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Monde

Dépénalisation de l'homosexualité, égalité dans l'héritage... des sujets tabous sur la table en Tunisie

Rédigé par Lina Farelli | Vendredi 22 Juin 2018 à 08:00

           


Les membres de la Colibe réunis ici lors de la remise de leur rapport au président Tunisie Béji Caïd Essebsi le 8 juin. © Présidence tunisienne
Les membres de la Colibe réunis ici lors de la remise de leur rapport au président Tunisie Béji Caïd Essebsi le 8 juin. © Présidence tunisienne
Se dirige-t-on vers une révolution sociétale en Tunisie ? Plusieurs jours après la remise de son rapport au Palais de Carthage, la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), créée en août 2017 par le président Béji Caïd Essebsi, a rendu public, mercredi 20 juin, un document relatant plusieurs propositions de réformes inédites dans le monde arabe. Des suggestions qui s’attaquent à des sujets souvent tabous dans les sociétés arabes.

La présidente de la Colibe, Bochra Belhaj Hmida, a affirmé, lors de la conférence de presse présentant les propositions, qu’il s’agit d’un « projet révolutionnaire qui appartient maintenant à tous les Tunisiens » et qui cherche à apporter « le bien-être à chaque individu ».

Reconnaissante envers le président tunisien, cette députée a reconnu auprès de Libération que cette réforme reste « une opportunité historique qui, peut-être, ne se représentera pas ».

Les sujets sensibles mis sur le tapis

Parmi les 230 pages de propositions, trois sujets particulièrement sensibles dans les pays arabes sont évoqués. « Sur l’homosexualité, notre première mesure est l’abrogation de l’article 230 du Code pénal (qui criminalise les relations homosexuelles). La seconde, c’est d’abandonner la peine de prison qui peut aller jusqu’à trois ans et d’interdire l’usage du test anal, utilisé aujourd’hui pour prouver une relation homosexuelle », explique la présidente de la Colibe à Libération.

Deuxième sujet chaud qui fait aussi débat au Maroc, l’application du principe d’égalité en matière d’héritage, notamment entre frères et sœurs, maris et femmes ou parents et enfants ; sauf formulation expresse du testateur de son vivant. Pour le cas de la femme, elle « ne peut renoncer à sa moitié d’héritage qu’à la seule condition qu’elle l’exprime clairement » et des mesures sont prévues pour contourner les pressions familiales qui iraient contre ce sens.

Tout autant sensible, la question de l’abolition de la peine de mort est aussi mise sur la table. Pour Bochra Belhaj Hmida, « nous ne pouvions pas élaborer des lois fondées sur des valeurs universelles d’humanisme en maintenant des peines inhumaines ».

La députée a insisté sur le fait qu’« à aucun moment » la Colibe n’a subi de pressions.

Des résistances nombreuses face aux propositions

A la diffusion des propositions, un appel aux débats de fond a été lancé auprès des sociologues, des politologues, des théologiens et des psychologues. Bochra Belhaj Hmida en appelle également à la jeunesse tunisienne à « jouer son rôle » pour « faire accepter ces changements ».

Alors que la Tunisie évolue dans une conjoncture politique assez tendue, principalement en raison des élections présidentielle et législatives qui se dérouleront en 2019, ces mesures ne suscitent pas l’enthousiasme général. Tandis que les associations de défense des droits de l’homme saluent ces mesures, d’autres institutions, entre autres religieuses, affichent leur scepticisme.

Pour Sabri Abdelghani, imam et membre d'une coordination d’associations religieuses, les mesures proposées par la Colibe s’apparentent à « un terrorisme intellectuel qui veut faire éradiquer l’identité tunisienne pour laisser notre peuple sans religion, sans identité ». Il estime par ailleurs que certaines propositions vont contre certains versets du Coran, ce qui indigne ce responsable religieux.

De son côté, le politologue Hamza Meddeb, interrogé par l'AFP, craint que « ces propositions, aussi bonnes et aussi progressistes soient-elles, risquent d’être instrumentalisées par les conservateurs pour mobiliser leurs camps », à quelques mois des élections.

« J’espère qu’il sera instrumentalisé », déclare la présidente du Colibe à L'Economiste maghrébin. « D’ailleurs, je lance un appel à tous les partis politiques qui souhaitent défendre les libertés et l’égalité à assumer leur responsabilité devant le peuple. »

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