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Points de vue

Lumières d’islam et Lumières de France : un même souffle pour la République

Rédigé par Youssouf Omarjee | Jeudi 11 Décembre 2025

           


Lumières d’islam et Lumières de France : un même souffle pour la République
Je suis français. Je suis musulman. Ces deux vérités ne s’opposent pas : elles se répondent, s’enrichissent, et tracent le chemin d’une citoyenneté exigeante, éclairée par les feux croisés des Lumières européennes et des lumières de l’islam. Voltaire, dans son Traité sur la tolérance, défendait déjà l’idée que « tous les hommes sont frères » — une fraternité que le Coran, bien avant lui, avait gravée dans le marbre divin : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. » (49:13)

La diversité n’est pas une malédiction, mais une invitation à la rencontre, à l’intelligence collective. Les grands érudits du soufisme, comme Ibn Arabi ou Rumi, n’ont cessé de le rappeler : la vérité est un prisme aux mille facettes. « Dieu est beau et Il aime la beauté », dit un hadith. Cette beauté, c’est aussi celle de la pensée critique, de la curiosité intellectuelle, valeurs que Descartes ou Montesquieu ont portées haut.

Le soufisme, avec son insistance sur l’amour et la purification du cœur, n’est pas étranger à l’idéal républicain de liberté : liberté de croire, de douter, de chercher. La fraternité, elle, puise dans l’hospitalité islamique, ce diwan où l’étranger est accueilli comme un frère. Quant à l’égalité, comment ne pas y voir l’écho du hadith : « Les hommes sont égaux comme les dents d’un peigne » ?

Le piège de la désunion : quand la peur devient une prison

Pourtant, aujourd’hui, des voix s’élèvent pour dresser des murs là où il faudrait bâtir des ponts. On nous somme de choisir : être français ou musulman, comme si l’on pouvait amputer une partie de son âme. Cette fausse alternative est un poison. Elle ignore que l’islam, en France, a une histoire aussi ancienne que la nation elle-même — des ambassadeurs de François Ier aux soldats maghrébins de 1914-1918, en passant par les savants andalous qui ont transmis à l’Europe le savoir grec perdu.

Pire, elle nourrit les extrêmes. D’un côté, ceux qui instrumentalisent l’islam pour justifier la violence ; de l’autre, ceux qui diabolisent une religion entière à cause des actes de quelques-uns. Les premiers trahissent le Coran, qui interdit la contrainte en religion (2:256) ; les seconds trahissent les Lumières, qui ont fait de la laïcité un rempart contre l’obscurantisme, pas une arme contre les croyants.

Le vivre-ensemble n’est pas une utopie molle : c’est un combat de chaque instant. Un combat contre les préjugés, contre les généralisations hâtives, contre ceux qui profitent de la peur pour diviser. « Le croyant est un miroir pour le croyant », dit un hadith. À nous, citoyens, de jouer ce rôle de miroir les uns pour les autres : refléter nos contradictions, nos doutes, mais aussi nos espoirs communs.

Le devoir de vigilance : garder la flamme du dialogue

La République n’est pas un acquis : c’est une promesse, toujours à renouveler. Préserver le vivre-ensemble, c’est d’abord refuser la logique du bouc émissaire. Quand un musulman commet un crime, on parle de « terrorisme islamiste » ; quand un extrémiste d’extrême droite tue, on évoque un « déséquilibré ». Cette asymétrie est une insulte à l’intelligence collective. La vigilance, c’est exiger la même rigueur pour tous, la même justice.

C’est aussi oser le dialogue, même — surtout — quand il est difficile. Les Lumières ne sont pas nées dans le confort, mais dans le débat. Les soufis, eux aussi, ont toujours prôné l'jtihad, l’effort d’interprétation, pour adapter la foi aux défis du temps. Aujourd’hui, cet effort doit nous pousser à déconstruire les caricatures : non, l’islam n’est pas incompatible avec la démocratie ; non, la laïcité n’est pas une machine de guerre contre les religions.

Enfin, la vigilance, c’est cultiver la mémoire. Se souvenir que la France a été grande quand elle a su marier les influences — romaine, celte, chrétienne, juive, musulmane. Se souvenir que les plus belles pages de notre histoire ont été écrites quand nous avons refusé de céder à la haine.

L’audace de l’espérance

Je suis français, je suis musulman, et je refuse de choisir. Parce que mon islam m’enseigne l’universel, et que ma France m’offre les outils pour le vivre. Parce que les Lumières et le soufisme partagent une même quête : celle de la lumière, contre les ténèbres de l’ignorance.

À ceux qui veulent nous diviser, répondons par l’audace de l’espérance. Espérance d’une société où l’on peut prier dans une mosquée le vendredi, débattre dans un café le samedi, et manifester pour la justice le dimanche. Espérance d’une République où la laïcité n’est pas un mot vide, mais le socle qui permet à chacun de croire — ou de ne pas croire — en paix.

« Ô vous qui croyez ! Soyez fermes dans la justice, témoins pour Dieu, fût-ce contre vous-mêmes. » (4:135) Cette injonction coranique est aussi un appel républicain. Soyons ces témoins infatigables : pour la justice, pour la fraternité, pour cette France qui n’a jamais été aussi belle que quand elle ose être multiple.

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Youssouf Omarjee est membre fondateur du collectif Musulmans engagés pour le respect et la concorde par l'inclusion dans l'île de La Réunion (Merci 974).

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