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Points de vue

La posture du CCIF n’est pas illégale mais elle est irresponsable

Rédigé par Omero Marongiu-Perria | Lundi 16 Novembre 2020 à 11:00

           


La posture du CCIF n’est pas illégale mais elle est irresponsable
Le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF) a mis en ligne, fin octobre, une réponse à 28 affirmations qu’il considère comme étant, en quasi-totalité, des accusations non fondées au sujet de la nature de son action, de son cadre idéologique, de ses accointances islamistes et de son réseau collaboratif.

Dans sa réponse à l’affirmation n°7, le CCIF se défend de faire la promotion de l’islam radical et de prédicateurs radicaux. Il se présente ainsi comme areligieux et apolitique et, « tel un avocat, il n’a pas besoin d’adhérer aux convictions de son client pour défendre ses droits ». L’association rappelle aussi à bon droit que « certains voudraient faire porter au CCIF les opinions de toutes les personnes dont il a défendu les droits (…) afin de mettre en cause le CCIF par procuration ». On serait tenté d’en rester là et de lui accorder un blanc-seing si, par sa posture au sein du champ islamique français, le CCIF ne contredisait pas ses propres assertions.

Un réseau inscrit dans la défense d’une identité religieuse intransigeante sans critique

Dans le contexte des perquisitions menées à tout-va par les pouvoirs publics en novembre et décembre 2015, nous étions nombreux, toutes sensibilités musulmanes confondues, à avoir pris la défense de musulmans ciblés pour leur simple identité religieuse considérée comme salafiste. Des fiches S ont été levées, des musulmans ont pu être blanchis de tout soupçon de collusion avec le terrorisme même si certains, parmi eux, avec déjà tiré pas mal de cartouches verbales en direction de leurs coreligionnaires engagés sur les questions de réforme au sein de l’islam contemporain. Aussi, au-delà du respect dû à chacun en sa qualité d’être humain, cela n’a pas transformé fondamentalement les relations entre ces sensibilités musulmanes ni le regard véhément, parfois carrément haineux, que les plus intransigeants portent sur leurs coreligionnaires.

Qu’à cela ne tienne, mais il est indéniable que, de son côté, le CCIF a fait le choix de s’inscrire dans un réseau d’associations et d’acteurs qui se sont clairement positionnés dans la défense d’une identité religieuse intransigeante avec une absence de critique. Pourtant, il n’échappe à personne que les adeptes de cet islam prétendent représenter la normalité à laquelle tout musulman devrait se conformer, sous peine d’être voué aux gémonies.

Pour comprendre la portée du problème, il faut revenir au 24 janvier 2016 lorsqu’Idriss Sihamedi, le président de l’ONG Barakacity, s’est présenté sur le plateau de l’émission Le Supplément, présentée par Ali Baddou sur Canal +, comme un « musulman normal » qui refuse de serrer la main aux femmes et de condamner explicitement l’État Islamique. Cette attitude irresponsable provoquera un tollé sur la toile et au sein des médias hexagonaux.

Un soutien indéfectible qui relègue aux oubliettes les questions éthiques

À l’époque, des discussions animaient les réseaux communautaires sur la démarche éthique de son organisation dont la stratégie reposait en grande partie sur la mise en scène des situations extrêmes pour susciter l’émotion du grand public musulman. Plusieurs prédicateurs et community organizers actifs sur Internet se prêteront d’ailleurs au jeu lacrymal, dans la communion émotionnelle, et au soutien indéfectible au président de l’ONG, en reléguant aux oubliettes les questions éthiques que soulevait une telle attitude. On ne parle pas ici d’un musulman lambda ou d’un acteur public dont la langue aurait malencontreusement fourché.

La posture du CCIF n’est pas illégale mais elle est irresponsable
Au contraire, Idriss Sihamedi possède une formation en communication et il sait parfaitement utiliser les ressorts offerts par les réseaux sociaux. Il se définit sur son compte Facebook comme « un musulman orthodoxe qui rejette les idées féministes contemporaines » et contre la démocratie.

Le 29 février 2020, il s’est fendu d’un tweet fustigeant le président Macron pour avoir reçu Asia Bibi et lui avoir offert l’asile politique « comme pour la remercier de sa haine de l’islam ». On croirait halluciner à la lecture de telles inepties, mais c’est le jeu de la démocratie, et l’auteur de tels propos a tout le loisir de cracher sur un système dont il tire de larges bénéfices, pas seulement symboliques. Lorsqu’un tel individu à maille à partir avec la justice, c’est son droit le plus strict de bénéficier d’un avocat, la démocratie sur laquelle il déverse ses immondices le lui concède sans contrepartie.

Lire aussi : Enfin libre ! Le témoignage puissant d’Asia Bibi, accusée à tort de blasphème, contre l’injustice

C’est dans ce cadre que la posture du CCIF apparaît comme problématique. Car l’ONG n’existe pas hors sol, elle est bien composée de salariés, d’administrateurs, de bénévoles, elle collabore avec des intervenants externes, dont des avocats. Elle s’insère dans des réseaux d’acteurs musulmans et non musulmans, et elle plusieurs porte-paroles officiels et officieux. Elle est notamment partenaire de la plateforme L.E.S. Musulmans qui, comme le CCIF, propose une définition opérationnelle de l’islamophobie comme « l’ensemble des discriminations et violences contre des personnes et des institutions, en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane. Cette définition n’inclut pas la libre critique des idéologies ».

Quand le référent religieux est mobilisé pour susciter l’émotion collective

Derrière les définitions, en apparence neutre, et les déclarations de bonnes intentions, on constate que le CCIF est imbriqué dans un réseau d’acteurs musulmans spécialisés qui sont, entre autres, imams, prédicateurs sur les réseaux sociaux et responsables religieux, acteurs économiques, communicants, avocats et spécialistes en droit, etc. Le CCIF peut tout à fait se définir comme une ONG areligieuse et apolitique, il n’en demeure pas moins que son action ne se résume pas à l’approche technique qu’un avocat aurait du dossier de son client. Elle s’inscrit bien plutôt dans un univers de valeurs et dans une vision du monde, comme elle agit en défense des intérêts d’un groupe dont, de fait, elle s’érige en défenseur.

Aussi, au sein de ce réseau, les acteurs de terrain qui s’expriment au nom ou en défense du CCIF mobilisent peu ou prou le référent religieux pour susciter l’émotion collective et inciter leur coreligionnaire à soutenir leur cause. Pourquoi pas, c’est leur droit. Mais ils s’expriment également publiquement pour légitimer et délégitimer les « musulmans » dignes de s’exprimer au nom de l’islam, ou encore les modes d’appartenance et les pratiques dignes d’être qualifiées de musulmanes.

Pour les non-musulmans, c’est parfois la guerre totale jusqu’à la volonté de tuer socialement des personnes qui seraient censées symboliser le racisme d’État ou la discrimination systémique dont seraient victimes « les musulmans » dans leur globalité. Le patron du restaurant Le Cénacle doit encore en garder un goût amer. Alors directeur exécutif du CCIF, Marwan Muhammad, dans son tweet du 28 août 2016, appelait poliment à ne surtout pas se réunir devant le restaurant qui avait, a priori, refusé de servir deux femmes voilées, tout en les incitant à diffuser l’information largement « afin de montrer la réalité que vivent les musulman-e-s » et à « ruiner la réputation de ce restaurant sur tous les espaces en ligne où il est listé ». On repassera sur le b-a-ba de l’éthique musulmane en la matière.

Des rappels à l’ordre qui manquent cruellement

D’autres « affaires » s’en suivront, avec toujours peu ou prou la même configuration et la même répartition des rôles : les punchlines aux uns, accompagnées de la mobilisation sur les réseaux sociaux communautaires, relayées par des vidéos ou des montages photos le plus souvent tronquées, et aux autres l’action juridique « neutre » et dépourvue de toute autre considération que la « défense des droits ».

Là encore, on ne parle pas d’acteurs dont la langue pourrait fourcher à l’occasion. Ce sont des personnes formées pour et parfaitement rompues aux punchlines, aux techniques de communication de masse et à l’entretien d’un rapport de force avec les acteurs politiques, institutionnels et les médias mainstream. De ce point de vue, il est trop facile de se défausser de toutes les accusations dont on fait l’objet en affirmant à tout bout de champ que l’on n’est pas membre de tel collectif, de telle association ou de telle obédience.

Dans les faits, il suffirait au CCIF de sortir quelques rappels à l’ordre adressés à ses communicants – quand bien même serait-ce à mi-voix – pour faire taire quelques velléités à son encontre. On entend, en voix off, dans les cercles privés, que tel ou tel autre de ses communicants aurait dépassé les limites en refusant de dénoncer les salmigondis de salafistes par ailleurs défendus par l’ONG.

On observe bien qu’au sein même de ce réseau plusieurs imams sont devenus très prudents dans leurs prises de position publiques et assez détachés des questions politiques, avec des prises de position plus mitigées sur le collectif. Mais la ligne de fracture perdure ; Marwan Muhammad, porte-parole officieux du CCIF et principal organisateur de la plateforme L.E.S. Musulmans a, jusqu’à ce jour, défendu bec et ongle Barakacity et son président, tout en refusant à condamner sa vision du monde et ses propos haineux à l’encontre de la société et des musulmans qui ne partagent pas sa vision de la « normalité » de l’islam.

On est en droit d’attendre du CCIF un minimum de distance critique

Cela va même plus loin car les diatribes du président de Barakacity, lorsqu’il présente ses démêlés avec les institutions et la justice comme relevant de LA cause des musulmans, sont relayées sans aucun recul critique. Feïza Ben Mohamed, bénévole et porte-voix du CCIF le 22 octobre dernier sur le plateau de Balance ton post, se situe sur la même ligne lorsque, dans son tweet du 20 octobre, elle prend la défense de Barakacity en la présentant comme une simple organisation humanitaire. C’est faux si l’on suit son propre président qui n’a pas manqué de rappeler de manière très explicite l’engagement religieux et idéologique de l’ONG. C’est une da’wa, une action à visée prosélyte et d’obédience salafiste qui est totalement assumée.

On pourrait multiplier les exemples des prises de positions « orientées », comme celui de Sefen Guez Guez, avocat au barreau de Nice et collaborateur du CCIF. Ce dernier a twitté à plusieurs reprises sur la situation des juifs dans la période précédant la Shoah pour la comparer, de manière sous-jacente, à la situation actuelle des musulmans. À l’instar d’Idriss Sihamedi, il avait également fustigé le fait qu’Emmanuel Macron ait reçu Asia Bibi.

Bien sûr, les agissements des membres du réseau du CCIF n’en font pas un coupable « par procuration ». Mais en termes de défense des droits humains et de lutte contre la haine, on est en droit d’attendre du CCIF un minimum de distance critique. À défaut, voire a minima, on pourrait s’attendre à une once de réprobation des communicants officiels et officieux du collectif. On cherche en vain.

A contrario, le 7 septembre 2019, Feïza Ben Mohamed réagissait promptement à l’annonce de la prière présidée par deux femmes imames en un tweet lapidaire et non moins disqualifiant : « Quelqu’un leur a dit que le nom “islam” est déjà pris par une autre religion ? ». Belle punchline, non moins problématique… et impossible de trouver la moindre dénonciation des propos du côté de l’ONG. Il s’agit pourtant bien, sur le fond, d’une excommunication pour la simple divergence sur un point relatif à la pratique du culte.

La posture du CCIF n’est pas illégale mais elle est irresponsable
La liste devient tout même suffisamment longue au sujet du positionnement très orienté du CCIF dans sa « défense » des musulmans. La publication, sur le site du CCIF, des quatre volets de l’article d’Aïssam Aït Yahya, intitulés « Maîtriser le langage politique français », au cours de l’année 2020, peut finalement apparaître comme une suite logique dans le positionnement du collectif, une sorte de point d’orgue d’une stratégie continue sur plusieurs années. Les auteurs ayant traités un tel sujet sont légion, mais le CCIF a choisi précisément celui qui se définit comme l’antinomie la plus claire, la plus ferme et la plus radicale de la démocratie.

C’est l’accumulation de tous ces faits qui crée un climat nauséabond sur et autour du CCIF ; défendre de manière indéfectible les adeptes d’une religiosité intégrale, exclusive, anti-démocratique, misogyne et leur fournir un relais médiatique via un blanc-seing octroyé aux membres d’un réseau dont on est partenaire sans l’once d’un recul critique sur la place publique. C’est possible, c’est légal, mais, sur le plan des conséquences, c’est totalement irresponsable.

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Omero Marongiu-Perria est sociologue et spécialiste de l’islam.

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