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Religions

Avec la mosquée Fatima, les voix de l'islam libéral s'affirment

Rédigé par | Samedi 28 Septembre 2019 à 11:05

           

Penser et promouvoir des discours théologiques construits sur un « paradigme harmonique » avec le sens de la révélation coranique et du message muhammadien tout autant qu'avec notre époque et son esprit, c'est l'ambition affichée des responsables de la future mosquée libérale Fatima. S'inscrivant en plein dans le courant réformiste, ils et elles ont à cœur de faire bouger les lignes au sein des communautés musulmanes en France.



Kahina Bahloul et Faker Korchane (ici à l'image), les porteurs du projet de la mosquée Fatima, ont organisé, samedi 21 septembre, un colloque inaugural à la paroisse Saint-Jean, à Paris.
Kahina Bahloul et Faker Korchane (ici à l'image), les porteurs du projet de la mosquée Fatima, ont organisé, samedi 21 septembre, un colloque inaugural à la paroisse Saint-Jean, à Paris.
C’est dans la paroisse luthérienne Saint-Jean, dans le 7e arrondissement de Paris, que le colloque inaugural de la mosquée Fatima s’est tenu samedi 21 septembre. Le lieu de culte est affilié à l'Église protestante unie, dirigée depuis 2017 par une femme pasteure, Emmanuelle Seybold. Tout un symbole pour la théologienne Kahina Bahloul qui, avec le professeur de philosophie Faker Korchane, porte le projet d’une mosquée libérale du nom de la fille du Prophète Muhammad.

La jeune imame inclusive est déterminée à garder le cap malgré les critiques, parfois virulentes, à son encontre, tout comme l’ont fait avant elle Amina Wadud, aux Etats-Unis, ou, plus récemment, Sherin Khankan, au Danemark. Les femmes faisant trop souvent les frais d’un discours théologique « encore très imprégné d'un contexte médiéval » aujourd’hui, le leadership religieux féminin est un des défis auxquels la mosquée Fatima, partisane de l’imamat des femmes, veut répondre.

C’est, en effet, « un ensemble de ras-le-bol », particulièrement exprimé par des femmes « mais pas que », doublé d’un désir d’« empowerment » de nombreux croyants qui expliquent, entre autres raisons, le regain d’intérêt observé pour le courant réformiste, indique à Saphirnews Faker Korchane. Avec la mosquée Fatima, « on vient matérialiser et incarner ces ras-le-bol, ce n'est pas nous qui les avons créés ».

« On essaye d'apporter des solutions aux personnes qui sont en demande », sans que, bien loin des idées reçues, cette démarche réponde à « des injonctions venues d'une institution, d'un État ou d'une mode. La seule injonction nous vient de l'esprit du temps » (ruh zaman, en arabe). « Il nous faut avoir une pratique en cohésion avec notre époque », martèle-t-il durant le colloque, prônant, pour ce faire, une théologie à la lumière des sciences humaines et sociales. « Asseoir une tradition académique dans le champ cultuel », précisera plus tard Kahina Bahloul.

Dans la continuité d’une tradition vieille de deux siècles

Le projet de la mosquée Fatima « s'inscrit dans (la) longue tradition (réformiste) qui est intrinsèque à l'islam » mais dont peu de gens sont conscients car « le courant réformiste a été et est le grand perdant de l'Histoire » face au salafisme qui « a imposé son récit » au 20e siècle et « a complètement recouvert la tradition réformiste vieille de deux siècles », appuie Steven Duarte, islamologue et spécialiste du réformisme religieux en islam contemporain.

La défaite du réformisme n'est, cependant, « pas inéluctable » et « le perdant d'hier est le gagnant de demain », dit-il avec optimisme, saluant l’engouement médiatique du moment autour d’initiatives ayant trait au réformisme de l’islam, dernièrement avec le projet Simorgh. « On a envie de voir d'autres visages de l'islam » qui apportent, comme Kahina Bahloul, « des interprétations de l'islam méconnues et pas assez incarnées » à ce jour.

« Nous nous réjouissons quand il y a du pluralisme », plus encore en France où « le ciel est un plus clément au-dessus de nos têtes qu'ailleurs », lance Ghaleb Bencheikh, en soutien appuyé d’une initiative qui vient « asseoir une tradition de débats et d'échanges d'ordre académique, scientifique, rationnel et (sortir) d'une vision archaïque, obscurantiste, passéiste, d'arguments d'autorités avec des anathèmes et des discours imprécatoires » de l’islam.

S’appuyant sur l’héritage intellectuel laissé par le défunt penseur Mohammed Arkoun, le président de la Fondation de l’islam de France (FIF) pourfend « le ritualisme desséchant » et « les ravages de la sclérose en place qui a frappé la réflexion humaine en contexte islamique ». Il faut « en finir avec la pensée magique », « s'affranchir des enfermements doctrinaux » et aller « vers plus de compréhension et d'intelligence dans la reconfiguration du croire ».

De la nécessité de soumettre les hadiths à la conformité avec le Coran et la raison

Dans cette nouvelle « reconfiguration du croire », Faker Korchane appuie sur la nécessité d'une approche historico-critique de la sunna, la tradition prophétique tirée essentiellement de hadiths. Alors que les sciences islamiques enseignent, en théorie, d'une hiérarchie normative plaçant le Coran en première place et la Sunna en deuxième, « aujourd'hui, dans les mosquées, le discours tourne essentiellement autour de la Sunna ».

« La tradition a pris un poids démesuré » dans la compréhension de ce qu'est l'islam. Au point, en réaction, de voir apparaître le coranisme, un courant rejetant en bloc la sunna et auquel les initiateurs de la mosquée Fatima ne s’inscrivent pas, loin ici aussi des caricatures qui leur sont prêtées. « Il y a aussi dans la Sunna des éléments édifiants, qui sont d'une profonde sagesse. Le tout est de savoir comment on fait pour sélectionner les hadiths », affirme Faker Korchane.

Pour les mutazilites, courant rationaliste de l’islam dont se revendique le théologien, le critère de sélection des hadiths est fondé sur un « principe de non-contradiction avec le Coran et avec la raison », ce qui revient à examiner en profondeur les chaînes de transmission des hadiths et leur authenticité. Un travail colossal mais salutaire pour une pratique de l’islam plus authentique et plus adapté au contexte.

Promouvoir une théologie qui « réhabilite le jugement critique personnel » du croyant

Le projet Fatima « propose un nouveau cadre structurant pour les musulmans » autour de pratiques culturelles établies à partir d’une théologie libérale qui vient « réhabiliter le jugement critique personnel et la responsabilité personnelle du croyant devant Dieu. Cette théologie se décentre de la norme vers l'éthique. C'est une remise en cause de la normativité telle qu'elle est définie dans le droit et la théologie classique pour repartir vers les questions éthiques », plaide le sociologue Omero Marongiu-Perria, qui soutient ouvertement le projet Fatima.

La différence avec les mosquées traditionnelles, « c'est qu'il n'y aura pas de discours culpabilisant » envers les fidèles, ajoute l’auteur de « Rouvrir les portes de l'islam ». « Comme le Prophète était un Coran en marche, il faut essayer de retrouver le sens profond de la Révélation pour définir un sens contemporain. »

Ce sens et ses implications pratiques, Faker Korchane et Kahina Bahloul ne prétendent pas en détenir la connaissance exclusive. « Nous avons des acquis mais nous sommes aussi dans un questionnement perpétuel », indique la théologienne, qui expose un projet s’inscrivant « dans une démarche constructive et collective » et s'articulant « autour des libertés de conscience et individuelle » comme celle de porter ou non le voile. Sur ce point et d’autres, « je n'impose pas mon avis, je respecte totalement les autres avis (…) et tout le monde sera bienvenu » à la mosquée Fatima.

Reconstituer collectivement « le beau miroir de la Vérité divine »

Autant de paroles prononcées face à une assemblée attentive, pour très grande partie conquise mais non moins traversée par d'innombrables questionnements. Comment approcher un musulman dit traditionnaliste pour qui une remise en cause du Coran incréé, par exemple, signe le début d'un anéantissement de la foi et comment « être bienveillant » avec lui ?, s'interroge notamment l'un des auditeurs.

« Qu'avons-nous à gagner à ébranler la foi de quelqu’un gratuitement, de le mettre dans l'inconfort ? », répond Ghaleb Bencheikh. Un travail de réforme ne se faisant pas du jour au lendemain, il s'agit de « gagner petit à petit la confiance » des musulmans mainstream. Une mission « qui demande beaucoup de patience » mais aussi du courage, de l'audace et de la persévérance, appuie l'islamologue.

« La vérité, au départ, était absolue auprès de Dieu. La vérité est tombée sur terre et elle s'est fragmentée en mille morceaux. Chaque fois qu'un être humain trouve un petit bout de miroir, il dit qu'il a trouvé LA vérité. Or, il n'en a trouvé qu'un petit bout. Alors, ayons cette humilité de dire que chacun d'entre nous n'a que sa petite vérité et essayons, de manière collective, de recomposer ce puzzle de vérité. C'est en échangeant collectivement, en réfléchissant ensemble à comment construire un monde meilleur que l'on peut reconstituer, peut-être, le beau miroir de la Vérité divine », conclut joliment Kahina Bahloul, en citant le grand mystique soufi Jalal ud-Din Rumi.

« Le soutien moral (au projet) est important », dit Faker Korchane. Mais tout l’enjeu est aussi de le transformer en un soutien financier permettant à la mosquée Fatima de devenir réalité. Quelque 4 000 € ont été collectés à ce jour. A ce stade, « on s’achemine vers une solution médiane, à savoir louer une salle, la même, chaque vendredi ».

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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