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Points de vue

Sale temps pour les femmes musulmanes

Par Omero Marongiu-Perria*

Rédigé par Omero Marongiu-Perria | Mardi 19 Février 2013 à 00:00

           


Les femmes musulmanes sont comparables à une balle de tennis que se renvoient deux types de joueurs de l’extrême qui, au-delà de leurs antagonismes – laïcisme versus radicalisme religieux –, s’inscrivent dans une même matrice composée d’un savant mélange d’assignation à être et de domination.

Le voile, ultime combat de la République ?

La dernière sortie de Manuel Valls, ministre français de l’Intérieur, sur Europe 1, le 7 février dernier, au sujet du voile, exprime très clairement ce qu’un laïcisme aveugle peut comporter comme relent de paternalisme et de volonté d’uniformisation par l’éradication des différences.

Interrogé sur la situation tunisienne actuelle, le ministre a procédé à un véritable tour de passe-passe en amalgamant la crise politique avec le port du voile : « Nous devons bien prendre conscience, et je m’adresse bien évidemment à nos compatriotes des dégâts du despotisme, de cet islamisme qui, aujourd’hui par l’obscurantisme, nie les valeurs et cherche à enfermer notamment les femmes tunisiennes dans un voile. » Appelé à commenter cette phrase du récent rapport de Thierry Tuot (1) sur le fiasco des politiques françaises d’intégration, « La France a-t-elle jamais dépendu de ce qu’un bout de tissu – boubou, coiffe bretonne, chèche ou béret – soit porté d’une façon ou d’une autre ? », il affirmera « Le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont, restera pour moi et doit rester pour la République un combat essentiel ».

Le laïcisme comme éradication des différences

Le voile comme combat essentiel de la République... Mouais. On pourra concéder une chose à Manuel Valls, le caractère vague et confus du propos qui peut être interprété soit dans le sens d’une volonté d’éradication d’un type spécifique de voile – lequel, au demeurant ? –, soit l’éradication du voile tout court.

Quoi qu’il en soit, l’intéressé n’en n’est pas à son coup d’essai ; depuis son investiture consécutive à l’élection présidentielle de 2012, il n’a eu de cesse de faire la morale aux représentants du culte musulman afin qu’ils apprennent enfin à devenir de bons et dociles citoyens de ce pays en travaillant leur invisibilité hors l’enceinte de la mosquée.

Il y a près de 10 ans, le 30 mai 2003, Manuel Valls signait déjà une tribune dans Libération sous le titre « Refuser le foulard sans l’interdire ». Selon lui, « ce que la résurgence des foulards marque, ce n’est pas le refus de la laïcité et de la République, c’est un double échec ; l’échec du modèle français d’intégration et l’échec de la modernisation de l’islam ». Le propos illustre parfaitement le lien savamment construit entre l’intégration socioprofessionnelle des enfants d’immigrés musulmans et leur désaffiliation religieuse, sur fond de laïcisation à marche forcée de l’islam.

Sous un tel prisme réducteur c’est toute la diversité des modes d’adhésion à l’islam qui est balayée. Les femmes musulmanes n’ont alors d’autres choix que d’opter entre deux catégories posées comme irréductibles : être dans la modernité par leur détachement complet de la norme religieuse, ou être dans la tradition archaïque et révolue dès lors qu’elles optent pour un type d’habit couvrant le corps. Sale temps ici pour les femmes musulmanes...

La femme, ultime combat du mâle musulman ?

D’un autre côté, l’actualité récente montre que, en matière d’assignation à être et de mépris vis-a-vis des femmes, les musulmans ne sont pas en reste. Le Courrier International, dans sa livraison du 4 février dernier, indique que 19 cas d’agressions sexuelles ont été enregistrés sur la place Tahrir, pour les seuls 25 et 26 janvier dernier, lors des manifestations commémorant le deuxième anniversaire de la révolution. On croirait cauchemarder, mais la réalité est bien pire.

Viols, attouchements, harcèlement sexuel et moral, séquestration, insultes et autres entraves aux libertés individuelles sont le lot quotidien de millions de femmes dans l’ensemble des sociétés musulmanes, avec la complicité scandaleuse de théologiens et prédicateurs qui ont pignon sur rue. De Casablanca à Dubaï, en passant par le Caire, le harcèlement public des femmes est un véritable sport national chez des millions de mâles.

L’un des derniers épisodes du feuilleton noir des femmes musulmanes est la libération de Fayhan al-Ghamdi, pseudo-prédicateur saoudien, contre le paiement du « prix du sang » à son ex-femme pour le meurtre de sa fillette âgée de 5 ans. Celui-ci avait été inculpé pour la séquestration et l’usage de sévices graves ayant entraîné la mort de sa fille. Le cas a soulevé un tollé général chez les défenseurs saoudiens des droits de l’homme, dans un pays où ces droits fluctuent au gré de jugements et autres fatwas à géométrie variable selon votre rang social, votre richesse ou encore votre proximité de la famille régnante.

Qu’à cela ne tienne, un autre théologien saoudien, Abdallah Daoud, vient d’enfoncer le clou en vantant le mérite des sociétés musulmanes qui posent la ségrégation des sexes et le voilement des filles dès le plus jeune âge. Selon lui, pour éviter que la fillette ne soit l’objet de convoitise sexuelle de la part des hommes, il serait préférable de l’habituer à se voiler dès l’âge de deux ans.

La domination du mâle pour éradiquer les possibilités d’émancipation

L’épilogue affolant de cette proposition macabre est qu’elle risque de trouver, une fois encore, un écho auprès des bigots et autres imbéciles chez les musulmans jusqu’au-boutistes. Ces derniers sont prêts à tout pour respecter, à la lettre, des injonctions ayant pour tout fondement la perversité d’hommes qui ne voient dans la femme qu’un entre-jambes, à protéger, en attendant que le mâle puisse en jouir en toute licité le moment venu.

Le débat fait rage actuellement en Arabie saoudite et au Yémen, entre autres, avec un front de théologiens prêts à en découdre pour préserver le mariage des filles pré-pubères, bien souvent avec des hommes de plusieurs dizaines d’années leurs aînés. Les télévisions arabes s’emparent progressivement du thème en interrogeant des jeunes filles, leurs parents et leurs « ex-conjoints » afin que le délire collectif issu d’un tribalisme désuet soit exorcisé publiquement. Mais la liste semble interminable.

Dernièrement, au Cachemire pakistanais, c’est un trio de jeunes filles du groupe de rock Pragaash qui vient de faire les frais de ce despotisme du mâle. Après avoir été médiatisées pour leurs performances lors d’un concours musical, ces adolescentes férues de musique métallique ont subi insultes et diverses menaces, dont des menaces de viol, au point d’annoncer la dissolution de leur groupe sur leur page Facebook. Les jeunes filles n’ont pas supporté le poids de la vindicte alimentée à coups de fatwas délivrées par le mufti Bashiruddin Ahmad, les invitant à rentrer dans le rang et à ne plus se produire devant des hommes.

Sous un tel prisme réducteur, c’est là aussi toute la diversité des modes d’adhésion à l’islam qui est balayée. Les femmes musulmanes n’ont alors d’autres choix que d’opter entre deux catégories posées comme irréductibles : la norme islamique, telle que définie par une espèce de misogynie compulsive, ou la déviance et l’hétérodoxie. Sale temps là-bas pour les femmes musulmanes...

La femme musulmane doit être l’actrice de sa vie

En tout problème il faut considérer la forme et le fond. La forme est polymorphe, mais le fond renvoie, pour sa part, aux deux logiques précitées, deux visions du monde structurant les mentalités et qu’il faut combattre simultanément et de manière ferme.

C’est, d’un côté, une vision étriquée de la laïcité et du vivre-ensemble, avec son arrière-fond d’éradication des différences qui trouve dans les musulmans un fonds de commerce juteux et dans la femme musulmane un exutoire parfait.

C’est, d’un autre côté, une approche hypernormée de l’islam qui découle d’une vision du monde où la hiérarchie des sexes et la domination de l’homme sur la femme relèverait d’une pseudo-volonté divine.

Les partisans des deux logiques gagneraient à ficher la paix aux femmes – et, au passage, aux hommes – et à aller consulter pour soigner leur vision psychotique de la personnalité féminine.

En attendant, les femmes musulmanes, dans et par leur diversité, gagneront à monter au filet en développant leur propre jeu, sans attendre une trêve ou une quelconque bienveillance de la part des joueurs de l’extrême. Elles ont déjà un beau terrain d’exercice dans l’intracommunautaire musulman. Il va en effet falloir une fois pour toute que des voix féminines s’imposent au sein d’un discours théologique dominé par la lecture patriarcale des sources scripturaires, la misogynie et la sexualisation à outrance des relations de genre, le tout au service de l’infantilisation et du confinement des femmes. Et seules les femmes musulmanes seront l’instrument et le moteur de leur émancipation.

Note
Thierry Tuot, La Grande Nation pour une société inclusive, rapport au Premier ministre sur la refondation des politiques d'intégration, 1er février 2013.

* Omero Marongiu-Perria est sociologue, spécialiste de l'islam en Europe.






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