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Chroniques du Ramadan

« C'est Toi que nous adorons, c'est Toi dont nous implorons Secours » : le verset 4 de la sourate Fatiha analysé

Chroniques du Ramadan

Rédigé par | Vendredi 5 Avril 2024 à 14:00

           


Le message de ce verset se reconnaît en deux mots : adorer et Secours. Des mots usuels que chacun comprend à son niveau. Il faut cependant retourner dans le contexte de la révélation pour chercher le sens que l'on donnait à « adorer ». Il faut descendre dans la structure de l'arabe pour expliciter la nature et le type de « Secours » dont il est question ici. Ces détours éclairent ce verset 4 sous forme d’« exigences divines ». Dans l'esprit du pacte, les exigences divines sont des « engagements » pour la seconde partie signataire du pacte, à savoir l'être humain.

La forme de ce verset est en rupture brutale avec les versets précédents qui n'ont ni verbe, ni temps, ni action, ni espace pour installer une idée autre que celle de Dieu. Ce verset 4 est verbal avec deux verbes actifs qui impliquent le pronom « nous ». Un pronom qui arrive là sans prévenir, sans dire à quels objets, quelles personnes on peut l'attribuer. La certitude de ce « nous », première personne du pluriel, est d'impliquer l'orateur, le signataire du pacte. Celui qui dit « nous » est toujours concerné.

« C'est Toi que nous adorons » est une phrase du Coran. Elle vient donc de Dieu qui occupe tous les trois versets précédents. Le pronom « Toi » est mis pour « Allah », « Rabb », « Ar-Rahma » et « Ar-Rahim ». Donc, de manière brute, on a le schéma d'un échange où Allah s'adresse à Allah, pour lui dire qu'Il adore Allah. Et, en vérité, cela n'a pas de sens.

C'est pourquoi, de manière naïve mais honnête, ma fille de 8 ans ne comprend pas ce verset. Elle me dit : « Comment Dieu peut-il parler ainsi ? » Autrement dit, « à qui d'autre Dieu s'adresse quand Il dit "C'est Toi que nous adorons" ? » puisque c'est effectivement Lui qui parle dans le Coran.

La sourate Fatiha implique son récitateur dans un dialogue avec Dieu

Un adulte aguerri à la conversation ne se pose pas une telle question. Tout au long des trois premiers versets consacrés à décrire Dieu, l'adulte se sent mis en position de conversation. Un adulte dit « meilleures louanges à Dieu » (verset 1). Cet adulte s'exprime à la première personne du singulier. Il est donc en conversation responsable avec une part explicite et une part implicite par convention.

Dans le détail, le sentiment exprimé est : je déclare que « la louange est à Dieu ». Ou bien, selon le positionnement et le contexte, « Louange à Dieu » veut exprimer : j'adhère à l'idée que les louanges sont réservées à Dieu. En première phrase du texte, « La louange est à Dieu » est un positionnement autoritaire de l'Auteur, une invitation franche à le reconnaître, qui instaure la conversation.

Le récitateur de la sourate Fatiha est un interlocuteur qui s'approprie alors « Louange à Dieu ». Il est installé dans le rôle d'un interlocuteur de conversation. Il oublie que la locution « Louange à Dieu » n'est pas de lui. Il l'a fait sienne en apprenant la Fatiha. Comme le musulman adhère au message de « Louange à Dieu » l'adulte dira : « Dieu nous a enseigné la Fatiha pour nous adresser à Lui. »

Au final, la sourate Fatiha implique son lecteur, son récitateur, dans un dialogue avec Dieu, l'Auteur. Cette structure inhérente au style de ce texte, en fait un contrat écrit par Dieu. Un contrat dont les termes sont divins et où l'on entend Dieu dire à peu près ceci : Celui qui veut s'adresser à Moi doit dire : « C'est Toi que nous adorons. »

L'adoration de Dieu, une exigence divine que l'humain s'engage à respecter

La syntaxe de cette phrase, en arabe, exprime une force affirmative telle qu'elle s'entend : « Ce n'est que Toi que nous adorons » ou bien « C'est Toi seul que nous adorons ». Insister sur l'exclusivité de l'adoration dans l'esprit du tawhid, l'unicité infinie de Dieu. La force affirmative, l'exclusivité dans la célébration du culte, sont à replacer dans le contexte de la révélation où le polythéisme domine en position d'ennemi direct du musulman.

En plongeant le verset 4 dans ce contexte de la révélation, il arrive en écho à la profession de foi, « Il n'y a de divinité que Dieu et Muhammad est Son Messager ». Devant témoins, la chahada était l'acte social à poser pour devenir musulman. Son énoncé fait passer de l'état de mécréant à celui de croyant. Et seul un croyant peut dire c'est « Toi que nous adorons et Toi dont nous implorons Secours ». Car il s'agit, avant tout, d'un engagement attesté ouvertement. Un engagement qui est important pour être renouvelé, régulièrement et quotidiennement.

La clause du contrat, « C'est Toi que nous adorons », est imposée par Dieu à l'autre signataire. Donc l'adoration de Dieu est une exigence divine que l'humain s'engage à respecter dans l'esprit du pacte de la sourate Fatiha. Pour amener l'humain à prendre un tel engagement, le Rédacteur du contrat de la sourate Fatiha, à savoir Dieu, lui demande de dire la phrase : « C'est Toi que nous adorons. »

De la même manière, « C'est Toi dont nous implorons Secours » s'entend « Ce n'est que de Toi et de Toi seul dont nous implorons Secours ». En plus de l'exclusivité, il y a une exigence de Dieu comme parti signataire du pacte, Qui exprime une demande à l'autre signataire qui est le récitateur. Or toute demande de Dieu devient une exigence pour le croyant.

En résumé, le sens premier du verset 4 pose les deux premières clauses du pacte spirituel de l'islam. D'une part, Dieu exige d'être adoré et sollicité de manières exclusives. D'autre part, l'Homme prend l'engagement d'adorer Dieu en exclusivité, et de ne demander que son aide exclusive aussi. Le poids de la situation pèse sur l'être humain qui espère un retour favorable ; ce sera l'objet de verset 5.

La sagesse divine choisit d'écrire la Fatiha en donnant la pleine et totale responsabilité à l’humain d'avoir un rôle actif dans la communication

Avant d'entrer dans le détail de « l'adoration » et du « Secours », le flux de communication instauré ici ne manque pas d'intérêt. Il existe quatre flux de communication. Le flux 1 est quand je m'adresse à autrui et le flux 2 est l'inverse, j'écoute. En flux 3, je suis le témoin qui observe un échange entre deux autres interlocuteurs. Le quatrième flux se dit flux zéro, quand je m'adresse à moi-même.

La sagesse divine choisit d'écrire la sourate Fatiha en flux 1, donnant la pleine et totale responsabilité à l'autre parti d'avoir un rôle actif dans la communication. Car il s'agit bien d'une communication instaurée à ce verset 4 de la sourate Fatiha, à condition d'intégrer l'idée du pacte.

Le flux 1 est une adresse directe à un interlocuteur, sans intermédiaire. Le musulman, dans la salat, est dans cette disposition. Après ses ablutions rituelles, débout face à la qibla, il lève les mains pour lancer la prière comme entrer en audience privée avec Dieu. La salat fut instaurée environ une petite dizaine d'années après la révélation de la Fatiha et elle se prête bien au flux 1 de la sourate Fatiha.

Ce pacte mérite d'être renouvelé plusieurs fois par jour. Cela explique l'occurrence de cinq prières quotidiennes, assignées à des moments précis. Le renouvellement du pacte commence ici, au verset 4, avec l'énoncé des clauses par « nous adorons » et « nous implorons ». Le collectif qui est la norme de la salat, trouve un premier sens ici avec le « Nous ». Sans cette première personne du pluriel, la sourate Fatiha se prêterait mieux la dou’a, l'invocation à caractère personnelle.

Dans la forme du verset 4, cette première personne du pluriel convient bien à la Fatiha, la sourate de la salat ; une pratique fondamentalement collective. Dans une autre approche, cosmique, de la salat, le « Nous » qui surgit au verset 4 est un changement de dimension. Il élève la salat à un moment de communion avec la Création sur la terre et propulse le tout à un niveau cosmique.

Le Secours, une promesse de Dieu à l’humain

Avant cette étape, les mots « adorer » et « Secours » méritent, notre attention. Leur simplicité est telle qu'on les survole sans précisions. Pourtant, « adorer » est le premier verbe du Coran ; rien que pour cela, il mérite d'être examiné. Par ailleurs, ce verbe d'action apparaît dans le cadre précis d'un engagement contractuel où adorer est la première exigence divine et le premier devoir humain. Avec un autre angle, adorer devient le premier droit de Dieu et le premier engagement de l'humain.

Quant au « Secours de Dieu », il apparaît sous forme de promesse de Dieu à l'humain, autrement dit, un droit de l'humaine offert par Dieu Lui-même. Un droit conditionné par la clause d'exclusivité comme dans l'adoration. Il existe cependant plusieurs types de secours à distinguer pour avoir une vision précise de ce qu'est le « Secours de Dieu ». Nous le verrons après avoir parlé de l'adoration, inchaAllah.

Que Dieu accepte notre jeûne. Qu'Il nous assiste dans nos engagements et nous hisse à hauteur de Ses promesses. Que Sa miséricorde et Sa grâce comblent Son Messager et tous ceux qui l'aiment. Rendez-vous dans nos dou’as, à l'heure de la rupture du jeûne.

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur


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