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Culture & Médias

A Tombouctou, un savoir vivre l’islam qui se transmet par les bibliothèques

Rédigé par Marie-Odile Delacour | Lundi 25 Mai 2015 à 07:00

           

Les événements de 2012 dans le Nord Mali ont attiré l’attention de l’opinion publique mondiale sur les fameux manuscrits du désert, autrefois transportés par les caravanes sur les routes commerciales. Dans Tombouctou, ville réputée être protégée par 333 saints, se vit depuis le XIe siècle un islam ouvert, nourri des sagesses venues d’Andalousie, de Bagdad, de Damas, du Caire et produites sur place grâce à la présence de nombreux savants et maîtres spirituels… Chaque famille de lettré fondateur d’une bibliothèque est comme un « écomusée » vivant d’un savoir vivre l’islam nourri aux meilleures sources. Portraits de l'une d'elles.



Lalla Moulaty, de la famille d'Abdoulwahid Haidara, héritier de la bibliothèque Mohammed Tahar. Une campagne de financement a été lancée cette année pour la préservation du riche patrimoine historique de Tombouctou, au Mali.
Lalla Moulaty, de la famille d'Abdoulwahid Haidara, héritier de la bibliothèque Mohammed Tahar. Une campagne de financement a été lancée cette année pour la préservation du riche patrimoine historique de Tombouctou, au Mali.
Abdoulwahid Haidara, maître d’arabe à Tombouctou, est héritier de la bibliothèque Mohammed Tahar, du nom de son fondateur, au XIIIe siècle, un savant lettré né à Arouane au nord du Mali, une oasis aujourd’hui envahie par les sables.

Tous les efforts mis en œuvre depuis une dizaine d’années pour sauvegarder les manuscrits familiaux (plus de 2 500) sont partis en fumée pendant l’occupation des rebelles en 2012. L’explosion d’une voiture piégée à quelques mètres de la bibliothèque a sapé les murs qui venaient d’être restaurés, les pluies en ont endommagé le toit, et les manuscrits dissimulés dans des malles enterrées ont souffert de ce traitement d’urgence.

Père de quatre enfants, âgé d’une quarantaine d’années, chargé de famille (nièces, neveux, cousins…), Abdoulwahid fait face à de réelles difficultés pour faire vivre les siens et sauvegarder la bibliothèque. Elle a été constituée par son ancêtre, un grand connaisseur du Coran et des hadiths, maître d’exégèse, copiste et correcteur renommé en son temps.

A Tombouctou, un savoir vivre l’islam qui se transmet par les bibliothèques

Des secrets de famille à préserver

Comme de nombreux Tombouctiens, Abdoulwahid a été élevé dans un esprit de piété, d’ouverture et de tolérance. Environ 14 ethnies cohabitent à Tombouctou en bonne intelligence grâce à l’action convergente des trois imams principaux de la ville : ceux de la mosquée Djingareiber, de la mosquée Sankoré et de la mosquée Sidi Yahiya, qui fut endommagée par les rebelles pendant l’occupation.

Leur guidance bienveillante, comme on le voit dans le film Timbuktu, a joué un grand rôle pour préserver un esprit de solidarité fondé sur le principe du respect de l’autre incarné dans « des classes d’âges » : tous les enfants nés la même année sont liés par une solidarité en cas de problème, quelle que soit leur origine ethnique.

Dans les années 1970, quand l’Unesco, conscient des trésors menacés contenus dans les bibliothèques familiales – il en existe des dizaines –, a permis de créer un centre de préservation des manuscrits, les familles, comme celle d’Abdoulwahid, ont hésité à confier leurs possessions et ont préféré les garder pour les restaurer elles-mêmes. Une réaction facile à comprendre quand on sait que ces manuscrits sont investis d’une baraka protectrice particulière, et qu’ils contiennent parfois des secrets que personne ne souhaite voir dispersés aux quatre vents…

A commencé alors pour Abdoulwahid un chemin difficile. Les moyens nécessaires à la protection de ses précieux manuscrits manquent totalement à Tombouctou, sauf pour de rares bibliothèques soutenues par des fonds européens ou américains. Avant l’invasion de 2012, Tombouctou commençait à susciter un tourisme « généalogique » : des chercheurs et des touristes venaient du Golfe, du Moyen-Orient, d’Amérique ou d’Asie pour trouver des textes rares parlant de leurs racines ancestrales. Mais, depuis 2012, toutes les bibliothèques sont tombées en sommeil, leurs manuscrits parfois transportés et entreposés jusqu’à Bamako.

A Tombouctou, un savoir vivre l’islam qui se transmet par les bibliothèques

Des messages vivants

Des membres de l’association française Les Amis d’Eva de Vitray Meyerovitch ont eu l’occasion de découvrir en 2006 la situation des manuscrits de la bibliothèque Mohammed Tahar et ont décidé de lancer en 2015 une campagne de crowdfunding (mécénat participatif) pour attirer l’attention du public européen sur l’urgence à ne pas laisser disparaître ces témoins d’une sagesse qui, au contraire, doivent se diffuser.

Un émissaire envoyé par l’association en janvier 2015, le photographe Abdou Diouri, a mis au point, avec la famille d’Abdoulwahid et quelques propriétaires de bibliothèques, un système de numérisation des contenus à partir d’un iPhone.

C’est l’occasion d’une expérience innovante et équitable car la rencontre avec la famille d’Abdoulwahid nous fait découvrir une manière d’être au monde, un état d’esprit et un mode de vie nourri de l’islam humain et universel : tous les participants à la campagne de récolte de fonds pour la bibliothèque Mohammed Tahar pourront recevoir, en fonction de leur don, une œuvre originale composée par les copistes de la famille (Abdoulwahid, ses cousins Waly, Judna et Baba Sidiyaje, sa cousine Lalla Moulaty formée à la calligraphie selon les règles de l’art). Ces œuvres originales sont puisées dans les paroles de sagesse de Hadj Omar Tall, un souverain toucouleur de Guinée, érudit musulman partisan de la paix et de la réconciliation.

Une mobilisation générale

Désireuse de se réapproprier son patrimoine et de le faire connaître au monde après les événements de 2012, toute la famille s’est mobilisée pendant des semaines pour créer, composer, des calligraphies originales inspirées des enluminures et des textes appartenant à la bibliothèque familiale. Les enfants d’Abdoulwahid ont eux-mêmes préparé les encres à partir d’ingrédients traditionnels, safran, charbon, gomme arabique… et calames de Taouedni.

C’est peut-être là l’un des effets positifs de l’occupation : tous les membres de la famille de Mohammed Tahar ont pris conscience qu’ils possédaient des savoirs qui demandaient à être mis en valeur et proposés comme dépôts sacrés pour une transmission d’âme à âme au-delà des frontières. Comme un message de paix et d’amour venu du passé et préservé jalousement par des héritiers conscients de cette richesse. Alors que pendant des siècles les manuscrits ont été cachés aux étrangers, cette famille, comme beaucoup d’autres, prend conscience de ce qu’elle a à transmettre à l’humanité au moment où des forces régressives mettent les vraies valeurs en danger.

La vision d’un avenir de paix et de partage, chacun peut y contribuer à construire en cofinançant le projet.





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