'est l'image du week-end qui a largement circulé dans les réseaux sociaux.

Cette scène s'est déroulée lors d'une séance plénière du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, vendredi 11 octobre, à Dijon. Julien Odoul, président du groupe Rassemblement national (RN, ex-FN) local, s’en est pris à une mère d’élève venue en tant qu’accompagnatrice d'une sortie scolaire d’élèves en CM2, venus voir la mise en application de la démocratie au sein d’une institution.

La laïcité instrumentalisée au nom de la haine

« Au nom de nos principes républicains et laïcs, j’ai demandé à Marie-Guite Dufay (présidente PS de la région, ndlr) de faire enlever le voile islamique d’une accompagnatrice scolaire présente dans l’hémicycle », a clamé haut et fort Julien Odoul, suscitant la désapprobation des autres élus présents. La présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté Marie-Guite Dufay a refusé de donner suite à sa requête, ce qui a conduit les membres RN à quitter la salle contre ce qu'ils nomment une « provocation islamiste ».

Loin de vouloir en rester là, Julien Odoul a décidé de diffuser lui-même la vidéo de cette scène sur les réseaux sociaux avec, en prime, un zoom sur l'accompagnatrice, sans floutage. « Madame a tout le loisir de garder son voile dans la rue chez elle, mais pas ici, pas aujourd’hui », a-t-il estimé, témoignant ainsi d'une méconnaissance flagrante de la laïcité. En effet, aucune loi ni aucun règlement n’interdit le port du voile à cette femme au conseil régional, qu'elle soit l'accompagnatrice d'élèves ou une simple citoyenne. Le devoir de neutralité ne s'applique pas aux parents, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat en 2013. C'est davantage au nom de la haine qui ne dit pas son nom que l'élu crédite son action.

Lire aussi : Mères voilées et sorties scolaires : mettons un terme à l'instrumentalisation de la laïcité

Le soutien de la Région Bourgogne-Franche-Comté

Le tollé est, cette fois, général. La diffusion de la vidéo, que Saphirnews choisit de ne pas relayer, a suscité une avalanche de réactions pour la plupart indignées. Outre sa méconnaissance des lois qu'il étale, Julien Odoul fait, sur Twitter, le lien entre la tuerie à la préfecture de police de Paris, le terrorisme et le voile.

L'amalgame est manifeste et il choque. « Relisez la loi. N’invoquez pas la laïcité pour exclure, en instrumentalisant la mort d’agents de l’État Cette mère n’est pas soumise à la neutralité et n’avait pas à être humiliée et menacée devant son enfant et sa classe venues découvrir le fonctionnement de l’assemblée régionale », a notamment réagi Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.

Voir aussi la vidéo de La Casa del Hikma : la laïcité, un outil contre les religions en France ?

« J’ai pu m’entretenir longuement avec cette maman afin de lui apporter tout mon soutien. Je me rends mardi à Belfort pour rencontrer les enfants, leur enseignante et accompagnatrices. Je leur renouvelle toute ma solidarité au nom de la Région Bourgogne-Franche-Comté », a rapidement fait savoir Marie-Guite Dufay via Twitter.

Ces mots de soutien, bienvenus, ont été suivis d’un communiqué. « J’ai décidé de faire un signalement au procureur de la République de tous les propos tenus, tout au long de cette session, dont ceux portant sur la contestation de la présence de cette jeune mère de famille. C’est à lui de dire le droit et le cas échéant d’engager les poursuites contre les auteurs de ces propos que je réprouve totalement. Par ailleurs, je me réserve le droit de porter plainte », a-t-elle fait savoir.

Une rencontré avec la mère de famille et les enseignants de l’école concernée est prévue à son agenda. « Loin de tout esprit polémique, j’ai décidé que ce sera une rencontre privée, sans élus et sans presse. J’apporterai la bienveillance de l’institution régionale à ces personnes adultes et mineures, actrices malgré elles, de cette tourmente qui prend un caractère national », a-t-elle ajouté.

Selon Jacqueline Ferrari, élue de l’Union des démocrates et des écologistes, les propos de Julien Odoul ont beaucoup affecté l’enfant de la femme voilée qui a même été attaquée par une élue d’extrême droite dans les toilettes. « Vous êtes soumise, vous allez voir, quand les Russes vont arriver, vous allez dégager », aurait fustigé l’élue, obligeant même la sécurité à intervenir. Julien Odoul et ses partisans ont souhaité l'exclusion de cette femme ; c'est plutôt la solidarité autour d'elle qui a primé.

Le « oui mais » gênant du ministre de l'Education

L'affaire a fait réagir jusqu'au sein du gouvernement. « Qui est-il pour stigmatiser une femme qui accompagne des enfants en sortie scolaire ? », s’est indignée sa porte-parole Sibeth N’Diaye, qui a condamné les propos de Julien Odoul.

Quant à elle, Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’Egalité des hommes et des femmes, a estimé que c’était en humiliant une mère devant son enfant que se crée le « communautarisme ». « Le RN n’est pas qualifié pour parler "au nom des femmes qui se battent pour leurs droits partout". Vous n’êtes nos alliés nulle part », a-t-elle signifié.

L’action de l’élu RN est « évidemment à condamner et c'est idiot d'en arriver à ce type de situation », a déclaré sur BFM TV le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, dimanche 13 octobre. « La règle était claire, il n'y avait pas d'interdiction de porter le voile dans ce conseil des jeunes, donc il n'y avait pas lieu de faire ça », a-t-il indiqué.

Cependant, « le voile en soi n'est pas souhaitable dans notre société, tout simplement. Ce n'est pas quelque chose d'interdit mais n'est pas quelque chose à encourager. Ce que ça dit sur la condition féminine n'est pas conforme à nos valeurs », a-t-il affirmé. Si « la loi n'interdit pas » le port du voile en sortie scolaire, « on peut inciter localement à ce que ce ne soit pas le cas ».

Sorties scolaires : Jean-Michel Blanquer « normalement » opposé au voile des mères

Après la polémique suscitée par l'affiche de la FCPE normalisant la présence de femmes voilées lors de sorties scolaires, le barouf lancé par Julien Odoul relance encore le débat sur le port des signes religieux pour les parents accompagnateurs des sorties scolaires. Avec cette fois, face au tollé, un vœu, un espoir : que ce débat prenne fin, en admettant le droit aux femmes musulmanes, voilées, de participer à la vie scolaire des enfants, comme n'importe quel autre parent, au nom de la liberté de conscience que permet la laïcité, n'en déplaisent à ceux et celles qui souhaitent la dénaturer.

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