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Société

Raphaël Liogier : « Les musulmans doivent descendre dans la rue »

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Lundi 7 Janvier 2013 à 00:00

           

Avec son dernier ouvrage « Le mythe de l’islamisation : essai sur une obsession collective », Raphaël Liogier balaie d’un revers de main l’idée que les musulmans seraient sur le point d’envahir l’Europe. Plus que de faire naître l’islamophobie, ce mythe nourrit, selon le sociologue, le regard paranoïaque à l’égard des musulmans, sur un continent en pleine crise identitaire. Le professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques d'Aix-en-Provence et directeur de l’Observatoire du religieux nous dévoile son analyse.



Raphaël Liogier,  professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques et directeur de l’Observatoire du religieux à Aix-en-Provence.
Raphaël Liogier, professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques et directeur de l’Observatoire du religieux à Aix-en-Provence.

Saphirnews : Vous démontrez dans votre livre que l’idée selon laquelle la religion musulmane envahirait l’Europe est fausse, preuves à l’appui. Pourtant, cette opinion reste largement ancrée dans les esprits. D’où vient ce mythe ?

Raphaël Liogier : En 2003, on commence à parler de l’islamisation. Cette année est marquée par le rapport Baroin qui parle d’une nouvelle laïcité qui s’oppose aux droits de l’homme, en pointant du doigt les musulmans. 2003, c’est aussi la conjonction entre les extrêmes avec la naissance de mouvements identitaires comme le Bloc identitaire, celles d’un nouveau populisme obsédé par l’islamisation. C’est également le début des grandes crises identitaires et économiques en Europe.

2003 a aussi été marqué par l’intervention des Etats-Unis en Irak, sans l’accord des Européens. Alors que l’Europe a été « le Monde » en rendant le reste du monde exotique, le continent se rend compte que les Etats-Unis se tournent à présent vers des pays comme la Chine ou le Brésil. Les Européens, incapables de se fédérer, se mettent à délirer et se demandent qui ils sont. Jusque-là, il y avait une phobie de l’étranger mais, avec la crise identitaire de 2003, elle va changer de nature. On va soupçonner une intention maligne. Une atmosphère paranoïaque va s’installer. On suppose qu’il existe un plan, un complot, que des gens veulent nous détruire.

« Ces gens », ce sont les musulmans. Pourquoi eux ?

Raphaël Liogier : Quel est le point commun entre les Turcs d’Allemagne, les Pakistanais en Grande-Bretagne et les personnes d’origine maghrébine en France ? Être musulman. Il y a aussi leur visibilité avec une résurgence spirituelle de l’islam qui a permis de les désigner comme ayant une intention de comploter contre l’Europe.

Quel rôle jouent les médias dans ce mythe ?

Raphaël Liogier : Ils ont joué un rôle d’accentuation du mythe de l’islamisation, surtout entre 2003 et 2005. Les grands médias vont diffuser et normaliser ce discours et participer à la croissance de ce nouveau populisme. Ils y participent de façon irresponsable mais se sont calmés depuis 2009, se rendant compte qu’ils sont allés trop loin, à l'exception de Charlie Hebdo qui ne se vend plus car il est de plus en plus mauvais et se sert des caricatures de Muhammad pour des questions économiques.

Les politiques participent toujours à la mise en scène de ce mythe...

Raphaël Liogier : Il y a une politique du signe, pas du sens. Les sondages montrent que les Français pensent majoritairement que les musulmans font exprès de pas s’intégrer. Les politiques le savent et font alors signe à l’opinion qu’ils cherchent à les protéger de cela. Aller sur ce créneau leur rapporte à coup sûr des voix. Tous surenchérissent. On l’a vu avec la loi anti-nounous voilées portée par la gauche.

Et ce n’est pas fini. Fin décembre 2012, dans un colloque sur la morale laïque, portée par le ministre de l’Education Vincent Peillon, la directrice de la crèche Baby Loup, qui a licencié une employée voilée, était invitée. On y a salué son courage, avec l’idée d’étendre la neutralité dans la sphère privée des nounous. Il devrait même y avoir la possibilité, pour les comités d’entreprise, d’inscrire dans leur règlement l’interdiction du port du voile. C’est un programme qu’on retrouve dans le rapport Baroin dès 2003. Il y a eu un renversement historique de la laïcité, rendu possible par une situation d’urgence avec l’Europe qui met en scène sa propre mort. Cela permet de ne pas voir les vrais problèmes comme la désindustrialisation.

Face à cela, alors qu’ils représentent seulement 4 % de la population européenne et qu'ils font partie des plus pauvres, les musulmans sont présentés comme les plus puissants. Avec le mythe de l’islamisation, les prières dans les rues deviennent une occupation.

Sur quoi repose ce mythe ?

Raphaël Liogier : Il est fondé sur une mise en scène avec quatre personnages : le héros qui défend l’Europe, le peuple trompé qui représente la majorité silencieuse, le traître multiculturaliste qui choisit les droits de l’homme et qui va être soit un naïf, soit une personne qui se range du côté des forts, et le djihadiste. Cette dernière figure négative et répulsive peut attirer des personnes en situation économique et sociale précaire et psychologiquement faibles.

C’est le cas de Mohamed Merah...

Raphaël Liogier : Oui, on a appris par la suite qu’il avait aidé les Renseignements généraux (RG) puis avait essayé d’entrer dans la Légion. Il a d’abord visé l’objet de sa frustration en tuant des militaires. Mohamed Merah est devenu musulman pour se venger, en s’appropriant une figure peu désirable. Avec son look d’Arabe, originaire d’une cité, il va devenir djihadiste.

En Norvège, Anders Breivik, sans boulot, mis à l’écart, est blond aux yeux bleus, il va donc s’approprier la figure du héros, celle de la victime de l’islam. Si Merah avait eu un physique d’Occidental de souche, il serait sûrement devenu Breivik et si Breivik avait eu le teint basané, il serait devenu Merah. Leur condition raciale, économique et sociale sont des éléments déterminants qui les ont poussés à incarner le rôle de héros ou de djihadiste.

Le mythe de l’islamisation potentialise cette violence. Le populisme la rend possible. Ce populisme n’est plus extrême : aujourd’hui, il peut prendre le pouvoir avec Marine Le Pen en France. Il a déjà pris le pouvoir dans d’autres pays européens comme aux Pays-Bas. En Suisse, la votation pour l’interdiction des minarets l’a remporté majoritairement (en 2009).

A qui profite ce mythe ?

Raphaël Liogier : A ces mouvements populistes mais aussi aux mouvements islamistes terroristes durs qui sont en perte de vitesse depuis 2001. D’abord, il y a eu de nombreux démantèlements de ces réseaux et on constate une transformation des structures sociales du monde arabe, symbolisée par les révolutions du Printemps arabe. Cela se traduit par le développement des classes moyennes et l’émergence d’un islam bourgeois. Dans ce contexte, les terroristes islamistes ont de plus en plus de mal à recruter car il recrute par la frustration.

Ce mythe profite aussi aux Etats arabes, pays d’origine de nouvelles générations de musulmans européens, qui ont intérêt à ce que ces derniers ne se sentent pas intégrés et éprouvent un sentiment d'insécurité pour continuer à envoyer de l’argent dans les pays. A l’inverse, ce mythe ne profite pas aux musulmans ni aux citoyens européens.

Comment lutter contre ce mythe ?

Raphaël Liogier : Il faut déjà faire le bon diagnostic, trouver la vraie maladie. Sans cela, on fait des choses dans le vide. Ce diagnostic doit être précis. Il n’y a pas vraiment de phobie de l’islam mais l’existence d’un théâtre paranoïaque. On suppose que les musulmans veulent imposer leur manière de vivre. C’était l’objectif de ce livre : montrer qu’il n’y a pas de complot des musulmans.

Il faudrait, en plus, qu’il y ait un mouvement social des musulmans, qu’ils sortent défiler dans les rues. On n’entend pas les musulmans. Ne pas les voir est plus suspect. Une mobilisation de leur part pourrait créer un nouveau rapport de force. La troisième solution est que l’on puisse s’identifier à des héros positifs musulmans. La série télévisée danoise « Borgen » diffusée sur Arte, qui retrace la vie d’une femme politique, y parvient très bien avec le portrait d’un personnage secondaire, ministre de l’Ecologie qui adopte l’attitude la plus pure et la moins corrompue et dont on se rend compte, de manière complètement aléatoire, qu’il est musulman. Il y a là eu une normalisation qui agit au niveau inconscient.

Cela marche, car le téléspectateur n’a pas le sentiment qu’on l’oblige à croire à certaines choses, contrairement à La petite mosquée dans la prairie qui annonce la couleur.

Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a lancé une campagne d'affichage pour sensibiliser le grand public à la lutte contre l’islamophobie. Qu'en pensez-vous ?

Raphaël Liogier : C’est du très bon travail mais c’est dommage, la campagne a été sabotée, diffamée. Mais lutter contre l’islamophobie ne peut pas suffire. Avec le slogan « Nous sommes aussi la Nation », le CCIF voulait faire passer le message « N'ayez pas peur, nous partageons les même valeurs » mais, dans ce climat paranoïaque, il a été réinterprété par « Nous voulons prendre la Nation, nous voulons prendre votre place ». D’où l’importance de faire le bon diagnostic.

Raphaël Liogier : « Les musulmans doivent descendre dans la rue »

Que retenez-vous du traitement médiatico-politique de l’islam en 2012 ?

Raphaël Liogier : 2011 et 2012 ont été marqués par l’accentuation du mythe de l’islamisation avec des mises en scène comme les affaires Merah, Breivik, la montée des mouvements populistes et une libération de la parole anti-musulmane sans précédent chez l’UMP comme chez le PS, les deux camps majoritaires à l’Assemblée nationale. L’extrême droite n’existe plus car elle est au milieu de l’échiquier politique avec Marine Le Pen. En 2012, ce mythe est arrivé à son summum. Mes vœux pour 2013 : qu’il y ait un changement majeur de ce côté.

Raphaël Liogier, Le Mythe de l’islamisation : essai sur une obsession collective, Edition Le Seuil, 224 pages, 2012, 16 €.






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