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Points de vue

Islamisation de la Seine-Saint-Denis ? Un journaliste ne devrait pas dire ça… et voici pourquoi

Rédigé par Mohamed Gnabaly | Lundi 19 Novembre 2018 à 08:00

           

Le livre « Inch’Allah, l’islamisation à visage découvert », signé des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, a provoqué avant même sa sortie le 22 octobre une pluie de critiques, tant sur la méthodologie employée par les auteurs que sur son contenu. Dans une lettre ouverte, Mohamed Gnabaly, maire de L’Île-Saint-Denis et vice-président de l’Association des maires de France, fait part de ses critiques mais aussi de son expérience de maire d’une commune de Seine-Saint-Denis : « Le premier communautarisme à l’œuvre dans notre département n’est ni identitaire ni religieux : il est social. »



Islamisation de la Seine-Saint-Denis ? Un journaliste ne devrait pas dire ça… et voici pourquoi
Messieurs Gérard Davet et Fabrice Lhomme, vous venez de publier un livre intitulé Inch’Allah, l’islamisation à visage découvert qui se présente comme un livre d’enquête journalistique et promet, dans sa préface, de présenter « des faits, rien que des faits » sans aucune déformation idéologique. Le principal « fait » que vous prétendez mettre en lumière est « l’islamisation de la Seine-Saint-Denis ». On croit reconnaître ici un terme d’extrême droite mais vous prévenez : « Établir un lien direct et automatique entre islam, islamisme et jihadisme relève du syllogisme malfaisant et, surtout, de la pure mauvaise foi. » On se rassure, donc.

Pourtant, quelques lignes plus loin seulement, cette « islamisation » que vous définissez par « l’application de la loi islamique dans divers secteurs de la vie publique et sociale » est qualifiée de « poussée intégriste » puis de « montée en puissance d’un islam revendicatif qui chercherait à étendre son territoire » et dont « le communautarisme est sans doute le symptôme le plus visible ». Sans distinction, vous citez la « lecture radicale, agressive de l’islam, qui se fixe pour but de mettre en cause nos règles et nos lois de pays libre » dénoncée récemment par Emmanuel Macron et une confession de François Hollande issue de votre livre intitulé Un président ne devrait pas dire cela : « Il y a un problème avec l’islam, nul n’en doute »… Islam, islamisation, islamisme, jihadisme… Nulle trace de démonstration hâtive ou de syllogisme malfaisant, pas vrai ?

Si votre livre avait pour objectif de montrer que de nombreux habitants de Seine-Saint-Denis sont de confession musulmane et pratiquent leur religion au quotidien, quelle révélation incroyable ! Quel scoop de constater que des citoyens musulmans sont policiers, commerçants, enseignants et même maires.

Si sa visée était, en revanche, de pointer la radicalisation croissante d’une minorité de personnes, pourquoi donc l’illustrer par une évaluation aussi globalisante qu’hasardeuse du nombre total de musulmans dans le département ?

Vous vous défendez de vouloir alimenter les amalgames et les confusions, mais rien n’est fait dans ce travail journalistique pour distinguer ce qui relève du culte, de l’héritage culturel et de l’utilisation du discours religieux à des fins idéologiques, politiques, voire guerrières.

Mohamed Gnabaly
Mohamed Gnabaly
Messieurs Davet et Lhomme, permettez-moi de partager avec vous mon expérience de maire d’une commune de Seine-Saint-Denis. Le premier communautarisme à l’œuvre dans notre département n’est ni identitaire ni religieux : il est social. La pauvreté y est surreprésentée : avec le taux de pauvreté le plus haut de France métropolitaine (près de 29 %), notre département présente un taux de chômage qui monte à 50 % dans certains territoires. Dans notre commune de L’Île-Saint-Denis, le revenu médian par ménage est inférieur à 1 000 € et 85 % des habitants résident en logements sociaux. Pour couronner le tout, les services publics n’y sont pas assurés avec la même rigueur que dans les autres départements : le manque de fonctionnaires d’État est criant dans tous les secteurs.

Ce n’est pas de moins de religion dont nous, enfants de la République, avons besoin mais de plus d’enseignants, de médecins, de pompiers, de magistrats, de policiers et, par-dessus tout, du respect de la promesse républicaine inscrite sur les frontons de nos mairies.

Permettez-moi de vous citer pour finir : comme vous le dites, « la Seine-Saint-Denis fait peut-être office, à l’échelle nationale de "laboratoire", celui de l’évolution spectaculaire d’une partie de la société ». Mais ce n’est pas par « l’islamisation » que notre département s’illustre le plus : c’est par sa résilience, sa capacité à résister quotidiennement au mépris de l’État et aux piles de discours stéréotypés et caricaturaux que votre ouvrage vient hélas grossir un peu plus, et enfin sa capacité à faire vivre ensemble des populations de tous horizons dans des conditions de vie de plus en plus difficiles.

Comme l’immense majorité des habitants de Seine-Saint-Denis, je pense que la France multicolore, multiculturelle et multiconfessionnelle est, plus qu’une richesse, une évidence et je persiste à espérer qu’un jour elle le sera pour vous ainsi que pour l’ensemble de la population française.

Incha Allah !

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Mohamed Gnabaly est maire de L’Île-Saint-Denis et vice-président de l’Association des maires de France.





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