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Cinéma, DVD

BlacKkKlansman : infiltrer le Ku Klux Klan, avec Spike Lee

Rédigé par | Mercredi 29 Août 2018 à 17:50

           

Rigolard et roublard, le héros de BlacKkKlansman, un policier noir du Colorado, n’en est pas moins fin enquêteur parvenant à débusquer les pires racistes de sa région. Après avoir infiltré les Black Panthers puis le Ku Klux Klan, il gagne en conscience de ce qui se joue dans la société américaine des années 1970. Le spectateur, lui, s’interroge si le pire de la bêtise humaine a vraiment expiré. Spike Lee, cinéaste engagé, contribue à cette lucidité.



Adam Driver (qui joue Flip Zimmerman) et John David Washington (qui incarne Ron Stallworth) sont les deux comparses du film de Spike Lee « BlacKkKlansman – J’ai infiltré le Ku Klux Klan ». (© Universal Pictures)
Adam Driver (qui joue Flip Zimmerman) et John David Washington (qui incarne Ron Stallworth) sont les deux comparses du film de Spike Lee « BlacKkKlansman – J’ai infiltré le Ku Klux Klan ». (© Universal Pictures)
« Que Dieu bénisse l’Amérique blanche ! » Un slogan, plus qu’une invocation, qui émaille de part en part le nouveau film de Spike Lee : BlacKkKlansman – J’ai infiltré le Ku Klux Klan.

Mais le Dieu des partisans du Ku Klux Klan (KKK), fondé en 1865, n’est pas universel. Il bénit les Blancs, plus précisément les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qui prônent la suprématie blanche en vertu de leur interprétation de la Bible.

Éminemment racistes, xénophobes, antisémites, misogynes et homophobes, les membres du KKK ne sont pas en odeur de sainteté. Convaincus de la supériorité des Aryens, ils entendent sauver l’Amérique, en s’exerçant dans la clandestinité à l’exercice des armes à feu et autres produits explosifs. Lors de la cérémonie pseudo-religieuse d’intronisation d’un nouveau membre, ils sont affublés de leurs cagoules pointues et de leurs tuniques blanches portant l’insigne du KKK. Leur symbole : une croix blanche (représentant la « race » aryenne) sur fond de cercle rouge avec, au centre de la croix, une goutte de sang (symbolisant le courage des membres à verser leur sang pour préserver la « race »).

Tout ce folklore ne pourrait faire partie que des livres d’Histoire. Mais ce qui devrait nous alerter, c’est que les idées et les discours défendant la « nation blanche américaine » sont plus que jamais à l’œuvre dans l’Amérique d’aujourd’hui. Et c’est bien là le message essentiel du film de Spike Lee.


Certes, BlacKkKlansman (Grand Prix du festival de Cannes 2018) est excellent à tous points de vue. Le scénario est inspiré d’une histoire vraie : celle de Ron Stallworth, premier policier afro-américain à intégrer le Colorado Springs Police Department. Celui-ci a infiltré en 1978 la section locale du Ku Klux Klan et est parvenu à faire arrêter des membres et faire capoter des rassemblements. Ron Stallworth est incarné à l’écran par John David Washington (le fils de Denzel Washington, qui joua le rôle-titre Malcolm X, film phare de Spike Lee). Parfait en policier des années 1970 (avec mimiques pour arranger sa coupe afro), il est roublard à souhait pour gruger, par téléphone interposé, le leader national du Ku Klux Klan David Duke.

Le Ron Stallworth bis, son double physique qu’il envoie sur le terrain pour devenir chevalier du KKK, est Flip Zimmerman (incarné par Adam Driver, excellent aussi), son collègue policier. Cet échalas a la chance d’être Blanc… mais il est juif. Plusieurs scènes montrant l’antisémitisme viscéral des membres du KKK sont absolument jubilatoires tant la haine des juifs est poussée à sa caricature et télescopée par des rebondissements inattendus. Teintés d’humour noir et de cynisme, les dialogues s’avèrent savoureux. Mais ils n’en demeurent pas moins lourds de sens.

Celui où Flip Zimmerman exprime son malaise en racontant que, bien qu’étant juif non pratiquant et jusqu’à présent peu intéressé par la chose religieuse, il a dû se parjurer pour pouvoir se faire introniser membre du Ku Klux Klan… Celui où le confrère policier (Blanc) met en garde Ron Stallworth sur la stratégie d’entrisme politique du Ku Klux Klan pour faire accepter ses valeurs conservatrices, racistes et suprémacistes dans la classe moyenne blanche. Une réalité (si actuelle aujourd’hui !) que Ron Stallworth se refuse pourtant à croire (on est dans les années 1970)…


Le film BlacKkKlansman est aussi une belle leçon d’histoire du cinéma. Il s’ouvre sur un extrait d’Autant en emporte le vent (film d’amour sur fond de guerre de Sécession, datant de 1939 et multi-oscarisé). Et nous rappelle la vision romancée et édulcorée de la situation des Noirs dans le Sud esclavagiste qu’a longtemps eue le cinéma hollywoodien. En contrepoids, Spike Lee se plait à rendre hommage à la blaxploitation (production cinématographique afro-américaine des années 1970), à travers une scène où Ron Stallworth et Patrice Dumas (leader étudiante du mouvement Black Power) citent leurs films et héros préférés et discutent de la représentation des Noirs dans le cinéma.

Le plus gros choc vient surtout de la projection des extraits du film Naissance d’une nation. Réalisé en 1915 par David W. Griffith, cinquante ans après le guerre de Sécession, il a été encensé comme étant le premier film à grand spectacle de l’industrie cinématographique. Problème : Naissance d’une nation montre des Noirs heureux de leur condition d’esclaves, ceux qui rejoignent les Nordistes commettant les pires actes de barbarie et, surtout, il fait l’apologie du Ku Klux Klan. La scène de BlacKkKlansman décrivant les partisans du KKK complètement subjugués par ce film lorsqu’ils le regardent montre combien le cinéma a un pouvoir d’influence sur les esprits.


Les deux autres scènes de BlacKkKlansman sont tout aussi mémorables. Celle du discours de Kwame Ture, patronyme que prit Stokely Carmichael, un des leaders du mouvement des Black Panthers devenu par la suite panafricaniste, et à l’origine du concept de racisme institutionnel. Celle du récit glaçant du lynchage et de la pendaison de l’Afro-Américain Jesse Washington accusé de viol et de meurtre en 1916, un an après la sortie du film de Griffith. Deux points d’acmé que les militants de la cause afro-américaine comme ceux de la nouvelle génération des Black Lives Matter connaissent fort bien mais que Spike Lee contribue ici à diffuser au plus grand nombre.


Pour pointer que l’extrémisme (qui ne se revendique plus du KKK mais, quel qu’en soit le nom, a des relents néonazis, néoconservateurs ou suprémacistes blancs) fait toujours rage, les images choquantes de Charlottesville de 2017 (avec le vrai David Duke, qui a abandonné ses oripeaux du KKK mais reste chantre du nationalisme blanc) viennent clore le film.

Car c’est bien là la force de BlacKkKlansman : sous des dehors de comédie acide qui tacle les préjugés racistes, sexistes et xénophobes, Spike Lee nous fait prendre conscience que la vigilance et la lutte restent absolument de mise.

BlacKkKlansman – J’ai infiltré le Ku Klux Klan
De Spike Lee (États-Unis, 2 h 16)
Avec John David Washington, Adam Driver, Topher Grace…
D’après le livre de Ron Stallworth
Grand Prix du festival de Cannes 2018
En salles le 22 août 2018.


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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