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Société

Pourquoi la probable dissolution du CCIF suscite incompréhension et inquiétude

Rédigé par | Lundi 23 Novembre 2020 à 08:00

           

Tandis que le gouvernement fait valoir sa détermination à dissoudre le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), cette volonté provoque une levée de boucliers. En cause, le flou des arguments juridiques présentés à ce stade, qui suscite l'incompréhension d'une partie de la société civile.



Pourquoi la probable dissolution du CCIF suscite incompréhension et inquiétude
Depuis l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine, le gouvernement a engagé l'offensive contre plusieurs structures parmi lesquelles le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). Présentée aujourd'hui comme une « ennemie de la République » par le gouvernement, l'emblématique association de lutte contre la haine des musulmans, fondée en 2003, fait face à une menace de dissolution, réaffirmée jeudi 19 novembre par le ministère de l'Intérieur. Le CCIF, qui dispose depuis d'un délai de huit jours pour « faire valoir ses observations », a répondu que le projet de dissolution est aujourd'hui « sans objet » dans la mesure où l'organisation a « déjà déployé une large partie de ses activités à l'étranger » de même que « son siège social ». Il n'empêche que le coup est rude aussi bien pour ses équipes que pour ses membres et ses soutiens.

Le sentiment d'incompréhension – et d'injustice, son corollaire – fait place nette parmi les musulmans et au-delà. Les motifs justifiant pour le gouvernement la dissolution du CCIF demeurent, en effet, flous à ce jour. Accusée par Gérald Darmanin d'être « manifestement » impliquée dans l'engrenage qui a mené à l'assassinat de Samuel Paty, l'association s'en est formellement défendue.

Si elle a confirmé avoir été saisie par le parent d'élève à l'origine de la vidéo polémique dénonçant le professeur, elle déclare ne pas avoir donné suite à sa demande d'instruction de son cas par le CCIF et affirme même avoir demandé à l'auteur de retirer la vidéo. « La mise en cause du CCIF ne correspond ni à une réalité factuelle, ni à une réalité juridique, mais à une volonté politique : criminaliser la lutte contre l’islamophobie », estiment tout bonnement ses responsables.

« Beaucoup d’éléments qui fondent l’argumentaire de la dissolution du CCIF sont soit biaisés, soit totalement mensongers », a-t-elle déclaré samedi 21 novembre, après réception de la notification du ministère. « Bien que notre association soit déjà passée à une autre étape de son histoire, nous répondrons à chacune de ces accusations, car nous le devons à nos adhérents, nos soutiens et nos partenaires. »

Une dissolution dénoncée comme arbitraire

Pour Amnesty International, à ce stade, « rien ne montre que le CCIF représente un danger manifeste et imminent pour la sécurité nationale ou l'ordre public, qui pourrait justifier sa dissolution ». Cette action « serait un coup porté au droit à la liberté d'association et aurait un effet dissuasif sur tous les défenseur·e·s des droits humains engagés dans la lutte contre le racisme et la discrimination », estime l'ONG.

« La dissolution administrative des associations par décret en Conseil des ministres, mesure qui existe en droit français depuis 1936, ne peut intervenir que lorsque de strictes conditions sont remplies, des conditions que le CCIF ne remplit pas », affirmait de but en blanc dès le 21 octobre un collectif d'avocats et d'associations dont La Quadrature du Net. Ils dénoncent une « posture autoritaire (qui) bat en brèche des principes essentiels de l’État de droit, qui protègent contre les accusations collectives, les procédures abusives et non fondées sur des faits précis ».

« La dissolution arbitraire d’associations n’est une manière ni juste, ni efficace de défendre la liberté d’expression ou la sécurité collective. Seuls les fanatiques religieux et l’extrême droite ont quelque chose à gagner à cette dissolution ; l’État de droit a tout à y perdre », estime ce collectif.

Du côté de la classe politique, tandis que le Rassemblement national presse le gouvernement de dissoudre le CCIF et « toutes les organisations islamistes », le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) est, à ce jour, le seul des partis en France à s'être formellement exprimé pour dénoncer une dissolution qui témoigne, à ses yeux, d'une « volonté de faire taire le CCIF et, à travers lui, celles et ceux qui se dressent face à la stigmatisation et aux discriminations contre les musulmanEs, est révoltante ». « En s’en prenant de la sorte à une organisation dont le rôle est de combattre les violences et discriminations islamophobes, (...) le pouvoir franchit un cap supplémentaire dans sa politique autoritaire », signifie le NPA dans un communiqué en date du vendredi 20 novembre.

Le risque d'un camouflet pour le gouvernement n'est pas écarté

Les méthodes du CCIF et sa communication sont contestables et loin de faire l'unanimité, y compris dans les rangs des musulmans que l'on peut difficilement accuser de « faire le jeu des islamophobes » si ce n'est pour disqualifier leurs critiques sans débat. Mais même parmi des voix très critiques envers l'association, la dissolution de la structure est jusqu'à présent difficilement motivée sur le plan juridique. Dans une tribune parue lundi 16 novembre, le sociologue Omero Marongiu-Perria expliquait que la posture du CCIF est « irresponsable » mais « pas illégale ».

L'on reste donc suspendu aux annonces des éléments juridiques qu'apporte officiellement le gouvernement pour motiver sa détermination. Si la dissolution est actée, le CCIF pourra toujours se tourner vers le Conseil d'Etat pour contester la décision. Le risque d'un camouflet pour l'exécutif n'est pas totalement écarté. Mais celui d'en faire une association martyre victime, aux yeux de ses soutiens, d'une islamophobie d'Etat que le CCIF dénonce depuis des années est réelle. Un risque qui n'est pas sans conséquences, entraînant une radicalité des discours de défiance néfastes pour tous.

Par ailleurs, « la dissolution du CCIF qu’entame le gouvernement va dangereusement conforter le sentiment de victimisation, véritable carburant de l’islam identitaire », estime Mohammed Colin, directeur de publication de Saphirnews, dans un éditorial. Si des actions comme les dissolutions doivent être engagées pour lutter contre le séparatisme, elles « doivent absolument être engagées dans le respect de l’État de droit car, dans le cas contraire, elles renforceraient dangereusement les séparatistes islamistes ».

L'après-Samuel Paty signe indubitablement un tournant dans l'histoire mouvementée du CCIF. Au-delà de l'urgence des actions juridiques à mener que lui impose la menace de dissolution, l'organisation musulmane devra aussi se saisir, dans un avenir plus ou moins proche, d'une certaine opportunité qui lui est tendue bien malgré elle d'engager un travail d'autocritique constructif au service uniquement de la lutte contre la haine et pour les droits humains de tous.

Mise à jour vendredi 27 novembre : Le CCIF a confirmé son choix de l'auto-dissolution et de la fermeture de tous ses outils de communication. Ses explications ici

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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