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Economie

L’entrepreneuriat islamique, entre religion et capitalisme

Rédigé par Pauline Compan | Mardi 8 Février 2011 à 22:23

           

Le tissu entrepreneurial des États du Maghreb et du Machrek évolue. Les structures économiques se modifient sous l’effet conjoint des transformations du capitalisme mondial et du renouveau de l’islam politique. Mais ces transformations prennent des formes bien différentes d’un pays à l’autre. Des chercheurs de Sciences Po-CERI ont mené plusieurs études auprès d’entrepreneurs des pays du monde musulman. L’islam devient ici « une stratégie puissante de construction de réseaux sociaux d’affaires ».



L’entrepreneuriat islamique, entre religion et capitalisme
Le 2 février dernier se tenait le colloque « Transformations du capitalisme et émergence d'entrepreneurs islamiques » au centre de recherche du CERI de Sciences-Po Paris. L’occasion d’écouter des chercheurs de différents horizons exposant l'état de leurs recherches.

Pour ce colloque, Béatrice Hibou, l’organisatrice, avait choisi une approche comparative. Les chercheurs ont pris la parole chacun leur tour pour présenter leur champ d’étude. À l’honneur lors de cette conférence : les cas turc, marocain et iranien.

Turquie : les intérêts de la classe politique et ceux de la bourgeoisie capitaliste convergent

« L’islam politique n’a cessé de progresser en Turquie depuis le coup d’État militaire de septembre 1980. Le processus s’est accéléré avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP (Parti pour la justice et le développement) en 2002. » Ayse Bugra est professeure d’économie politique à l’Université du Bosphore, à Istanbul. Elle constate l’émergence dans son pays d’une « bourgeoisie anatolienne » à la tête de grands groupes et qui entretient des relations étroites avec le pouvoir. « Aujourd’hui, il y a environ treize groupes d’entreprises en Turquie qui ont grandi avec le pouvoir de l’AKP. »

Cette nouvelle bourgeoisie s’est adaptée à des marchés compétitifs et mondialisés. Elle revendique aussi une identité religieuse marquée et proche de celle du parti au pouvoir.

Dans ce cas, l’islam devient compatible avec le capitalisme. Mais l’État joue un rôle central dans les affaires avec tous les problèmes de corruption et de monopole que cela peut entraîner. Par exemple, depuis 2002, la loi sur les procédures d’attribution des marchés publics a été remaniée 17 fois. Des changements dénoncés par l’opposition et la bourgeoisie « traditionnelle » qui craint pour ses privilèges.

Maroc : les entreprises du roi en position dominante

La société marocaine est plus difficile à analyser, car elle recouvre des situations très hétérogènes. La monarchie y est garante d’un certain type de religiosité et les entreprises du roi abusent de leur position dominante, sans que le débat soit clairement abordé (au niveau politique ou même dans les médias).

« Les entrepreneurs interrogés présentaient moins d’unicité que leurs homologues turcs », explique Irene Bono de l’université de Turin. « Ils se définissent eux-mêmes selon plusieurs catégories : pieux, conservateur, libéral… »

Cette diversité reflète un rapport complexe à la norme religieuse au sein de la société marocaine. Si le PJD (Parti de la justice et du développement) clame désormais se rapprocher de l’AKP turc et cherche à construire un « référentiel économique de l’islam », le parti Istiqlal (Parti de l'indépendance), quant à lui, considère toujours la religion comme accessoire, qui n’est pas centrale dans la dynamique économique.

La monétarisation des activités religieuses en Iran

« Ahmadinejad est ingénieur de formation. Il pourrait entrer dans la catégorie qui nous intéresse », plaisante Fariba Adelkhah, anthropologue et chercheuse à Sciences Po-CERI. Pour elle, la situation économique de l'Iran est un paradoxe.

La révolution de 1979 a mené les gardiens de la révolution au pouvoir, c’est un État chiite qui se réfère à l’islam. Les grandes réformes initiées par la révolution ont largement oublié le secteur économique. « Une grande partie du corpus de lois iraniennes datent d’avant la révolution, ce sont des lois dites "modernes" pour l’économie », rappelle Mme Adelkhah.

Les entreprises privées iraniennes respectent donc des lois inspirées du paradigme libéral en vogue dans les années 1970. Pourtant, le pouvoir en place avait tenté de réorganiser l’économie selon des préceptes islamiques. À titre d’exemple, en 1987, le Conseil de la raison d’État avait voté l’interdiction de licencier dans les entreprises iranienne. Mais lors de son arrivée au pouvoir, le président Ahmadinejad s’est empressé d’abolir cette réforme.

L’économie iranienne est donc mixte. Partagée entre des entreprises privées et de puissantes entreprises d’État, souvent positionnées sur des secteurs stratégiques. L’EÉat gère, par exemple, à travers son ministère de la Culture, un large marché de 4 à 5 millions de clients chaque année. Il s’agit des entreprises qui organisent les pèlerinages pieux dans les pays voisins (Irak, Syrie, Arabie Saoudite). Un secteur lucratif et porteur, qui représente un aspect d’un entreprenariat « islamique ».

L’économie mondiale de marchés est désormais le référentiel commun auquel chaque État espère prendre part. Chaque pays du monde musulman invente ses propres codes pour tenter de concilier l’économie du pays et son histoire politique avec l’islam.

Entreprendre dans ces pays revient à se conformer à des orientations souvent étatiques et peut se trouver limiter par ce même État. Ainsi, certains acteurs choisissent désormais de se conformer à des préceptes dits « islamiques » dans le double but d’exister au sein de leur environnement économique et de construire les indispensables réseaux qui peuvent leur permettre de trouver les débouchés nécessaires pour écouler leurs produits.



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