Connectez-vous S'inscrire

Société

Tareq Oubrou : contre l’islamophobie, « rendre visible une certaine intelligence qui permet le dialogue »

Les mots piégés du débat républicain

Rédigé par Pierre Henry | Jeudi 24 Février 2022 à 11:45

           

Après être revenu sur l'origine du mot « islamophobie » et sa balade dans l'actualité, un intervenant nous aide à y voir encore plus clair. Tareq Oubrou est un théologien, imam de la mosquée de Bordeaux, et essayiste, dont le dernier essai « Quelle place pour l'islam dans la République ? », aux Editions First, propose une réflexion éclairée sur l'islam et sur les questions soulevées dans le débat politique actuel.




Le mot « islamophobie » est un mot sujet à de multiples controverses, au motif que la généralisation de son emploi interdirait toute critique de la religion. Vous-même, vous contestez ce terme. Pourquoi et par quoi le remplacer ?

Tareq Oubrou : En effet, dès l'apparition de ce concept qui est devenu assez flou, assez ambigu, j'étais réservé à son égard parce qu’il pourrait être un moyen de dissuasion contre toute critique de l'islam, alors que la liberté de critiquer n'importe quelle croyance, n'importe quelle philosophie, est un droit humain inaliénable.

En tant qu’imam et théologien, ce qui va m'intéresser plutôt, c'est pourquoi les gens ont peur de l'islam ? Pourquoi le critiquent-ils ? Quelles sont les raisons de ce phénomène qu'on qualifie d'islamophobie ? Pourquoi ce phénomène existe, qui peut admettre beaucoup de raisons ? Chacun peut critiquer et peut même haïr l'islam pour des raisons différentes, et c'est cet aspect qui va m'intéresser peut-être le plus.

Dans un pays laïque, la liberté d'expression garantit toujours la critique de la religion. Et cela, vous l'avez dit, n'est pas à confondre avec les insultes à l'égard des croyants qui sont punies par la loi. Comment pouvez-vous expliquer cela aux fidèles ?

Tareq Oubrou : De manière pédagogique. J'ai réservé beaucoup de causeries, beaucoup de sermons, sur la question de la liberté et du droit à l'offense, qu'elle soit volontaire ou pas. En tant que croyants, nous devons recevoir les critiques et même, parfois, les offenses. Nous devons aussi savoir patienter.

Le Coran est rempli justement de ces aspects où les polythéistes, les idolâtres de l'époque du Prophète, proféraient contre lui des insultes contre sa religion, contre sa divinité, et il y a dans le Coran aucun appel à une quelconque violence à leur égard. Parce que cette liberté, c'est un droit divin. Dieu lui-même a accepté cette liberté, quitte à être critiqué lui-même. Il a donné la liberté à l'Homme de croire ou de ne pas croire en lui. Lui-même, Dieu, il subit des offenses, mais ne punit pas systématiquement les gens qui l'insultent. Donc, imitons un peu l'acte de Dieu, c'est-à-dire le respect de la liberté et même de la liberté d'offense.

Voir aussi la vidéo de La Casa del Hikma : Le blasphème, un pousse-au-crime légitimé par l’islam ?

Vos paroles sont très claires. Mais si ce mot islamophobie cristallise les tensions, c'est aussi parce qu'il permet de nommer un phénomène bien réel. Il y a bien dans notre pays un racisme antimusulman. On sait d'ailleurs qu'il était en hausse en 2020. Alors quelles mesures prioritaires proposez-vous pour combattre ce racisme antimusulman ?

Tareq Oubrou : D'abord, l'islam n'est pas une race. Peut-être que cette islamophobie cache un racisme contre les Arabes et, puisque le racisme contre une race est puni par la loi, peut-être que d'aucuns se défoulent sur l'islam puisqu'on a le droit de critiquer les religions. L'islamophobie, à cet égard-là, pourrait donc cacher le racisme contre les Turcs, contre les Arabes, etc. Là, on confond l'islamité avec l'arabité d'une certaine manière. Et puis, il y a depuis le Moyen Âge, une défiance et une méfiance à l'égard de l'islam, lorsque l'Occident était fortement chrétien. On a donc gardé quelques traces de méfiance et de défiance à l'égard de l'islam.

Ce qui va m'importer, c'est de voir la part de responsabilité des musulmans quant à l'amplification de ce phénomène. Car l'islamophobie pourrait être provoquée par des comportements des musulmans eux-mêmes : le terrorisme, une certaine visibilité qui n'est pas expliquée, qui est perçue comme une agression... Il y a donc une part de responsabilité qui nous incombe en tant que musulman. Il faut faire un peu de ménage chez nous.

Bien sûr, le racisme tombe sous le coup de la loi. On n'a pas besoin de le dire, on n'a même pas besoin d'inventer des concepts. La République, le droit français, punit le racisme, l'exclusion. On n'a pas le droit d'exclure un musulman, parce que musulman, de son travail ou de l'insulter, parce que c'est la dignité humaine, tout simplement. Il faut donc respecter les valeurs de la République qui s'appliquent à tout le monde.

Mais s'il y a une mesure prioritaire pour combattre ces actes antimusulmans, quelle est-elle ?

Tareq Oubrou : C'est l'information. L'ignorance est source de mépris. L'ignorance est notre ennemi premier. Je pense qu'il faut cultiver la connaissance depuis la maternelle en passant par le primaire, le collège, dans les « mass médias ». Il faut donc rendre visible une certaine intelligence qui permet le dialogue et la bonne information. Je pense que l'information a quelque chose de redoutable. Il faut donner la bonne information aux gens pour qu'ils puissent connaître mieux les musulmans.

*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

Voir aussi les vidéos de La Casa del Hikma :

Contre le racisme, à chaque communauté son combat ?
Rejeter toutes les exclusions, un engagement impossible ?
Racisme: « Se concentrer que sur sa propre lutte est un cul-de-sac intellectuel et stratégique »

Lire aussi :
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « racisme »
Vers la création d’une organisation de lutte contre l’islamophobie avec le FORIF ?
La Grande Mosquée de Paris s’unit à la Licra pour lutter contre le racisme antimusulman





SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !