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Religions

La Grande Mosquée de Paris, aux couleurs africaines, fait sa rentrée

Rédigé par | Vendredi 1 Octobre 2021 à 08:00

           

C’est en offrant un dîner placé sous le thème de l’Islam et l’Afrique au XXIe siècle que la Grande Mosquée de Paris a entamé sa rentrée mardi 21 septembre. Un format de rencontre que le recteur, auteur d'un récent « Manifeste contre le terrorisme islamiste », a utilisé pour y faire l’annonce du lancement prochain d'une université numérique liant la France et le continent africain.



Il est 19h30 quand, dans une ambiance de retrouvailles, quelques dizaines d’invités patientent devant les portes encore closes de la fameuse salle des conférences de la Grande Mosquée de Paris, tandis que d’autres convives, sous un ciel dégagé qui voit le soleil toucher l’horizon, se dirigent vers la salle d’ablutions pour se préparer à l’office religieux d'Al-Maghrib. Une fois la prière terminée, les portes s’ouvrent sur de belles tables portant chacune une inscription avec le nom d'une des célèbres mosquées de l’Afrique subsaharienne.

C’est dans ce décor que le recteur Chems-Eddine Hafiz présente son institution comme étant, depuis toujours, « la maison de l’Afrique et de tous les musulmans », en rappelant qu’elle a été bâtie pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France au cours des deux conflits mondiaux. Il rappelle les deux plaques commémoratives pour le sang versé des soldats venus d’Afrique inaugurées par les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, avant d’évoquer le passage des présidents Jacques Chirac et Emmanuel Macron « venus témoigner de la reconnaissance de la République pour ainsi sceller la relation éternelle entre la Grande Mosquée de Paris et le symbole sacrificiel des musulmans pour la France ».

Les élus locaux, qui sont amplement représentés au dîner, approuvent d’un discret mouvement de tête les paroles de l'hôte : « Vous êtes des modèles dans le monde économique, politique, culturel, sportif ou associatif. Contre les tenants de la haine, vous êtes la preuve de l’harmonie possible entre l’islam et la France, entre le fait d’être musulman et d’être citoyen, mu par des valeurs communes. »

Une université numérique annoncée

Revenant au thème de la soirée, le recteur reconnait que, « dans le monde d’hier et d’aujourd’hui, l’islam africain n’a pas eu et n’a toujours pas l’attention qu’il mérite. Le regard que nous lui portons est souvent empreint d’idées reçues, de méconnaissance, voire de condescendance. Pourtant, l’Afrique subsaharienne a toute sa place dans l’histoire du monde musulman et des millions de nos concitoyens français de confession musulmane méritent que nous l'estimions à leur juste valeur ».

L'orateur du soir, citant le grand écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, pose un éclairage sur la souplesse et l’agilité de l’islam africain : « En Afrique, l’islam n’a pas plus de couleur que l’eau, ce qui explique son succès. Il se colore aux teintes des territoires et des pierres. » Un antidote tout trouvé pour prévenir la tentation des dogmatismes religieux.

L’une des préoccupations de Maître Hafiz, c’est la jeunesse dont il aborde le sujet dans son Manifeste contre le terrorisme islamiste, paru en septembre. Si son prédécesseur Dalil Boubakeur, un an après le 11 septembre 2001 et au moment où il se préparait à devenir président du CFCM, avait tenu au quotidien 20 Minutes ce triste propos, « L'islam des banlieues est l'islam des excités. De plus en plus de jeunes passent des cités à Peshawar », actant le divorce entre les jeunes et la mosquée de Paris, le recteur semble lui refuser de condamner les jeunes et cherche au contraire à les comprendre.

« Cette jeunesse me rassure et m’inquiète à la fois. Elle me paraît tellement intelligente et vulnérable. Notre travail est de la consolider afin de lui éviter de mauvaises rencontres virtuelles ou réelles », écrit-il dans son manifeste. C’est probablement habité par cet esprit que le recteur, face à l’assistance, annonce le projet de création d’une université numérique « qui puisse bénéficier au plus grand nombre à celui qui veut comprendre l’islam ici en France comme en terre africaine. Cette université numérique sera un pont entre l’islam de France et l’islam africain, qui ont tout à gagner l’un de l’autre. Car cet islam au sud du Sahara qui s’est développé par la science, la culture et la spiritualité s’accorde profondément aux valeurs universelles et humanistes de la France ». Une future université en ligne dont le format fait nettement écho à l’Université populaire digitale de la Fondation de l'islam de France, qui a pour président un certain Ghaleb Bencheikh.

« Le monde a besoin de sagesse africaine, la France aussi »

Dans un contexte où le jihadisme inquiète, le recteur ne manque pas d’afficher sa confiance : « Nous avons des solutions pour détourner les nouvelles générations des sirènes du fanatisme pour trouver avec eux d’autres moyens d’agir et d’espérer pour un monde apaisé et plus harmonieux. Soyons les ambassadeurs de l’islam éclairé, de l’islam qui éclaire notre jeunesse, dissipe les inquiétudes de nos concitoyens français et réconcilie tous nos enfants de la nation », conclut-il, avant de rendre un hommage appuyé à Abobikrine Diop, recteur de la mosquée Bilal à Marseille. Son lieu de culte, ouvert en 2009 et situé près de la gare de Saint-Charles, abrite l’une des cinq annexes de l’Institut Al-Ghazali.

Abobikrine Diop, salué pour son respect de la parité hommes/femmes, (imams/ morchidates) au sein de la formation religieuse, se félicite, pour sa part, que sa salle de prière puisse accueillir un public de fidèles très diversifié : « Notre mosquée brasse à la fois des populations d’origines maghrébine, d’Afrique noire et depuis peu beaucoup de personnes converties viennent y prier et apprendre des enseignements donnés par des professeurs de qualité. »

« Je viens d’un pays où l’islam est considéré comme un humanisme. Je viens d’un pays où, dans une même famille, il y a des catholiques, des musulmans où certains pratiquent la religion et des anciens qui sont même polythéistes », témoigne l’ambassadeur du Sénégal, El Hadji Magatte Seye, soulignant là une particularité bien sénégalaise du vivre-ensemble. « L’islam est en aucune manière antinomique ou exclusif des citoyens. C’est d’abord la citoyenneté. Il est extrêmement important d’être fier de ce que l’on est, de ses origines, de ses convictions. Mais exprimer cette fierté, c'est participer à la construction de son pays d’adoption », poursuit-il.

Réagissant à ces propos, Sadek Beloucif, médecin et président de l’association L'islam au XXIe siècle, voudra apporter une précision. « Cette fierté n’est pas de l’orgueil ; elle est celle de la dignité et du respect », affirme-t-il, tout en constatant que « le monde a besoin de sagesse africaine. A un échelon plus modeste, la France aussi. Vous avez montré de façon magnifique combien cette fierté que vous mettez au service de nous tous en retour nous oblige. »

L’ambassadeur de Mauritanie, Ahmed Bahiya, s’attardera lui sur le pont civilisationnel de son pays qui relie l’Afrique du nord et l’Afrique subsaharienne. Suivra l’intervention de l’ambassadeur d’Algérie, Mohamed Antar Daoud. Celui qui naguère fut présentateur vedette de la télévision algérienne avant d’embrasser une carrière diplomatique dira en parcourant de table en table la salle de son regard : « Nous défendons tous cet islam d’ouverture, de modernité de pardon tel que nous l’on enseignait nos parents avant même qui ne soit assimilé au mot terrorisme. »

Un ambassadeur algérien élogieux envers la France

Au lendemain de l’annonce d’Emmanuel Macron d’une loi de reconnaissance et de réparation en faveur des harkis, c’est avec des paroles très mesurées mais lourdes de sens que l’ambassadeur algérien fait écho au passé colonial qui lie son pays à celui de la France : « Nous sommes ici tous conscients de l’importance de cette religion. Religion qui a toujours été respectée dans le pays hôte. Je dois vous rappeler qu’au moment fort du colonialisme, lorsque l’Algérie a été colonisée, jamais, je dis bien jamais, à aucun moment, le colonialisme a interdit la pratique de notre religion. Le Ramadan était le Ramadan, l’Aïd était l’Aïd, le Mawlid était le Mawlid, Achoura était Achoura… C’est dire le respect qu’ont les hommes de pouvoir vis-à-vis de cette religion. »

« Dans la vie, il n'y a pas de solutions, il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent », poursuit-il, citant Antoine de Saint-Exupéry, avant de revenir au présent, sous le regard des autorités nationales représentées par Louis-Xavier Thirode, conseiller Cultes et Immigration auprès du ministre de l’Intérieur, et de Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les Affaires religieuses au Quai d’Orsay. L’ambassadeur constate que l’islam est une religion qui a besoin de compréhension en France, tout en soulignant que les autorités françaises « font en sorte que cette religion soit pratiquée dans les meilleures conditions possibles sans laisser de place à toute forme d’extrémisme ».

Le point culminant de l’intervention du diplomate fut atteint lorsqu’il salua l’attitude « courageuse » de la France au cours de la décennie noire : « Nous nous retrouvions presque chaque semaine à l’église pour nous recueillir sur les gens qui ont été assassinés, y compris les sœurs religieuses. Il faut rappeler qu’il y a eu une soixantaine de Français qui ont payé de leurs vies ces années noires. La France a été le pays le plus durement touché et la France a pourtant eu le courage de ne jamais délocaliser son ambassade, contrairement aux autres pays occidentaux. Ça c’est du courage ! Ça, c’est une décision courageuse ! C’est dire l’importance des relations entre l’Algérie et la France ! Nous sommes dans une période où, aujourd’hui, nous devons voir l’avenir avec sérénité. »

« Un universitaire n’intervient jamais sur un sujet qu’il n’a pas préparé mais un universitaire qui fait de la politique a moins de prudence », lance un brin taquin Ahmed Djebbar lorsque l’ambassadeur l’incite à prendre le micro. Du haut de ses 80 ans, l’universitaire, ancien ministre algérien de l’Éducation nationale, évoque des images d’enfance qui brosse le tableau d’un islam populaire dont il se sent fier et ce, sans jamais renier les quelques traditions de sa mère issues d’un paganisme millénaire.

Zemmour, l'homme qui hante les conversations

Les discussions de la soirée seront fermées par les quelques femmes présentes au dîner. « Tout ce que j’ai entendu ici m’a donné espoir car, depuis quelques temps, on navigue en France dans des discours qui nous mettent très en colère. Parce que l’islam qu’on nous montre à la télé, ce n’est pas l’islam qu’on vit tous les jours », tonne de sa puissante voix Djeneba Keita, troisième vice-présidente du Grand Paris et maire adjointe de Montreuil.

« Je suis née et j’ai grandi au Mali. Je suis Française aujourd’hui et très fière de l’être ! Mais je ne veux pas oublier mes origines. Je ne veux pas oublier le Mali. On veut m’obliger à changer de nom ! Faut plus que je m’appelle Djeneba sinon je ne suis plus Française. Et ça c’est inadmissible. Ce que j’ai à vous dire, c’est d’être les ambassadeurs, les ambassadrices de l’islam que veut le recteur de la mosquée, l’islam des Lumières ! (...) Voilà ce que nous nous sommes ! Voilà ce que nous on vit ! Nous aurons cela pendant une année puisque les élections présidentielles commencent et que tout va tourner autour de ce sujet pour ne pas parler des choses importantes. »

Aïssata Seck, conseillère municipale à Bondy, souligne l’importance de l’apport des troupes coloniales dans les conflits mondiaux. Une histoire qui, estime-t-elle, reste encore trop peu connue et qui n’est pas suffisamment intégrée au récit national français. Elle déplore aussi l'existence d'« une partie de notre jeunesse française issue de l’immigration qui n’a jamais foulé la terre de son pays d’origine mais qui ne se considère pas aujourd’hui comme étant Français. Nous avons là un véritable problème de travail de mémoire au sein de notre société française. »

Bien que n’ayant pas reçu de carton d’invitation, cela n’a pas empêché Éric Zemmour de hanter les conversations de chaque tablée. Alors pour clore la soirée, le recteur tentera un exorcisme façon IIIe République en convoquant la figure de Sadi Carnot : « La France, à une époque, a été extrêmement généreuse. Il y avait un président de la République qui s’appelait Sadi Carnot. Est-ce que vous savez d’où vient son prénom ? Sadi est un prénom persan porté par un grand mystique musulman. Et moi, je pensais sincèrement que Sadi Carnot ne pouvait qu’être Algérien. Mais il était Bourguignon. Son grand père s’appelait Lazare et c’est lui qui a décidé de donner à son petit-fils le prénom de ce mystique qu’il respectait énormément. »


Mohammed Colin
Directeur de la publication En savoir plus sur cet auteur


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