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Religions

Marseille : un Aïd 2010 pas moutonnier

Rédigé par Antoine Dreyfus | Vendredi 19 Novembre 2010 à 23:35

           

L’historique et symbolique site de Saint-Louis, dans le 15e arrondissement de Marseille, n’a pas fonctionné cette année, à cause d’une brouille entre les chevillards marseillais et la mairie. Résultat : c’était la bousculade.



En l'absence de l'abattoir temporaire du site de Saint-Louis à Marseille, de nombreux Marseillais se sont rabattus vers les abattoirs environnants. Ici, celui de Pennes-Mirabeau, à 17 km au nord de Marseille.
En l'absence de l'abattoir temporaire du site de Saint-Louis à Marseille, de nombreux Marseillais se sont rabattus vers les abattoirs environnants. Ici, celui de Pennes-Mirabeau, à 17 km au nord de Marseille.
Ils l’ont fait. Les chevillards qui menaçaient de déserter le site de Saint-Louis dans le 15e arrondissement de Marseille ont finalement mis leur menace à exécution. La dalle en béton de Saint-Louis était diablement déserte. Et les 1 700 bêtes qui auraient dû être présentées il y a deux semaines pour être choisies par les fidèles ne sont jamais venues à Saint-Louis.

Pourtant, ce site, où est normalement prévue l’implantation de la future Grande Mosquée de Marseille – dossier qui reste en suspens pour le moment – fait partie de l’histoire des musulmans de Marseille : cela fait vingt ans que des Marseillais des quartiers populaires viennent choisir leur bête, attendent avec leur ticket et repartent avec les carcasses pour célébrer l’Aïd en famille ou avec des amis.

Le site de Saint-Louis fermé

Si Saint-Louis n’a pas fonctionné cette année, c’est le résultat d’une brouille opposant la mairie de Marseille et le Comité des chevillards marseillais (CCM), ceux qui assurent la commercialisation et l’abattage des moutons. Ceux-ci pestent contre la mairie en soulignant qu’ils ne savent jamais si le site sera disponible ou pas. Il y a deux ans, pour des raisons de sécurité, le bâtiment (un ancien abattoir municipal) qui accueillait les consommateurs et les moutons a dû être détruit. Le CCM a donc dû investir « à la hâte » dans des structures démontables pour l’accueil et l’abattage.

En 2009, le Comité des chevillards assure qu’il n’a eu l’accord de la mairie qu’un mois avant l’événement. Et cette année, les difficultés se sont accentuées, car le terrain devait accueillir les premiers travaux de la Grande Mosquée : dans un premier temps, la Direction des emplacements de la mairie avait indiqué que le lieu n’était pas disponible… pour revenir ensuite sur sa décision.

D’où la colère du Comité des chevillards marseillais : « Forts des assurances antérieures des pouvoirs publics, souligne Salah Benmessaoud, porte-parole des chevillards, nous avons beaucoup investi en matériel (plus de 200 000 euros) en énergies d’organisation et en solutions qui permettent tout à la fois de respecter les normes sanitaires et le bon traitement des animaux sacrifiés. » Et malgré les intempéries hivernales de 2009, le CCM a, « malgré tout, parfaitement assuré et contrôlé celle manifestation », dit encore Salah Benmessaoud.

Mairie de Marseille et Comité des chevillards s’opposent

Dans la ligne de mire des organisateurs : Martine Vassal, maire adjointe chargée des Emplacements. Dans son bureau de la mairie installé sur le Vieux Port, celle-ci souligne d’emblée que, « depuis vingt ans et sans obligation légale, la Ville de Marseille met gracieusement à la disposition du Comité des chevillards marseillais, pour la célébration de l’Aïd, le site des anciens abattoirs de Saint-Louis et prend diverses mesures techniques pour éviter l’abattage illégal, assurer la sécurité sanitaire, préserver l’hygiène et accueillir dans de bonnes conditions le public nombreux qui se rend ce jour-là à Saint-Louis ».

Elle poursuit : « Le CCM n’a jamais véritablement investi dans le site alloué, ne serait-ce qu’en assurant un minimum d’entretien des bâtiments d’une année à l’autre. Bien au contraire ! Il s’est contenté de profiter de l’acquis. En 2008, les pluies diluviennes ont entraîné l’effondrement partiel du toit et infligé des dégâts importants et irréversibles aux bâtiments. »

En 2009, affirme Martine Vassal, la mairie a proposé aux chevillards trois terrains dans le 15e arrondissement. « Nous n’avons pas eu de réponses… Le CCM a continué à faire la sourde oreille et à jouer la montre. Il n’a pas déposé de dossier d’agrément et n’a pas participé aux réunions de préparation à la préfecture. »

D’autant, ajoute-t-elle, que l’emplacement de Saint-Louis « nous coûte 30 000 euros » (pour l’installation en eau, les barrières, la paille, le personnel municipal, les médiateurs, etc.). « Cela ressemble à une opération commerciale et la mairie n’a pas vocation à financer ce genre de commerces », glisse la maire adjointe, qui ajoute avoir entendu parler cette année de moutons vendus 250 euros la pièce, contre les 180 euros habituels…

Aïd à Marseille : grosse pagaille ?

Bref, rien ne va plus. Et faute de cet emplacement historique et symbolique, l’Aïd de cette année 2010 s’est déroulé dans des conditions tendues. Avec une première journée, le mardi 16 novembre, extrêmement chargée…

Aux Pennes-Mirabeau, sur le site Campagne-Artiphel, les consommateurs ont dû attendre facilement quatre heures, le premier jour de l’Aïd. « J’y suis allé le premier jour, raconte Mme Bekoumit. Comme nous le faisons chaque année. Il y avait trop de monde. J’ai renoncé. Et j’y suis retournée mercredi 17 novembre. Là, ça allait : juste une demi-heure d’attente. Mais ma sœur a attendu cinq heures le premier jour ! » Pour cette mère de famille de quatre enfants, « il faudrait plus d’abattoirs » sur la région marseillaise.

Faute de Saint-Louis, Salah Benmessaoud, le porte-parole des chevillards, s’est installé aux Pennes-Mirabeau. Et pour lui, c’était aussi la grosse pagaille : 600 bêtes ont été abattues au lieu des 400 prévues par la préfecture. Derrière les barrières, c’était la bousculade. « On a été complètement débordés. Il y avait beaucoup trop de demandes, pestait le chevillard. Saint-Louis nous manque. Des gens risquent de prendre leur mouton pour les sacrifier chez eux ! », laisse-t-il entendre.

Cette effervescence n’était pas sans conséquences sur le rite et l’hygiène. Patrick Brun, le vétérinaire de la préfecture, a en effet constaté que les conditions n’étaient pas optimales : « Il y avait trop de gens. Et cette proximité a gêné les professionnels. »

Les mêmes scènes se sont répétées dans tous les lieux d’abattage autour de Marseille. Sur le papier, la préfecture des Bouches-du-Rhône rappelle qu’il y avait cette année, dans le département, douze sites d’abattage, dont deux pérennes, et que « le sacrifice peut se dérouler pendant trois jours. Il n’y a aucune obligation à venir le premier jour au matin faire sacrifier son mouton ».

« Oui, dans l’idéal, on peut profiter des trois jours, rétorque Maurad Goual, maire adjoint de Marseille, qui est allé faire la tournée des popotes pendant l’Aïd. Mais, en réalité, les gens ne prennent qu’une journée de travail pour à la fois participer à la prière et aller chercher leur mouton. » D’où l’importance de Saint-Louis, qui a cruellement fait défaut cette année.






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