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Points de vue

Retrouvons le sens de la laïcité contre le dévoiement de ses principes originels

Rédigé par Vigie de la Laïcité, Libre Pensée, Solidarité laïque, Union rationaliste, Ligue de l'Enseignement, Ligue des droits de l'Homme | Lundi 8 Décembre 2025

           

A l'occasion des 120 ans de la loi 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat, un meeting unitaire a été organisé, samedi 6 décembre, à la Bourse du travail de Paris. A l'issue de ce rendez-vous pour défendre la laïcité contre ses multiples utilisations frauduleuses signant une « dérive autoritaire », un manifeste signée par plusieurs associations a été présenté, reproduit sur Saphirnews dans son intégralité.



Retrouvons le sens de la laïcité contre le dévoiement de ses principes originels
La célébration du 120e anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l'État du 9 décembre 1905 donne aux associations signataires de ce texte l'occasion de rappeler combien la laïcité est essentielle à l'agencement de la vie démocratique. Elles rejoignent ainsi l'intention de la Constitution qui en a fait, en la plaçant au service de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, l'un des principes fondateurs de la République.

Reliant la France à la communauté des nations démocratiques, la laïcité trouve son origine dans la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. En fixant « le principe de toute souveraineté dans la nation » (art. 3), la Déclaration affirme l'autonomie du pouvoir politique à l'égard des lois divines ; en affirmant que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » (art. 10), elle permet à chacun de pouvoir choisir en toute indépendance ses propres croyances ou convictions.

Se manifeste là une rupture décisive avec l'ordre d'Ancien Régime, fondé sur la primauté et l'unité de foi. Il est revenu à la législation de la Troisième République de confirmer le dispositif établi en 1789. La loi du 9 décembre 1905, dont le Conseil d'État a pu rappeler qu'elle était la « clé de voûte » de la laïcité francaise, couronne la construction laïque en instituant la séparation des Églises et de l'État.

Deux éléments fondamentaux au cœur de la loi

Le texte, s'il contient des dispositions techniques concernant l'organisation interne des cultes, comporte surtout deux éléments fondamentaux. Il consacre d'abord la liberté de conscience, considérée dans sa double dimension individuelle et collective. Celle-ci apparait dès l'article 1er. La liberté appelle ainsi l'égalité : la loi protège identiquement les croyants et les non-croyants, sans qu'on ne puisse discriminer quiconque à raison de ses opinions religieuses ou convictionnelles.

Ensuite, en affirmant, dans son article 2, que « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », la loi affirme la neutralité de l'État. Ce dernier doit se tenir à égale distance de toutes les conceptions englobantes du bien, afin de préserver le droit à l'égale liberté de conscience des citoyens.

A la laïcité de l'autonomie s'est substituée celle de la surveillance

Or, au cours des trois dernières décennies, le régime de laïcité a subi un dévoiement de ses principes originels : il était hier un dispositif de protection de la liberté individuelle ; il est devenu un appareil de défense de la prétendue « identité nationale ».

A la laïcité de l'autonomie s'est substituée celle de la surveillance. Issue du refus d'accepter l'ouverture de la société actuelle à la pluralité de ses composantes culturelles, en contrant ainsi l'éthique universaliste de la République, elle révèle une conception identitaire, et parfois ethnique, de la nation. Ce nouveau modèle a pris une nouvelle forme juridique, à travers une succession de lois et de règlements qui ont trouvé leur consécration limitative dans la loi du 24 août 2021 visant à « conforter le respect des principes de la République ».

Cette législation inédite a introduit, en rupture avec les principes de 1905, une double mutation. Jusque-là, l'impératif de neutralité ne valait que pour les espaces et les agents de l'État ; l'espace social étant, en revanche et sous réserve des exigences de l'ordre public, une zone d'expression ouverte à l'expression de la pluralité des convictions. Or, en témoignent certaines propositions de loi récentes, on réclame désormais l'extension de la règle de la discrétion en matière religieuse aux citoyens ordinaires.

Ensuite, la « nouvelle laïcité » a, par un mouvement parallèle, réduit la sphère de la liberté. En agitant le chiffon rouge du « séparatisme », en faisant valoir auprès de certains de nos compatriotes, leur « devoir d'émancipation », en se faisant en cela le gardien des bons comportements, l'État est entré, sur les questions religieuses et convictionnelles, dans des domaines qu'il laissait jusque-là entièrement libres. Il intervient ainsi en règlementant le port du vêtement. Il soumet les collectivités locales à des contrôles inédits. Il réduit le champ d'autonomie à la fois des associations cultuelles et des associations ordinaires. Malgré le principe de séparation, la loi du 24 août 2021 va jusqu'à offrir la possibilité aux préfets de refuser à certaines la qualité d'associations cultuelles, les obligeant par ailleurs à de lourdes démarches administratives, renouvelables tous les cinq ans, menaçant ainsi leur pérennité.

Rétablir la laïcité sur ses bases historiques

Faut-il se résigner à cette dérive autoritaire ? C'est, au contraire, à la résistance que veulent appeler les signataires de ce texte. Leur idée est que cette nouvelle interprétation vient accentuer la défiance au sein de la société et empêcher un vivre ensemble harmonieux. Sans nier certes l'importance d'intégrer les citoyens dans un espace public partagé organisé autour du respect de la liberté d'autrui et de la recherche de l'intérêt commun, ils appellent à rétablir la laïcité sur ses bases historiques, en retrouvant la vision originelle qui en faisait un système de promotion de la liberté et non de surveillance de l'opinion.

Dans cette perspective, il s'agit de répondre à trois objectifs :

- D'abord, refaire droit à la liberté de conscience. Chacun doit pouvoir exprimer jusque dans l'espace social ses propres convictions et croyances sans qu'on lui impose, au nom d'un ordre moral que l'État se chargerait de définir, une quelconque invisibilité sociale, ni une artificielle homogénéité idéologique.

- Ensuite, reconstruire l'indépendance de la sphère politique. L'un des grands motifs de la loi de 1905 a été de placer l'État en dehors de tout contrôle des Églises. Nous souhaitons renouer avec cette visée, qui est la condition d'une action publique autonome laissée, loin de toute soumission aux diverses cléricatures, aux seules déterminations de la délibération civique.

- Enfin, renouer avec l'idée de droit social. Au moment de la délibération de 1905, plusieurs défenseurs de la loi avaient affirmé, tel Jean Jaurès, que « la République ne resterait laïque qu'à la condition d'être sociale ». C'est là aussi un point d'ancrage de cette déclaration : il ne peut y avoir de réelle liberté indépendamment de l'amélioration des conditions matérielles dans lesquelles se déploient les existences individuelles.

Retrouvons le sens de la laïcité, battons-nous pour une laïcité de liberté qui se nourrit de fraternité et de bien commun, assurons-lui un avenir !

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