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Politique

Assimiler l’antisionisme à l'antisémitisme : la dangereuse voie vers une pénalisation dénoncée

Rédigé par Benjamin Andria | Mardi 19 Février 2019 à 08:00

           


Assimiler l’antisionisme à l'antisémitisme : la dangereuse voie vers une pénalisation dénoncée
Les insultes dont l’académicien Alain Finkielkraut a été la cible en marge d’une manifestation des gilets jaunes samedi 16 février ont soulevé une vague d’indignation unanime dans la classe politique, qui a dénoncé dans son ensemble la résurgence d’un antisémitisme crasse déguisée en antisionisme.

Dans la foulée, le député LREM Sylvain Maillard a annoncé sa volonté de réunir le groupe d’étude parlementaire sur l’antisémitisme mardi 19 février en vue de déposer une résolution, voire même une proposition de loi reconnaissant l’antisionisme comme antisémitisme. Une mesure soutenue par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), un soutien invétéré d'Israël qui organise son dîner annuel mercredi 19 février.

Aux yeux de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, « il faut faire attention à ce que l’on veut condamner » mais la question « mérite un débat au Parlement ».*

Une dangereuse confusion

La liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des principes fondamentaux consacrés, entre autres textes, dans l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 stipulant que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » ainsi que dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prescrivant dans son article 10 que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».

L’antisémitisme n’est assurément pas une opinion mais un délit qui, à l’instar de toutes les formes de racisme, est puni par la loi, comme le rappelle ici la Délégation interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).

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L’antisionisme est, au contraire, l’expression de l'opposition au mouvement politique visant à la création puis à la consolidation d’un Etat juif en Palestine. Il tend aujourd'hui à critiquer les politiques successives menées depuis des décennies par Israël à l’encontre des Palestiniens. Pour le journaliste Dominique Vidal qui s'est exprimé sur FranceInfo, « l’antisionisme est une pensée politique et n’a donc rien à voir avec le fait de développer la haine des juifs ».

« Faire très attention à ne pas, du fait de notre émotion, faire des choses qui sont ensuite contre-productives »

Condamner l'antisionisme, « ce serait comme si les communistes demandaient une loi pour réprimer l'anticommunisme ou si les libéraux demandaient une loi pour réprimer l'altermondialisme. On entrerait dans un processus totalitaire où on exigerait que des opposants soient muselés au nom de leur idéologie », alerte Dominique Vidal.

Assimiler l’antisionisme à l'antisémitisme : la dangereuse voie vers une pénalisation dénoncée
Quant à ceux qui usent du tour de « passe-passe linguistique » consistant à utiliser l'antisionisme comme masque de leur antisémitisme comme le font les partisans de Dieudonné et d'Alain Soral, pas de place à l'ambiguïté : ils sont antisémites et l'arsenal juridique existe pour les sanctionner. « Il n’y a pas de vide juridique. L’arsenal actuel permet d’embrasser tout type de cas de figure et de réprimer tout fait grave », appuie auprès de Libération le ministère de la Justice.

« L'antisionisme n'est pas un délit, sauf lorsqu'il cache l'antisémitisme. C'est au juge, et non au législateur, de faire ressortir au cas par cas l'intention raciste », fait valoir aussi, via Twitter, la magistrate et députée Laurence Vichnievsky.

« De façon générale, je ne suis pas pour aller dans une sorte de course permanente vers la pénalisation des choses qui nous déplaisent. Il faut plutôt compter sur l'éducation, le débat, et puis il y a de toute façon dès aujourd'hui un antisionisme qui est bien sûr le masque d'un antisémitisme, mais qui peut justement se détecter comme tel », a fait savoir le ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer . « il faut faire très attention à ne pas, du fait de notre émotion, faire des choses qui sont ensuite contre-productives. »

*Mise à jour mercredi 20 février : Face à l'antisémitisme, Emmanuel Macron s'oppose à une pénalisation de l'antisionisme

Des juifs clament en chœur leur antisionisme

Criminaliser l'antisionisme ? Pour l’Union juive française pour la paix (UJFP) qui dénonce une loi « liberticide », c’est précisément ce qu'il ne faut pas faire et le fait savoir en se revendiquant ouvertement « antisioniste ». « Nous sommes antisionistes parce que nous refusons la séparation des Juifs du reste de l’humanité », signifie l’association dans un communiqué en date du lundi 18 février.

Assimiler l’antisionisme à l'antisémitisme : la dangereuse voie vers une pénalisation dénoncée
« Nous sommes antisionistes parce la Nakba, le nettoyage ethnique prémédité de la majorité des Palestiniens en 1948-49 est un crime qu’il faut réparer. Nous sommes antisionistes parce que nous sommes anticolonialistes. Nous sommes antisionistes par ce que nous sommes antiracistes et parce que nous refusons l’apartheid qui vient d’être officialisé en Israël. Nous sommes antisionistes parce que nous défendons partout le « vivre ensemble dans l’égalité des droits », martèle l’UJFP.

Une manifestation « contre l’antisémitisme et son instrumentalisation »

L’UJFP, avec plusieurs autres associations et une soixantaine de personnalités du monde universitaire et de la société civile, ont signé un texte « contre les actes antisémites, contre leur instrumentalisation, pour le combat contre toutes les formes de racisme », annonçant une manifestation à Ménilmontant, à Paris, mardi 19 février à 19h, en même temps que celle réunissant l'ensemble des partis politiques français – à l’exception du Front national – place de la République, en présence du Premier ministre Edouard Philippe et de plusieurs membres du gouvernement.

« La lutte contre l'antisémitisme fait partie à part entière de notre combat antiraciste. Nous condamnons fermement les actes antisémites, qui surgissent dans un contexte social et politique particuliers », font part les signataires, qui refusent de se joindre à la manifestation transpartisane. « L'antisémitisme est une affaire bien trop grave pour la laisser à celles et ceux qui, jour après jour, s'emploient à stigmatiser et à réprimer les minorités. (…) Nous ne manifesterons pas ni ne participerons à la grand-messe organisée par les forces et partis politiques, ceux qui se disent progressistes avec ceux qui s'inscrivent contre le mouvement social » des gilets jaunes.

« L'antiracisme que nous revendiquons reconnaît la responsabilité politique du gouvernement français et des forces politiques alliées qui défileront avec lui. Manifester contre le racisme avec ceux qui, LREM en tête, en sont responsables et l’instrumentalisent relève pour nous de la contradiction et de la faute politique », estiment-ils, refusant d’être pris « en otage entre les instrumentalisations du gouvernement ou celles des officines et ambassades poursuivant un agenda n'ayant rien à voir avec le combat contre le racisme et l'antisémitisme ».

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