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Culture & Médias

Contre l'islamophobie ordinaire, halte aux « islamologues de comptoir »

Rédigé par | Lundi 4 Mars 2013 à 11:00

           

Une jeune femme empêchée de passer l’examen du permis de conduire en raison de son voile : l’inspectrice était persuadée que l’élève ne serait pas capable d’écouter les consignes, pensant que le tissu lui boucherait les oreilles. Loin d’être une blague, cette histoire vraie dont a fait écho Saphirnews aurait très bien pu se retrouver dans le « Petit précis de l'islamophobie ordinaire », joliment écrit par Nadia Henni-Moulaï.



La journaliste Nadia Henni-Moulai, auteur du i[« Petit précis de l'islamophobie ordinaire »]i.
La journaliste Nadia Henni-Moulai, auteur du i[« Petit précis de l'islamophobie ordinaire »]i.
17. C'est le nombre de nouvelles que compte le « Petit précis de l'islamophobie ordinaire », toutes aussi loufoques les unes que les autres tant les clichés véhiculés sur les musulmans par les « islamologues de comptoir » sont grotesques. Des chroniques réalistes de l'islamophobie ordinaire que Nadia Henni-Moulaï a décidé de recenser après qu’une amie lui eut conté une anecdote vécue liant islam et grippe A.

Quel rapport, diriez-vous ? Aucun, sauf pour Nicole, directrice de cabinet dans une mairie francilienne, qui s’est employée à démontrer qu’avec l’arrivée du Ramadan « il va y avoir une recrudescence de grippe A » car les jeûneurs ne peuvent « avaler leur salive ». « Donc vous crachez ! (…) J’en ai vu souvent cracher pendant le ramadan », avait-elle alors conclu. Parce que tous les cracheurs sont musulmans après tout avec Nicole… Le parallèle est sidérant.

L’idée est simple : « Relever toutes les remarques que les musulmans, réels ou supposés, peuvent se prendre au quotidien dans le milieu professionnel ou même amical. Toutes ne relèvent pas du racisme mais ces remarques pernicieuses, qui prennent la tête, conduisent à la mise en place d’un climat délétère », nous explique l'auteure, journaliste de profession.

« On ne peut pas faire l’économie du savoir »

Pourtant, les personnes à l’origine des préjugés insidieux et elles-mêmes citées dans le livre ne sont « pas des gens incultes », la plupart étant des cadres, des directeurs ou encore des jeunes étudiants aux parcours brillants « dont on suppose qu’ils ont un bagage intellectuel minimal » : l’islamophobie n’est « pas intellectualisée » et « est présente dans toutes les couches de la société », fait-elle ainsi remarquer.

« Ils pensent connaître l’islam en ne regardant que TF1 et ses reportages. Mais avant de donner un avis tout fait, il faut savoir que l’islam requiert plus de lectures. Même les plus pratiquants doivent faire cet effort de savoir et de documentation alors je n’imagine même pas les non-musulmans ! On ne peut pas faire l’économie du savoir », affirme Nadia Moulaï avec force.

Cependant, pour l’auteure, l’ignorance n’est pas la seule cause de l’islamophobie. Il existe « un vrai rejet de l’islam dans la société française, un racisme structurel qui n’est pas seulement le fait de l’ignorance » ou de « l’islamo-bêtise » des « islamologues de comptoir », dit-elle.

Couverture du « Petit précis de l'islamophobie ordinaire »
Couverture du « Petit précis de l'islamophobie ordinaire »

Des tranches de vies compilées avec humour

Si l’islamophobie et le racisme plus globalement ne font nullement rire, l’auteure a délibérément choisi de compiler des tranches de vie du quotidien sur le mode de l’humour des clichés véhiculés sur l’islam « pour renvoyer à la face des ignorants la sottise dont ils font preuve ». La couverture du livre évoque d'ailleurs bien l'affaire des pains au chocolat de Jean-François Copé. Sur un fond bleu, blanc, rouge, un barbu en djellaba tout sourire shoote sur les viennoiseries.

Le livre, qui paraît léger de prime abord, relève toutefois une triste réalité qu’est la montée de l’islamophobie. La préface de Marwan Muhammad, porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), vient poser le débat. « Le principal danger d’une islamophobie en constante recomposition réside dans sa capacité à s’exprimer dans des formes toujours plus banalisées », rappelle-t-il.

L'islam, « une ligne de fracture » en France

Nadia Moulaï n’hésite pas à faire un parallèle avec le Code de l’indigénat qui fut en vigueur en Algérie colonisée. « Les indigènes pouvaient acquérir la nationalité française à partir du moment où ils mettaient de côté leur appartenance à l’islam. Une ligne de fracture s’est créée, on jugeait déjà que l’islam n’était pas compatible avec la France, créant des citoyens de seconde zone dans l’idée de la citoyenneté française », s’explique-t-elle.

« Mais nous ne sommes plus aujourd’hui face à des chibanis qui veulent rester discrets ou qui ne comprennent pas bien la langue, il y a toute une génération de jeunes qui sont Français et qui demandent juste que leur appartenance à la religion ne soit pas un motif de discrimination. Ils veulent faire valoir leurs droits mais, pour beaucoup, on sous-entend qu’ils sont dans la revendication », déplore la journaliste, qui déclare en vouloir aux médias mainstream.

Une certitude : Nadia Henni-Moulaï a largement de quoi faire un tome 2 tant les anecdotes de « l’islamophobie ordinaire » se ramassent à la pelle. Malheureusement. La jeune femme a tout de même le mérite de les coucher sur papier dans l'espoir d'éveiller quelques consciences endormies.

Petit précis de l'islamophobie ordinaire, de Nadia Henni-Moulaï, Ed. Les points sur les I, décembre 2012, 121 p., 13 €.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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