La société redoute l’islamisme pour elle-même : son entrisme, ses normes religieuses rétrogrades et son ordre moral incompatible avec les valeurs promues. Mais cette crainte, souvent tournée vers la seule défense de la société majoritaire, oublie que les premiers touchés par l’islamisme sont les musulmans eux-mêmes. Pour eux, l’islamisme représente autant une menace venue de l’extérieur qu’une gangrène qui ronge de l’intérieur.
Assurément, en tant que membres de la minorité musulmane, nous ne percevons pas l’islamisme comme un simple phénomène social : il s’impose à nous et nous oblige à l’affronter.
Toutefois, l’islamisme n’est pas né de nous, il n’émane pas de notre islamité « d’en bas ». Il ne procède ni des luttes populaires ni des expériences postcoloniales du prolétariat musulman. C’est une idéologie importée, structurée par des réseaux transnationaux, financée par des monarchies réactionnaires ou par des organisations issues de bourgeoisies religieuses du Golfe et d’ailleurs. Instauré par « le haut », son objectif n’est pas de donner voix aux opprimés, mais de soumettre les consciences. Il constitue ainsi un véritable ennemi de notre liberté et de la pluralité de notre islamité, cherchant à aliéner et à effacer toutes nos voix propres.
En effet, il s’agit ni plus ni moins d’un ennemi, mais un ennemi sournois : il se mêle à nous, cherche à se confondre avec nous et à se faire passer pour « nous-mêmes ». Or, cet ennemi n’est pas nous et ne saurait l’être. L’affirmer, c’est revendiquer notre droit à distinguer clairement notre islamité de cette idéologie, sans pour autant « intérioriser » les discours dominants ni valider ceux qui agitent le spectre islamiste pour stigmatiser les musulmans.
Certes, la vigilance s’impose face aux courants fascisants qui cherchent à instrumentaliser l’islamisme. Mais il faut tout autant ne pas fermer les yeux sur la stratégie inverse, celle de l’islamisme lui-même : faire passer son idéologie politique pour notre islamité. Il se sert de nous et exploite cette confusion pour avancer sans opposition, nourrissant au passage le racisme antimusulman dont il profite.
D’où l’importance, dans ce paysage de confusions, de réaffirmer clairement le cadre du débat : distinguer ce que l’islamisme prétend être de ce qu’il n’est pas. L’islamisme n’est ni une réponse à la domination, ni une force d’émancipation. Le critiquer « de l’intérieur » de la minorité musulmane constitue une preuve d'autonomie mais surtout un devoir moral : celui de dénoncer une idéologie politico-religieux qui a réussi à se présenter comme le « camp de la dignité » face aux discriminations, alors qu’elle s’est toujours rangée du côté des oppresseurs et ne voit en nous, opprimés, que des prétextes pour se glisser dans nos combats et les détourner.
Assurément, en tant que membres de la minorité musulmane, nous ne percevons pas l’islamisme comme un simple phénomène social : il s’impose à nous et nous oblige à l’affronter.
Toutefois, l’islamisme n’est pas né de nous, il n’émane pas de notre islamité « d’en bas ». Il ne procède ni des luttes populaires ni des expériences postcoloniales du prolétariat musulman. C’est une idéologie importée, structurée par des réseaux transnationaux, financée par des monarchies réactionnaires ou par des organisations issues de bourgeoisies religieuses du Golfe et d’ailleurs. Instauré par « le haut », son objectif n’est pas de donner voix aux opprimés, mais de soumettre les consciences. Il constitue ainsi un véritable ennemi de notre liberté et de la pluralité de notre islamité, cherchant à aliéner et à effacer toutes nos voix propres.
En effet, il s’agit ni plus ni moins d’un ennemi, mais un ennemi sournois : il se mêle à nous, cherche à se confondre avec nous et à se faire passer pour « nous-mêmes ». Or, cet ennemi n’est pas nous et ne saurait l’être. L’affirmer, c’est revendiquer notre droit à distinguer clairement notre islamité de cette idéologie, sans pour autant « intérioriser » les discours dominants ni valider ceux qui agitent le spectre islamiste pour stigmatiser les musulmans.
Certes, la vigilance s’impose face aux courants fascisants qui cherchent à instrumentaliser l’islamisme. Mais il faut tout autant ne pas fermer les yeux sur la stratégie inverse, celle de l’islamisme lui-même : faire passer son idéologie politique pour notre islamité. Il se sert de nous et exploite cette confusion pour avancer sans opposition, nourrissant au passage le racisme antimusulman dont il profite.
D’où l’importance, dans ce paysage de confusions, de réaffirmer clairement le cadre du débat : distinguer ce que l’islamisme prétend être de ce qu’il n’est pas. L’islamisme n’est ni une réponse à la domination, ni une force d’émancipation. Le critiquer « de l’intérieur » de la minorité musulmane constitue une preuve d'autonomie mais surtout un devoir moral : celui de dénoncer une idéologie politico-religieux qui a réussi à se présenter comme le « camp de la dignité » face aux discriminations, alors qu’elle s’est toujours rangée du côté des oppresseurs et ne voit en nous, opprimés, que des prétextes pour se glisser dans nos combats et les détourner.
Une origine élitiste et politique, loin des réalités ouvrières
Comprendre que l’islamisme ne vient pas « d’en bas » suppose d’en retracer l’histoire : avant l’arrivée en nombre des travailleurs maghrébins et turcs dans les années 1960, l’islamisme était déjà en gestation. Cependant, il n’a pas émergé du prolétariat immigré, mais d’une élite. Polyglottes, très instruits et insérés dans des réseaux transnationaux - notamment ceux des Frères musulmans - ils portaient un projet politique et moral, bien plus qu’un héritage culturel populaire.
À la fin des années 1950, cette élite crée ses structures, résultat d’une convergence entre étudiants universitaires, réfugiés politiques, convertis belges et diplomaties étrangères impliquées dans la Guerre froide. L’islamisme naît ainsi d’un espace où s’entrelacent élites islamistes, chancelleries et milieux intellectuels européens anticommunistes.
Deux groupes se distinguent alors : d’un côté, une élite politisée, connectée aux réseaux de pouvoir ; de l’autre, les classes populaires immigrées salariées de l’industrie, dont l’islamité est plus ethnoculturelle et intégrée aux sociabilités ouvrières. Une tension oppose ces deux visions : d’un côté, un islam doctrinal et politique ; de l’autre, une islamité vécue, où la dimension politique s’exprime dans le social.
À la fin des années 1950, cette élite crée ses structures, résultat d’une convergence entre étudiants universitaires, réfugiés politiques, convertis belges et diplomaties étrangères impliquées dans la Guerre froide. L’islamisme naît ainsi d’un espace où s’entrelacent élites islamistes, chancelleries et milieux intellectuels européens anticommunistes.
Deux groupes se distinguent alors : d’un côté, une élite politisée, connectée aux réseaux de pouvoir ; de l’autre, les classes populaires immigrées salariées de l’industrie, dont l’islamité est plus ethnoculturelle et intégrée aux sociabilités ouvrières. Une tension oppose ces deux visions : d’un côté, un islam doctrinal et politique ; de l’autre, une islamité vécue, où la dimension politique s’exprime dans le social.
L’État, architecte de l’islam politique
L’institutionnalisation de l’islam répond à des logiques diplomatiques et aucunement à des revendications populaires musulmanes. Cela, dans une logique néo-coloniale et néolibérale, où l'État protège ses intérêts au détriment de l'auto-organisation des classes populaires immigrées.
En prenant le cas de la Belgique, la reconnaissance du culte islamique en 1974 illustre parfaitement cette logique : présentée comme un geste d’ouverture, elle constitue en réalité l’occasion offerte à des acteurs idéologiquement marqués d’occuper la scène religieuse, au détriment d’un islam prolétaire et culturel pourtant largement répandu. Cette reconnaissance, élaborée dans les ministères et les chancelleries, confie le religieux à une élite dont la perméabilité aux idées islamistes va durablement structurer le champ islamique.
Cette porosité installe dans le pays une vision de l’islam à la fois conservatrice et politique. En confiant le religieux à une élite alignée sur une idéologie politico-conservatrice, l’État légitime cette tendance tout en mettant les musulmans sous tutelle. Ce qui se présente comme de la bienveillance étatique masque en réalité une dépossession politique.
En prenant le cas de la Belgique, la reconnaissance du culte islamique en 1974 illustre parfaitement cette logique : présentée comme un geste d’ouverture, elle constitue en réalité l’occasion offerte à des acteurs idéologiquement marqués d’occuper la scène religieuse, au détriment d’un islam prolétaire et culturel pourtant largement répandu. Cette reconnaissance, élaborée dans les ministères et les chancelleries, confie le religieux à une élite dont la perméabilité aux idées islamistes va durablement structurer le champ islamique.
Cette porosité installe dans le pays une vision de l’islam à la fois conservatrice et politique. En confiant le religieux à une élite alignée sur une idéologie politico-conservatrice, l’État légitime cette tendance tout en mettant les musulmans sous tutelle. Ce qui se présente comme de la bienveillance étatique masque en réalité une dépossession politique.
La complaisance structurelle à l’égard de l’islamisme
L’islamisme a pu rester latent en Belgique, en partie parce qu’il offrait à l’État une solution clé-en-main, lui servant de béquille pour encadrer les masses immigrées et éviter des revendications sociales du prolétariat musulman, tout en déchargeant l’État de la tâche ingrate de concilier des traditions islamiques issues de contextes variés.
De plus, l’islamisme s’est imposé comme interlocuteur des pouvoirs publics, des institutions et des médias, en jouant sur une rhétorique d’adaptation locale (« islam d’ici ») compatible avec un contrôle étatique néo-gallican. Il ne modernise pas l’islam, mais ajuste ses normes rigoristes à un projet de société présenté de manière fallacieuse comme moderne.
Incontestablement, l’islamisme résulte grandement d’une politique étatique, sans que l’État reconnaisse aujourd’hui pleinement sa responsabilité originelle. Pourquoi ? Parce que reconnaître l’erreur reviendrait à admettre une faute structurelle de l’État.
De plus, l’islamisme s’est imposé comme interlocuteur des pouvoirs publics, des institutions et des médias, en jouant sur une rhétorique d’adaptation locale (« islam d’ici ») compatible avec un contrôle étatique néo-gallican. Il ne modernise pas l’islam, mais ajuste ses normes rigoristes à un projet de société présenté de manière fallacieuse comme moderne.
Incontestablement, l’islamisme résulte grandement d’une politique étatique, sans que l’État reconnaisse aujourd’hui pleinement sa responsabilité originelle. Pourquoi ? Parce que reconnaître l’erreur reviendrait à admettre une faute structurelle de l’État.
L’importance de résister face à l’islamisme, qui confisque la parole musulmane
L'islamisme ne se limite pas à la promotion de normes politico-religieuses, il constitue avant tout un projet politique visant à s'approprier la parole musulmane. Son histoire montre qu'il a souvent piétiné les aspirations populaires en s'alliant sans vergogne aux pouvoirs dominants. Aujourd'hui, cette volonté évolue en une entreprise de monopole sur la représentation musulmane.
La confiscation de la parole musulmane se traduit par la mainmise sur la « lutte contre l’islamophobie » et par le noyautage de la représentation officielle du « culte islamique ». Elle enferme l’ensemble de la minorité musulmane dans un combat moral autour des normes religieuses, transformant un potentiel de libération en une autoservitude revendiquée collectivement. Ce processus conduit ainsi à un véritable cul-de-sac identitaire et confessionnalisant, où les enjeux de dignité et de liberté sont détournés au profit de cet islamisme qui ne reflète aucunement les aspirations réelles des musulmans.
Aujourd’hui, il est urgent de résister, de restituer aux musulmans la liberté de leur propre parole, affranchie de l’emprise de l’islamisme.
La confiscation de la parole musulmane se traduit par la mainmise sur la « lutte contre l’islamophobie » et par le noyautage de la représentation officielle du « culte islamique ». Elle enferme l’ensemble de la minorité musulmane dans un combat moral autour des normes religieuses, transformant un potentiel de libération en une autoservitude revendiquée collectivement. Ce processus conduit ainsi à un véritable cul-de-sac identitaire et confessionnalisant, où les enjeux de dignité et de liberté sont détournés au profit de cet islamisme qui ne reflète aucunement les aspirations réelles des musulmans.
Aujourd’hui, il est urgent de résister, de restituer aux musulmans la liberté de leur propre parole, affranchie de l’emprise de l’islamisme.
Nous libérer nous-mêmes
Attendre que l’État nous libère de l’islamisme est une illusion. L’État adopte une politique du fait accompli : il traite avec les acteurs politico-religieux déjà présents, même s’ils sont conservateurs. La responsabilité de notre libération nous revient donc, à nous-mêmes, musulmans, ainsi qu’à tous ceux qui aspirent à s’allier à nous dans cette quête d’auto-émancipation.
Il revient à nos alliés d’ériger un véritable cordon sanitaire autour des structures islamistes. Quant à l’État, il doit pleinement assumer son rôle de garant des libertés et de protecteur des populations vulnérables : la minorité musulmane se trouve exposée à un islamisme soutenu par des États étrangers, des fondations internationales et des médias qui inondent aujourd’hui les réseaux sociaux francophones. Comment de simples progressistes musulmans pourraient-ils résister à de tels moyens sans qu’un minimum d’équilibre soit rétabli par l’État ?
Ce trope, consistant à imputer aux musulmans la responsabilité de l’islamisme dont ils sont les premières victimes, obère totalement toute compréhension de cette « sociose » structurelle, dorénavant imputée à ses victimes.
À nous de circonscrire, ou mieux de neutraliser, à défaut d’éradiquer, cet islamisme, cette arme des classes dominantes transnationales, qui impose aux musulmans une oppression supplémentaire à celle déjà subie dans la société majoritaire. La lutte musulmane est donc double : elle se mène à la fois dans la société et au sein même de la minorité.
*****
Fouad Benyekhlef est membre du collectif Les Progressistes musulmans de Belgique.
Lire aussi :
Des responsables musulmans vent debout contre le rapport de la droite sénatoriale sur l'islamisme
Sondage Ifop sur les musulmans : un dispositif rhétorique pour objectiver l'angoisse de la société majoritaire (1/2)
Sondage Ifop sur les musulmans : du continuum islam/islamisme à la citoyenneté partagée (2/2)
Il revient à nos alliés d’ériger un véritable cordon sanitaire autour des structures islamistes. Quant à l’État, il doit pleinement assumer son rôle de garant des libertés et de protecteur des populations vulnérables : la minorité musulmane se trouve exposée à un islamisme soutenu par des États étrangers, des fondations internationales et des médias qui inondent aujourd’hui les réseaux sociaux francophones. Comment de simples progressistes musulmans pourraient-ils résister à de tels moyens sans qu’un minimum d’équilibre soit rétabli par l’État ?
Ce trope, consistant à imputer aux musulmans la responsabilité de l’islamisme dont ils sont les premières victimes, obère totalement toute compréhension de cette « sociose » structurelle, dorénavant imputée à ses victimes.
À nous de circonscrire, ou mieux de neutraliser, à défaut d’éradiquer, cet islamisme, cette arme des classes dominantes transnationales, qui impose aux musulmans une oppression supplémentaire à celle déjà subie dans la société majoritaire. La lutte musulmane est donc double : elle se mène à la fois dans la société et au sein même de la minorité.
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Fouad Benyekhlef est membre du collectif Les Progressistes musulmans de Belgique.
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