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Points de vue

Stop au tabou sur la sexualité et les violences sexuelles sur mineurs

Rédigé par Fatima Adamou | Vendredi 4 Mars 2016 à 11:28

           


Stop au tabou sur la sexualité et les violences sexuelles sur mineurs
Les agressions sexuelles sur mineurs refont la une de l’actualité en France. En Allemagne, on titrait sur l’exploitation sexuelle de mineurs migrants. Un responsable a lancé une demande de partenariat avec des associations musulmanes pour une meilleure protection des enfants contre les violences sexuelles.

En France, un tel appel serait improbable. D’après un rapport alternatif d’UNICEF France 2015, la majorité des viols et tentatives de viols en France seraient commis sur des mineurs. Dans la majorité des cas les victimes connaissent leur agresseur. 4 millions de Français déclarent avoir été victimes d’inceste, selon un rapport d’une association de soutien aux victimes d’incestes. Selon d’autres enquêtes, seul un petit pourcentage de la population française sait comment agir légalement face à un enfant victime de violences sexuelles.

Un fléau qui touche toutes les catégories sociales, ethniques et religieuses

Dans un tel contexte, comment un appel à une communauté dont le thème même de la sexualité reste taboue pourrait être envisagé ?

Bien que l’islam traite de la sexualité dans tous ces aspects, de nombreuses narrations attribuées au Prophète Muhammad – paix et salut de Dieu sur lui – et ses épouses informent de la liberté avec laquelle le sujet était évoqué, les musulmans ont rendu le sujet tabou.

Ainsi, une instruction saine bien informée sur la sexualité intégrant les notions de consentement, d’intimité, de limite à ne pas dépasser concernant l’intimité et de connaissances sur les formes de violences sexuelles est évitée au profit d’une auto-instruction fondée sur des mythes, des informations prises auprès des copains, puisées dans des sites Internet ou la pornographie.

Certes, le fléau des violences sexuelles sur mineurs touche tout le monde. Ce fléau touche toutes les catégories sociales, ethniques et religieuses. Mais les méthodes de prévention et de soutien aux victimes et survivants à ces crimes doivent être adaptées parce que le contexte dans lequel se trouve la victime compte.

Aussi est-il impératif que les membres de la communauté musulmane et spécialistes travaillent ensemble afin de permettre aux victimes de libérer la parole.

Dénoncer l’innommable

Dans nos communautés musulmanes, la seule allusion à une violence sexuelle est parfois présentée dans le cadre de l’enseignement sur le mariage. Les préjugés accompagnent la rare allusion aux violences sexuelles sur mineurs : le mariage préviendrait les agressions sur les enfants. On parle du danger du célibat. Pour preuves sont citées des affaires d'agression sexuelle dont les agresseurs sont des prêtres. Ce préjugé largement répandu au-delà de la communauté musulmane repose sur la croyance selon laquelle les agresseurs sont des hommes célibataires, niant alors l’existence d’agresseurs en couple, homme ou femme.

Le père, la mère, la famille. Chaque musulman sait l’importance des ces mots. La protection de la famille et la quasi-obédience au père et à la mère sont martelés aussi bien dans les prêches que dans des livres destinés aux enfants et adultes. Néanmoins, le caractère sacré autour de ces mots peut créer un paradoxe chez une victime d’inceste, un obstacle pour dénoncer l’agression.

Dénoncer l’innommable. C'est la difficulté surtout dans le contexte actuel antimusulman. Personne ne souhaite paraître jeter l’opprobre sur la communauté. D’autant plus que beaucoup estiment, à tort, que dénoncer des violences sexuelles correspondrait à de la médisance.

C’est alors aux responsables religieux, aux théologiens, aux intellectuels d’expliquer la différence entre médire (interdit en islam) et dénoncer un crime. C’est à eux de faire passer le message qu’il s’agit de protéger des victimes, prévenir d’autres agressions, de simplement faire notre devoir de citoyens et ce que commande l’islam.

Ils ont en effet une très grande responsabilité lorsqu’ils s’adressent aux fidèles dans les mosquées ou des séminaires bondés d’adultes hommes et femmes. Parmi ces adultes se trouvent des victimes qui ont connu ces abus durant leur enfance et qui subissent toujours les conséquences de leur agression. C’est pourquoi les responsables religieux, les théologiens, les intellectuels, les enseignants et les acteurs associatifs doivent être, comme tout un chacun, sensibilisés, alertés et particulièrement formés.

Les collaborations interreligieuses devraient être également utiles afin de communiquer sur les mesures préventives à prendre lorsque les violences ont été perpétrées dans des lieux de culte et /ou par des chefs religieux, mais aussi utiles pour réfléchir à l’accompagnement spirituel approprié aussi bien pour les victimes que pour leur entourage.

N’attendons pas plus longtemps pour protéger et soutenir les victimes, sensibiliser et prévenir les violences sexuelles.

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Tutrice de français en Grande-Bretagne, Fatima Adamou a été researcher bénévole à l’association Christian Muslim Forum.

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