Le dernier sondage réalisé par l’Ifop, intitulé « État des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme en France », mérite une lecture attentive et dépassionnée. Loin de constituer un simple instrument descriptif de la sociologie religieuse, cette enquête s’apparente davantage à un dispositif rhétorique à finalité politique dont l’objectif principal consiste à objectiver et à amplifier une inquiétude préexistante au sein de l’opinion majoritaire.
Sur le plan méthodologique, l’enquête repose sur un échantillon de 1 005 personnes se déclarant musulmanes, extrait d’un échantillon représentatif de la population française selon la méthode des quotas (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région, degré d’urbanisation, nationalité). Administrée par téléphone, elle respecte les standards classiques de l’Ifop et présente, de ce point de vue, une robustesse statistique tout à fait honorable. Le problème ne réside donc pas dans la qualité technique de l’échantillon, mais dans les choix épistémologiques et narratifs qui président à la construction de l’objet d’étude.
Bien qu’elle appelle une lecture critique sur certains de ses présupposés méthodologiques et interprétatifs, l’enquête Ifop conserve une portée indéniable d’utilité publique. Sortir des essentialisations dont les musulmans font l’objet suppose, en premier lieu, que les musulmans eux-mêmes acceptent d’engager une introspection lucide en vue d’une réappropriation décisive de l’espace du commun.
Sur le plan méthodologique, l’enquête repose sur un échantillon de 1 005 personnes se déclarant musulmanes, extrait d’un échantillon représentatif de la population française selon la méthode des quotas (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région, degré d’urbanisation, nationalité). Administrée par téléphone, elle respecte les standards classiques de l’Ifop et présente, de ce point de vue, une robustesse statistique tout à fait honorable. Le problème ne réside donc pas dans la qualité technique de l’échantillon, mais dans les choix épistémologiques et narratifs qui président à la construction de l’objet d’étude.
Bien qu’elle appelle une lecture critique sur certains de ses présupposés méthodologiques et interprétatifs, l’enquête Ifop conserve une portée indéniable d’utilité publique. Sortir des essentialisations dont les musulmans font l’objet suppose, en premier lieu, que les musulmans eux-mêmes acceptent d’engager une introspection lucide en vue d’une réappropriation décisive de l’espace du commun.
Un continuum islam/islamisme qui pose question
Dès le début, l’association systématique de l’« islam » et de l’« islamisme » instaure un cadrage empreint de suspicion : l’islam n’est plus appréhendé comme un fait religieux ordinaire, mais comme un continuum potentiellement menaçant dont l’islamisme constituerait l’extension logique. Cette fusion sémantique contamine l’ensemble de l’appareillage conceptuel. En filigrane court, en effet, un substrat contenant deux interrogations particulièrement anxiogènes : « combien d’islamistes ? » et « combien de fréristes ? ».
En approchant l’islamisme et le frérisme essentiellement sous un « prisme quantitatif », le sondage ne décrit ni les opinions ni les pratiques religieuses ni encore les expériences individuelles ou collectives en lien avec l’islam, mais cartographie un espace qui, sur le plan cognitif, est présenté comme un bloc monolithique potentiellement menaçant, sans tenir compte des lignes de démarcation évidentes. Une agrégation hétéroclite est ainsi faite d’items très disparates : la supériorité accordée aux règles religieuses sur les lois de la République dans certains domaines ; l’idée que la charia devrait s’appliquer, même partiellement, dans les pays non musulmans ; l’expression d’une sympathie, même modérée, envers une mouvance qualifiée d’islamiste.
Ce faisant, le sondage opère une confusion entre piété traditionnelle, conservatisme moral ordinaire et adhésion explicite à un projet théocratique ou politico-religieux, voire à une entreprise subversive à visée terroriste. La frontière entre quête individuelle de spiritualité, conservatisme moral et culturel et radicalisation politique est brouillée, de sorte que tout un spectre large de positions se trouve ramené à la même catégorie pathologique d’« islamisme » qui, de fait, devient un projet politique attentatoire à l’identité du peuple historique français.
Un exemple paradigmatique concerne la question de la charia. Bien que le questionnaire distingue plusieurs modalités et une graduation structurante (application intégrale, application partielle et adaptée, refus d’application), la synthèse médiatique retenue est la suivante : « 46 % des musulmans de France estiment que la charia doit être appliquée dans les pays non musulmans ».
Cette formulation maximaliste occulte la nuance pourtant présente dans les données brutes. De même, le rapport met en exergue le fait que « 38 % des Français musulmans approuvent tout ou partie des positions islamistes », alors que le même tableau indique que 45 % désapprouvent l’ensemble de ces positions. Cette dernière donnée, pourtant plus élevée, n’accède jamais au même niveau de visibilité narrative.
En approchant l’islamisme et le frérisme essentiellement sous un « prisme quantitatif », le sondage ne décrit ni les opinions ni les pratiques religieuses ni encore les expériences individuelles ou collectives en lien avec l’islam, mais cartographie un espace qui, sur le plan cognitif, est présenté comme un bloc monolithique potentiellement menaçant, sans tenir compte des lignes de démarcation évidentes. Une agrégation hétéroclite est ainsi faite d’items très disparates : la supériorité accordée aux règles religieuses sur les lois de la République dans certains domaines ; l’idée que la charia devrait s’appliquer, même partiellement, dans les pays non musulmans ; l’expression d’une sympathie, même modérée, envers une mouvance qualifiée d’islamiste.
Ce faisant, le sondage opère une confusion entre piété traditionnelle, conservatisme moral ordinaire et adhésion explicite à un projet théocratique ou politico-religieux, voire à une entreprise subversive à visée terroriste. La frontière entre quête individuelle de spiritualité, conservatisme moral et culturel et radicalisation politique est brouillée, de sorte que tout un spectre large de positions se trouve ramené à la même catégorie pathologique d’« islamisme » qui, de fait, devient un projet politique attentatoire à l’identité du peuple historique français.
Un exemple paradigmatique concerne la question de la charia. Bien que le questionnaire distingue plusieurs modalités et une graduation structurante (application intégrale, application partielle et adaptée, refus d’application), la synthèse médiatique retenue est la suivante : « 46 % des musulmans de France estiment que la charia doit être appliquée dans les pays non musulmans ».
Cette formulation maximaliste occulte la nuance pourtant présente dans les données brutes. De même, le rapport met en exergue le fait que « 38 % des Français musulmans approuvent tout ou partie des positions islamistes », alors que le même tableau indique que 45 % désapprouvent l’ensemble de ces positions. Cette dernière donnée, pourtant plus élevée, n’accède jamais au même niveau de visibilité narrative.
Objectiver l’angoisse
L’expression « tout ou partie » est d’une extrême ambiguïté : elle peut recouvrir l’adhésion à un simple principe considéré comme moral (par exemple le port du voile) aussi bien qu’un agenda politique radical, mais tout est agrégé sous la même étiquette. La même logique prévaut pour la sympathie envers les « mouvances islamistes » (Frères musulmans, salafisme, wahhabisme, djihadisme…). Le chiffre mis en avant est : « 38 % affichent de la sympathie pour au moins une mouvance islamiste ». Autrement dit, 62 % n’en affichent aucune – chiffre qui, curieusement, n’est jamais mis en avant ni valorisé.
Après quelques questions anodines sur la pratique religieuse, le Ramadan ou le port du voile, l’enquête bascule rapidement vers des thématiques hautement conflictuelles : droit à l’apostasie, application de la charia, primauté des règles religieuses sur les lois de la République, puis islamisme, Frères musulmans, djihadisme. La focale est presque exclusivement sécuritaire et antagoniste.
En définitive, ce sondage ne propose pas une photographie neutre ou « objective » des musulmans de France, mais représente un dispositif rhétorique destiné à objectiver l’angoisse de la société majoritaire : « Combien d’islamistes parmi nous ? Combien de fréristes chez les jeunes ? ». Les catégories analytiques sont celles-là mêmes de cette angoisse collective. Or, à partir des mêmes données, une tout autre histoire pourrait être racontée : celle d’une majorité de Français musulmans qui n’éprouvent aucune sympathie pour les mouvances islamistes et qui, pour une proportion encore plus importante, en désapprouvent explicitement les positions. Le choix de ne pas raconter cette histoire-là est, en lui-même, une représentation politique.
L’enquête réalisée par l’Ifop, bien qu’elle appelle une lecture critique sur certains de ses présupposés méthodologiques et interprétatifs, conserve une portée d’utilité publique indéniable. Ces éléments sont développés dans un second article que voici.
*****
Hamid Derrouich est docteur en science politique.
Lire aussi :
Sondage Ifop sur les musulmans de France : une étude orientée aux nombreux biais méthodologiques
Face aux failles du sondage Ifop sur les musulmans de France, des CDCM font appel à la justice
Après quelques questions anodines sur la pratique religieuse, le Ramadan ou le port du voile, l’enquête bascule rapidement vers des thématiques hautement conflictuelles : droit à l’apostasie, application de la charia, primauté des règles religieuses sur les lois de la République, puis islamisme, Frères musulmans, djihadisme. La focale est presque exclusivement sécuritaire et antagoniste.
En définitive, ce sondage ne propose pas une photographie neutre ou « objective » des musulmans de France, mais représente un dispositif rhétorique destiné à objectiver l’angoisse de la société majoritaire : « Combien d’islamistes parmi nous ? Combien de fréristes chez les jeunes ? ». Les catégories analytiques sont celles-là mêmes de cette angoisse collective. Or, à partir des mêmes données, une tout autre histoire pourrait être racontée : celle d’une majorité de Français musulmans qui n’éprouvent aucune sympathie pour les mouvances islamistes et qui, pour une proportion encore plus importante, en désapprouvent explicitement les positions. Le choix de ne pas raconter cette histoire-là est, en lui-même, une représentation politique.
L’enquête réalisée par l’Ifop, bien qu’elle appelle une lecture critique sur certains de ses présupposés méthodologiques et interprétatifs, conserve une portée d’utilité publique indéniable. Ces éléments sont développés dans un second article que voici.
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Hamid Derrouich est docteur en science politique.
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