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Arts & Scènes

« CoeXist » : combattre les extrêmes avec le graffiti

Rédigé par Samba Doucouré | Vendredi 19 Février 2016 à 09:00

           

Son agression, en janvier 2015, avait fait grand bruit dans les médias. Un an après, Combo continue d’exposer ses messages de paix mais, cette fois-ci, à l’Institut du monde arabe (IMA). L’exposition « CoeXist » y est accueillie jusqu'au 6 mars. Entretien avec un dji-artiste en mission pour le dialogue entre communautés.



Combo incarnant son personnage musulman en jedi de Tataouine. © Saphirnews
Combo incarnant son personnage musulman en jedi de Tataouine. © Saphirnews

Saphirnews : L’interreligieux est un des thèmes centraux de vos œuvres. Pourquoi ce sujet ?

Combo : Je travaille essentiellement sur l’actualité. Tout ce qui est mal traité dans les médias, j’essaye de le traiter ; c’est toujours l’injustice qui me parle. Depuis plus d’un an maintenant, je travaille sur les communautés de croyants qui me semblent être stigmatisées : il faut les défendre et casser les clichés qui gravitent autour d’elles. Si je défends ces communautés, c’est pour défendre ma liberté de croire ou de ne pas croire. La laïcité, ce n’est pas interdire la religion ni le port de signes religieux. Quand je défends une communauté, je défends aussi les athées ! Avant on parlait des immigrés, puis des Arabes, et maintenant des musulmans : c’est du racisme.

Quand avez-vous commencé à traiter ces questions-là ?

Combo : J’ai commencé à traiter ces sujets quand je suis parti à Beyrouth en octobre 2014. À l’époque, on se demandait pourquoi tant de jeunes partaient rejoindre la Syrie. Alors j’ai commencé à caricaturer ces jihadistes. J’ai inventé le concept de Dji-art pour reprendre ce mot qu’ils ont volé. Je voulais montrer l’islam d’une autre manière.

Après-Charlie, il a fallu que je mette en scène ce personnage que j’ai créé là-bas : moi en djellaba – je n’en avais jamais porté de ma vie – avec une barbe. J’ai mis des messages tels que « En France il y a 50 000 musulmans dans l’armée qui protègent notre pays », « Les musulmans finissent leur prière en disant amen comme les juifs et les chrétiens ». C’était important à ce moment-là de rapprocher les gens, de faire du lien entre les musulmans et la France. Et de rappeler des faits réels et importants.

Êtes-vous croyant ?

Combo : Je ne suis pas religieux dans le sens où j’adhérerais à une Église ou à l’oumma. Mais je suis croyant au sens spirituel. J’ai eu une éducation très ouverte. Si j’avais voulu apprendre à prier, je l’aurais pu mais on ne m’a pas forcé. J’ai appris des sourates, je connais bien la Bible et je connais très peu le Talmud. J’aimais bien les histoires qu’il y a dedans en vérité.

Dans votre processus créatif, vous documentez-vous pour vos œuvres ?

Combo : Avant de prendre la parole, je vérifie mes sources. Afin d’éviter de dire une connerie, je vais demander à un rabbin, un imam ou un prêtre et c’est riche en enseignements ! Pendant que les gens broyaient du noir tout le long de l’année, j’ai rencontré beaucoup de gens, des associations qui militent pour l’interculturel. Il existe des choses positives qui ne sont pas montrées en France. C’est ce que j’ai constaté pendant un an de travail sur cette thématique.

Les patchworks apparaissent souvent dans votre travail. Quel est votre message ?

Combo : J’estime qu’il ne devrait pas y avoir de hiérarchie entre les humains, les idéologies ou même l’art. Un rappeur peut être beaucoup plus intéressant à étudier qu’un écrivain. Il faudrait s’ouvrir à plus de choses. Dans mon travail évidemment, je mets plein de références à la littérature, à la musique ou à des poèmes. Pour moi, ces œuvres se valent toutes d’une certaine manière, même si c’est de la pop culture comme Star Wars ou des dessins animés.

Il me semble que vous reprenez même des paroles du rappeur Médine...

Combo : Oui, ce que fait Médine, est très intéressant, tout autant que de lire Céline.

Jeanne de Paname.
Jeanne de Paname.

Pourquoi avez-vous peint une « Jeanne de Paname » ?

Combo : J’ai fait cela après l’agression des Femen lors d’un rassemblement de Marine Le Pen (lors du traditionnel rassemblement du Front national devant la statue de Jeanne d’Arc le 1er mai 2015, ndlr). J’ai trouvé intolérable que Jeanne d’Arc qui, au départ, est une figure religieuse soit devenue une figure raciste.

Ce symbole-là, je ne voulais pas le leur laisser. Je l’ai alors peinte sur une fresque à Oberkampf (Paris 11e), j’ai écrit « La France aux Français », puis j’ai rayé le message et ajouté : « Les Françaises aux Africains ». Tout de suite, j’ai eu des militants FN qui sont venus et ont détérioré la fresque. J’ai reçu des messages d’insultes, des menaces... Il ne faut pas leur laisser gagner du terrain, on peut le récupérer en faisant des « Jeanne de Paname ».

Un an après, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous vous êtes fait agresser alors que vous peigniez un « Coexist » ?

Combo : J’ai été agressé par quatre personnes qui détestaient le fait que je peigne ces trois symboles religieux ensemble que sont le croissant de lune, l’étoile de David et la croix chrétienne. Pire encore, le fait que je peigne un personnage avec une djellaba et une barbe ! Pour eux, c’était inconcevable. Ils étaient choqués alors ils me l’ont fait savoir de manière physique. Je n’ai pas voulu dire à l’époque qui étaient ces gens. Certains disent dans les médias que c’était des musulmans mais c’est faux, je n’ai jamais dit ça.

En revanche, ce qui est vrai, c’est que je me suis fait agresser chaque fois que j’ai peint Coexist. Depuis, il y a toujours un policier avec moi ou quelqu’un pour assurer ma sécurité. J’ai eu des soucis avec tous types d’individu : des juifs, des musulmans, des Noirs, des Blancs, des chrétiens, tout le monde ! Ce ne sont pas des gens qui représentent une communauté, ce sont des gens qui vont chercher dans une communauté leur désaveu par rapport à l’État. S’ils se tournent vers une religion c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé de réponse dans le présent alors ils vont la trouver dans l’au-delà. Ils sont heurtés quand j’aborde ces choses-là parce que cela leur rappelle leurs échecs d’intégration et de vivre-ensemble, leurs échecs personnels. Voilà comment je l’analyse.

Au final, cette histoire a-t-elle eu tout de même des retombées positives pour vous ?

Combo : Ce qui est bien, ce sont les messages de soutien qui m’encouragent à continuer. C’était très intéressant de voir ça après Charlie. Sur la place de la République, il y avait plein de « Je suis Charlie » mais aussi des affiches « Coexist ». Mais celles-ci ont été décollées. Certains veulent défendre le vivre-ensemble, d’autres la non-religion et la laïcité. C’est assez ambivalent : les gens qui ont décidé que la laïcité était une religion et qui exècrent les autres religions, ce sont des laïcards qui font du racisme religieux.

De gauche à droite, l'artiste Combo, Fleur Pellerin et Jack Lang, président de l'IMA.
De gauche à droite, l'artiste Combo, Fleur Pellerin et Jack Lang, président de l'IMA.

Que cela vous fait-il d’exposer aujourd’hui à l’Institut du monde arabe ?

Combo : C’est très important pour moi, de la même façon que lorsque je reçois des mails de soutien. Lorsque Jack Lang vient et me dit : « C’est important ce que vous faites, il faut continuer ! » ; eh bien, après ça, le matin on se lève avec la banane ! Fleur Pellerin a aussi beaucoup apprécié. La ministre de la Culture (jusqu'au dernier remaniement du 11 février, ndlr) et Jack Lang, qui me suivent depuis un an, croient en ce que je raconte et le pensent vraiment. Je les ai testés. J’ai peint la Vénus de Clichy avec une burqa au ministère de la Culture pendant l’état d’urgence. La moitié des gens là-bas a eu peur et voulait l’enlever mais Fleur Pellerin l’a défendue pour la garder.

Quels sont vos projets à venir ?

Combo : Je ne sais pas encore, cela dépend de l’actualité. J’espère que cela va se calmer pour partir sur des trucs plus légers. J’aimerais bien peindre des animaux (rires) !






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