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Points de vue

Des racines profondes de la crise au CFCM émerge le Forum de l'islam de France

Rédigé par Mohammed Moussaoui | Vendredi 4 Février 2022 à 12:55

           


Des racines profondes de la crise au CFCM émerge le Forum de l'islam de France
Toutes les représentations des cultes de notre pays ont dû s’adapter à un moment de leur histoire pour être en phase avec de nouveaux contextes. Celles du culte musulman est à ce carrefour. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) aurait pu opérer son évolution dans la continuité, loin des soubresauts et de la crise qu’il connaît ces derniers mois.

Une rétrospective et une analyse objective des ingrédients de cette crise montrent que les racines de celle-ci sont profondes. À sa création, les fédérations qui le composent ont souhaité que le CFCM soit une « structure légère », réduite à « un simple guichet à travers lequel ses fédérations parlent aux pouvoirs publics ». L’instance n’a jamais disposé de plus d’un salarié et s’est même trouvée sans aucun salarié. Les fédérations s’acquittent rarement de leur quotepart financière dans le fonctionnement du CFCM.

Contrairement à cette position des fédérations, les musulmans de France et les pouvoirs publics attendaient du CFCM qu’il assume une mission qui est beaucoup plus qu’un simple guichet. Certains voyaient en le CFCM non seulement l’instance représentative du culte musulman, mais aussi une institution communautaire qui devait défendre les intérêts des musulmans de France sur presque tous les domaines de leur vie. C’est sans doute ce malentendu qui a créé un fossé entre le CFCM et les musulmans de France.

L’ancien président Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur chargé des cultes, avait émis de fortes réserves sur la pérennisation de ce format de simple espace de dialogue sous tutelle de fédérations. Il espérait sans doute le voir évoluer ultérieurement. Malheureusement, les fédérations se sont définitivement renfermées sur elles-mêmes sans jamais mutualiser leurs moyens.

Le CFCM miné par un système antidémocratique de cooptation

Au lieu de traiter ces vraies causes de l’incapacité du CFCM à agir, les fédérations ont voulu lui donner légitimité en essayant de lui faire adhérer plus de mosquées. Or, malgré la suppression de toute cotisation, à peine 1 000 parmi les 2 700 mosquées de France ont participé aux dernières élections du CFCM.

Un doute s’est installé chez les musulmans de France sur la capacité du CFCM à évoluer. Le système antidémocratique de cooptation qui donne aux fédérations - dites statutaires - le pouvoir de désigner la majorité de ses membres sans passer par la case élection, a empêché l’émergence de nouveaux acteurs. Ainsi, avec seulement 12 élus, les quatre fédérations (FFAIACA, GMP, MF et RMF) jouissent d’un « droit de véto » via leurs 30 cooptés leur permettant d’empêcher toute réforme du CFCM.

Lire aussi : Mohammed Moussaoui : « Le CFCM des fédérations est arrivé à son terme »

Un climat délétère de division qui s’est aggravé avec le temps

Par ailleurs, le projet de la charte des principes pour l’islam de France, initié en novembre 2021, a été émaillé par de grandes tensions entre fédérations. Certaines ont été accusées par d’autres fédérations d’être « la composante islamiste du CFCM ». Avec le retrait de la Grande Mosquée de Paris en décembre 2021 et sans la médiation des pouvoirs publics, ce projet de charte a failli s’arrêter net.

Le CFCM aurait pu capitaliser sur le texte de la charte qui est une contribution importante dans la lutte contre l’extrémisme et l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques. Mais, au moment de sa signature devant le président de la République en janvier 2021, les trois fédérations (CCMTF, CIMG et FP) ont refusé de signer, créant un climat délétère de division qui va s’aggraver par des réactions disproportionnées de certains signataires de la charte. Leur demande de ne plus réunir le bureau du CFCM tant que des non signataires y siègent mettait le CFCM dans l’illégalité et précipitait sa fin.

La nomination du nouvel aumônier national des prisons à la demande du Garde des sceaux a engendré de nouvelles tensions. Le choix à l’unanimité d’un candidat, non affilié à aucune fédération, a été le prétexte pour les quatre fédérations (FFAIACA, GMP, MF et RMF) de démissionner du bureau du CFCM en mars 2021, tout en gardant leur « droit de véto » au sein de l’Assemblée Générale. Ceci leur a permis de bloquer la réforme du CFCM de juillet 2021 qui prévoyait le renouveau démocratique des instances représentatives du culte musulman par la base via les départements et la fin de la tutelle des fédérations sur l’islam de France.

Lire aussi :
Une réforme des statuts du CFCM balayée, une crise de la représentation de l'islam de France qui perdure

Un climat de division sans précédent provoqué par la Coordination

Tout en paralysant le CFCM, ces fédérations démissionnaires ont par ailleurs créé une coordination pour mettre en place « une nouvelle instance représentative du culte musulman ». Cette coordination s’est arrogée des prérogatives du CFCM et s’est aussi appropriée le travail effectué au sein du CFCM sur le Conseil national des imams (CNI).

Depuis, le recteur de la GMP, devenu de fait le dirigeant de la Coordination, n’a cessé de rappeler sa décision de tourner la page du CFCM : « Le CFCM a fait son temps, il faut tourner la page, il faut le dissoudre (…) Quel serait l’intérêt d’une instance représentative ? La priorité est d’essayer de créer une forme d’adhésion large autour du CNI, qui doit devenir une sorte de consistoire. » (Le Monde, 6 janvier 2022)

Dans ce climat de division sans précédent provoqué par la Coordination, les pouvoirs publics ont décidé de fermer « ce guichet » qu’est le CFCM, sans pour autant accorder de prééminence à la coordination ni au conseil des imams qu’elle a créé. À la place, le ministre de l’Intérieur a préféré lancer le Forum de l’islam de France (FORIF) dans une démarche indépendante des fédérations.

Quel avenir possible aux travaux du FORIF ?

Avec ses différents ateliers, le FORIF est présenté comme un espace de dialogue et de réflexion sur les grands dossiers de l’islam de France (aumôneries, formation et statut des imams, sécurisation des lieux de culte et lutte contre les actes antimusulmans, mise en œuvre de la loi confortant le respect des principes de la République). La réflexion du FORIF pourrait porter également sur la mise en place d’une nouvelle représentation du culte musulman. Mais le FORIF n’a pas pour autant vocation à assurer la représentation du culte musulman.

Sans une réflexion sérieuse sur le financement du culte musulman, les propositions qui sortiront des quatre ateliers du FORIF n’auront aucune chance de prospérer.

S’agissant de la représentation du culte musulman, une large concertation auprès des acteurs du terrain doit avoir lieu afin de mettre en place des structures départementales. Celles-ci, fortes de leur légitimité, seront la base de la nouvelle représentation du culte musulman.

Quant à la Coordination, elle pensait pouvoir imposer son CNI comme alternative au CFCM mais les pouvoirs publics ont clairement fait comprendre que cela n’était pas à l’ordre du jour. Mécontente de l’orientation des pouvoirs publics, la Coordination a appelé le 13 janvier à une réunion « décisive pour l’islam de France ». L’invitation ayant été déclinée par les non démissionnaires du CFCM, cette réunion a été annulée. Dans une démarche inattendue, la Coordination a adressé le 14 janvier au CFCM un message pour demander le retour du recteur de la GMP à la tête du CFCM.

Rappelant que le recteur est démissionnaire, le bureau du CFCM a réaffirmé le 16 janvier 2022 sa décision prise le 11 janvier 2022 de confier la direction à sa présidence collégiale telle que définie par ses statuts. Cette direction transitoire ira jusqu’à l’Assemblée Générale Extraordinaire (AGE), prévue le 19 février 2022. En réaction, le recteur a annoncé que « la fédération de la Grande Mosquée de Paris réitère son retrait total et définitif de toutes les instances du CFCM ».

Avec le recul, le constat de la mort du CFCM exprimé le 7 décembre 2021 par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ne faisait que souligner l’état de déliquescence dans lequel l’instance se trouvait. La Coordination en est en grande partie responsable.

Espérons que la proposition du bureau du CFCM de réunir son AGE le 19 février 2022 pour décider du devenir du CFCM permettra d’éveiller les consciences des uns et des autres et tirer les leçons des erreurs du passé pour l’émergence de nouvelles instances représentatives que méritent le culte musulman et les musulmans de France.

*****
Mohammed Moussaoui est président de l’Union des mosquées de France (UMF).

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Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 04/02/2022 16:15 | Alerter
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Remarquable exposé testamentaire d'une organisation qui semble avoir fait son temps. Mais l'histoire mérite d'en être faite plus complètement:
https://journals.openedition.org/assr/1113#bodyftn16

En gros:
- depuis le début l'UOIF "proche des frères musulmans" joue un rôle central dans la défense d'une interprétation "globalisante" de l'islam, indépendante des pays du maghreb, mais avec l'aide des pays du golfe.
- Chevènement tenta d'inspirer une approche stricte de la laïcité, ne laissant les religions s'exprimer que dans la sphère privée, et dans la sphère publique que dans le cadre de "la raison commune à tous".
- Ce fut Nicolas Sarkozy, le véritable créateur du CFCM, qui favorisa une reconnaissance des croyances par l'Etat. Il déverrouilla en quelque sorte le rôle de l'UOIF, pour rendre possible la représentation publique de l'islam.
- par impétuosité, il provoqua le célèbre avis du recteur d'Al Azhar :
"lorsqu'une femme musulmane se conforme aux lois d'un pays non musulman, du point de vue de la charia islamique, elle se trouve dans le statut de personne contrainte." (pardonnée par Dieu).

L'histoire continue...

2.Posté par Premier janvier le 02/03/2022 18:24 | Alerter
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François. Dans tous les cultes il y a des fondamentalistes. Vous décrivez la lune.
L'islam à des courants religieux mais n'a pas de chapelle.


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