
© WFP/Jonathan Dumont
Après 22 mois de cette agression horrible, la situation va de mal en pire dans la bande de Gaza. En plus des bombardements intensifs et incessants, de l'insécurité, de l'angoisse, de la peur, de l'inquiétude, de l’attente, notamment dans le nord de la bande de Gaza, une vraie famine s'est installée. Et moi, personnellement, je vis dans la détresse totale.
C'est difficile de raconter, de décrire, tant la situation est horrible. Depuis presque deux semaines, il n'y a quasi rien sur le marché. Les produits sont introuvables et le peu qu’on y trouve, ce sont quelques pâtes, quelques boîtes de conserve, des lentilles, des haricots blancs et petits pois, mais qui coûtent extrêmement chers, à des prix impensables.
C'est difficile de raconter, de décrire, tant la situation est horrible. Depuis presque deux semaines, il n'y a quasi rien sur le marché. Les produits sont introuvables et le peu qu’on y trouve, ce sont quelques pâtes, quelques boîtes de conserve, des lentilles, des haricots blancs et petits pois, mais qui coûtent extrêmement chers, à des prix impensables.
Une solidarité familiale et sociale devenue minimale
Je vais tous les jours au marché et je reviens sans rien. Cela me fait de la peine pour les enfants, pour les gens qui habitent avec moi. Tout le monde souffre. Le slogan « Personne ne meurt de la faim à Gaza » a été remplacé par « Tout le monde crève de faim à Gaza ».
La solidarité familiale et sociale, qui a toujours été un point fort dans l’enclave palestinienne, même assiégée, est devenue minimale.
En ce qui me concerne, je reste parfois deux ou trois jours sans rien manger. Je préfère donner un morceau de pain pour mes enfants au lieu de manger. On est arrivés à une situation catastrophique.
Seuls deux ou trois camions de ravitaillement passent par jour, destinés aux organisations internationales, organisations qui mettent les denrées alimentaires dans leurs dépôts sous prétexte qu’il n’y a pas assez pour distribuer à tout le monde. Ces dépôts sont régulièrement attaqués par des groupes armés ou par des personnes affamées le soir et les organisations disent qu'elles ne peuvent rien faire. Je ne sais pas : ont-elles ont une clientèle qui leur est propre, ou sont-elles complices de ce piège mortel, de cette famine utilisée comme arme de guerre par l'occupation ?
Dans les faits, l'occupation a créé deux centres de distribution gratuite depuis le 27 mai dernier, mais seulement au sud et au centre de la bande de Gaza. Ces centres sont gérés par une société américaine, des mercenaires américains complices avec l'occupation.
Les cartons contenant des sacs de farine et de la nourriture sont jetés hors des camions et, quand la population affamée s'approche pour récupérer quelques sacs ou quelques boîtes de conserve, l'occupation lui tire dessus. En moins de deux mois, il y a presque eu 1 130 morts et 6 900 blessés palestiniens. Cela montre que ce plan consistant à créer ces centres de distribution gratuite est un piège mortel pour les Palestiniens de Gaza.
La solidarité familiale et sociale, qui a toujours été un point fort dans l’enclave palestinienne, même assiégée, est devenue minimale.
En ce qui me concerne, je reste parfois deux ou trois jours sans rien manger. Je préfère donner un morceau de pain pour mes enfants au lieu de manger. On est arrivés à une situation catastrophique.
Seuls deux ou trois camions de ravitaillement passent par jour, destinés aux organisations internationales, organisations qui mettent les denrées alimentaires dans leurs dépôts sous prétexte qu’il n’y a pas assez pour distribuer à tout le monde. Ces dépôts sont régulièrement attaqués par des groupes armés ou par des personnes affamées le soir et les organisations disent qu'elles ne peuvent rien faire. Je ne sais pas : ont-elles ont une clientèle qui leur est propre, ou sont-elles complices de ce piège mortel, de cette famine utilisée comme arme de guerre par l'occupation ?
Dans les faits, l'occupation a créé deux centres de distribution gratuite depuis le 27 mai dernier, mais seulement au sud et au centre de la bande de Gaza. Ces centres sont gérés par une société américaine, des mercenaires américains complices avec l'occupation.
Les cartons contenant des sacs de farine et de la nourriture sont jetés hors des camions et, quand la population affamée s'approche pour récupérer quelques sacs ou quelques boîtes de conserve, l'occupation lui tire dessus. En moins de deux mois, il y a presque eu 1 130 morts et 6 900 blessés palestiniens. Cela montre que ce plan consistant à créer ces centres de distribution gratuite est un piège mortel pour les Palestiniens de Gaza.
Une souffrance quotidienne
Il y a, de plus, des commerçants malhonnêtes qui récupèrent l'aide puis la revende beaucoup plus cher à Gaza-Ville. Par exemple, si un sac de farine de 25 kg s’achète 250 € (10 € le kilo), il sera revendu 50 à 60 € le kilo. Pour 1 kg de sucre, il faut compter 130 € ; 1 kg de riz, 80 €…impensable !
Le problème, c'est qu'il n'y a plus ni autorités, ni gouvernement, ni société civile pour gérer la situation, organiser le marché et contrôler les prix. Sans prendre en considération les besoins énormes de toute une population civile, les commerçants décident eux-mêmes des prix pour profiter au maximum, les augmentent, même si les produits ont été soit volés, soit récupérés gratuitement, soit achetés à très bas prix par des personnes qui ont pris de grands risques pour aller les chercher.
Comment la population survit-elle dans cette situation extrême ? Personnellement, je souffre et, pourtant, je fais partie de la classe moyenne.
Avec d’autres habitants, nous avons décidé de boycotter les commerçants qui profitent (de la situation), mais jusqu'à quand ? Je dois nourrir mes enfants, mais c'est trop cher.
Le soir, quand tout le monde dort, je pleure pour cacher mon impuissance. C'est la souffrance totale. Je me pose toujours la question : suis-je têtu ? Est-ce parce que j'ai refusé de quitter Gaza que j’en paie aujourd’hui les conséquences ? Je ne sais pas. Mais il est difficile de raconter, de décrire ma détresse totale, mon incapacité d’agir dans cet enfer, parce que c'est l'impuissance totale. Et pourtant, moi, je suis privilégié parce que j'ai des amis, des réseaux. Je parle avec une dizaine de personnes par jour sur Internet. On échange, on discute, ils me soulagent, m'envoient des photos, des vidéos de la solidarité.
Je suis actif dans la société civile, j'essaye de soulager la douleur des enfants, leur peine d’être privés de tout en organisant des activités, en distribuant des jeux, mais à l'intérieur de moi-même, trop, c'est trop. Je souffre au quotidien.
Le problème, c'est qu'il n'y a plus ni autorités, ni gouvernement, ni société civile pour gérer la situation, organiser le marché et contrôler les prix. Sans prendre en considération les besoins énormes de toute une population civile, les commerçants décident eux-mêmes des prix pour profiter au maximum, les augmentent, même si les produits ont été soit volés, soit récupérés gratuitement, soit achetés à très bas prix par des personnes qui ont pris de grands risques pour aller les chercher.
Comment la population survit-elle dans cette situation extrême ? Personnellement, je souffre et, pourtant, je fais partie de la classe moyenne.
Avec d’autres habitants, nous avons décidé de boycotter les commerçants qui profitent (de la situation), mais jusqu'à quand ? Je dois nourrir mes enfants, mais c'est trop cher.
Le soir, quand tout le monde dort, je pleure pour cacher mon impuissance. C'est la souffrance totale. Je me pose toujours la question : suis-je têtu ? Est-ce parce que j'ai refusé de quitter Gaza que j’en paie aujourd’hui les conséquences ? Je ne sais pas. Mais il est difficile de raconter, de décrire ma détresse totale, mon incapacité d’agir dans cet enfer, parce que c'est l'impuissance totale. Et pourtant, moi, je suis privilégié parce que j'ai des amis, des réseaux. Je parle avec une dizaine de personnes par jour sur Internet. On échange, on discute, ils me soulagent, m'envoient des photos, des vidéos de la solidarité.
Je suis actif dans la société civile, j'essaye de soulager la douleur des enfants, leur peine d’être privés de tout en organisant des activités, en distribuant des jeux, mais à l'intérieur de moi-même, trop, c'est trop. Je souffre au quotidien.
Une population civile épuisée et horrifiée
Je suis malade, je n'arrive pas à me soigner. Il n'y a pas d'hôpitaux, il n'y a pas de médicaments, il n'y a pas de laboratoire, donc la situation est terrible.
Je ne sais pas quoi faire. Le sentiment d’impuissance est horrible. Et pourtant, comme je viens de le dire, j'ai un réseau, je parle avec les gens... J'essaye de passer beaucoup de temps en écrivant, en témoignant, en échangeant avec les amis, les solidaires, mais trop, c'est trop.
Néanmoins, pour une fois, j’ai décidé de laisser tomber mon orgueil, et j’ai demandé de l’aide par l’intermédiaire de quelques amis français, suisses ou belges ayant des liens avec des structures qui financent des associations à Gaza. Ces associations prétendent distribuer de la nourriture à des centaines de familles dans la ville de Gaza et envoient des photos et des vidéos de leurs actions tous les jours sur les réseaux. J’ai demandé un peu de nourriture pour ma famille et moi, ainsi que pour les déplacés de mon immeuble.
La réponse des associations est qu’elles ne peuvent rien fournir car tout est cher. Mais comment font-elles alors pour nourrir des centaines de familles comme elles le prétendent, photos et vidéos à l’appui ? Pourquoi ne peuvent-elles pas m’envoyer quelques denrées alimentaires ou des repas chauds ? On sent que tout le monde est complice pour briser la volonté de la population civile déjà épuisée et horrifiée.
Je ne sais pas quoi faire. Le sentiment d’impuissance est horrible. Et pourtant, comme je viens de le dire, j'ai un réseau, je parle avec les gens... J'essaye de passer beaucoup de temps en écrivant, en témoignant, en échangeant avec les amis, les solidaires, mais trop, c'est trop.
Néanmoins, pour une fois, j’ai décidé de laisser tomber mon orgueil, et j’ai demandé de l’aide par l’intermédiaire de quelques amis français, suisses ou belges ayant des liens avec des structures qui financent des associations à Gaza. Ces associations prétendent distribuer de la nourriture à des centaines de familles dans la ville de Gaza et envoient des photos et des vidéos de leurs actions tous les jours sur les réseaux. J’ai demandé un peu de nourriture pour ma famille et moi, ainsi que pour les déplacés de mon immeuble.
La réponse des associations est qu’elles ne peuvent rien fournir car tout est cher. Mais comment font-elles alors pour nourrir des centaines de familles comme elles le prétendent, photos et vidéos à l’appui ? Pourquoi ne peuvent-elles pas m’envoyer quelques denrées alimentaires ou des repas chauds ? On sent que tout le monde est complice pour briser la volonté de la population civile déjà épuisée et horrifiée.
La réalité est plus dure que les images partagées sur les réseaux sociaux
Imaginez-vous, les gens sont en train de tomber dans la rue. Souvent, quand je sors le matin pour chercher de l'eau potable, du bois ou de la nourriture, je vois des jeunes - je ne parle ni des enfants ni des personnes âgées - mais des jeunes de 20 à 25 ans qui tombent dans la rue parce que ça fait plusieurs jours qu'ils n'ont pas mangé. En date du 24 juillet 2025, 115 Palestiniens dont 85 enfants sont morts à cause de la malnutrition.
Il n'y a rien dans le nord, il n'y a rien dans la ville de Gaza, tout est très cher. Jusqu'à quand va-t-on pouvoir supporter l'insupportable ? On est toujours là, on essaye de tenir bon, on essaie de montrer qu'on est fort, mais trop c'est trop.
Quel que soit le témoignage, la réalité est plus dure que les photos et les vidéos envoyées sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas que la famine qui rend la vie insupportable à Gaza. Les bombardements incessants minent le moral des habitants qui ne savent plus où trouver de l’espoir. Voilà ce que je voulais partager avec les amis. Peut-être que cela va me soulager un peu…
*****
Ziad Medoukh est professeur et directeur du département de français de l’université Al-Aqsa de Gaza.
Lire aussi :
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Supporter l’insupportable à Gaza
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Quel que soit le témoignage, la réalité est plus dure que les photos et les vidéos envoyées sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas que la famine qui rend la vie insupportable à Gaza. Les bombardements incessants minent le moral des habitants qui ne savent plus où trouver de l’espoir. Voilà ce que je voulais partager avec les amis. Peut-être que cela va me soulager un peu…
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Ziad Medoukh est professeur et directeur du département de français de l’université Al-Aqsa de Gaza.
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