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Ramadan

Nidhal Guessoum : « Notre devoir de leadership est de guider la communauté »

Rédigé par | Vendredi 20 Juin 2014 à 06:00

           

Le Ramadan commencera-t-il le 28 ou le 29 juin ? Dans ce débat qui agite les musulmans en cette veille du Ramadan 2014, Nidhal Guessoum, professeur à l'Université américaine de Sharjah, aux Emirats arabes unis, a aussi son mot à dire. L’astrophysicien algérien, qui défend depuis des années l’adoption d’un calendrier bi-zonal musulman fondé sur le calcul scientifique, explique pourquoi un tel choix limiterait la confusion et les discussions qui accaparent tant les esprits.



L'astrophysicien Nidhal Guessoum.
L'astrophysicien Nidhal Guessoum.

Saphirnews : Une véritable désunion a affecté les musulmans de France au Ramadan 2013. Comment avez-vous vécu ce moment si particulier ?

Nidhal Guessoum : En tant qu’astronome musulman, quelqu'un qui a beaucoup travaillé pour l'intégration harmonieuse de l'islam avec les données de l’astronomie, de la science et de la vie moderne, j'ai été profondément attristé par le désordre et la confusion qui se sont produits en France à la veille du Ramadan l’année dernière. Je savais que cette débâcle allait, malheureusement, avoir un impact très négatif, non seulement pour l'islam en France, ses pratiques, ses structures, sa réputation de par le monde, mais aussi concernant nos efforts d'harmonisation.

Les organisations musulmanes avaient décrété le 9 juillet comme date du début du Ramadan sur la base du calcul, mais le 8 au soir, le monde musulman a déclaré que le croissant n’avait pas été vu et donc que le Ramadan commencera le 10, faisant de la France et de l’Allemagne, qui suit la Turquie, les seuls pays ou le Ramadan allait commencer le 9. D’où l’effervescence et la pression des masses qui ont suivi, menant au revirement qui a été annoncé le matin du 9… C’est une situation que nous avions prédite et qu’il fallait anticiper, soit en adoptant un critère différent pour le début du mois, soit en faisant un grand effort pédagogique et médiatique. Malheureusement, rien de cela n’a été fait.

Entre le 9 et le 10 juillet, le cœur des musulmans avait balancé en dernière minute. Quel a été votre choix et sur quelle position vous êtes-vous appuyé ?

Nidhal Guessoum : Les musulmans de France n’avaient pas été préparés pédagogiquement au choix qu’avaient fait les organisations musulmanes d’adopter le calcul comme méthode de détermination du début et de la fin du mois.

Moi, j’ai toujours été pour ce choix. Cependant, parmi les experts musulmans sur cette question précise, il y a deux « écoles » : celle qui préconise l’adoption d’un calendrier universel, dans lequel le monde entier commence et termine chaque mois musulman le même jour (le choix du CFCM en mai 2013 que défend à ce jour l’UOIF, ndlr), et celle que je représente qui préconise la division du monde en deux grandes régions, avec une division au milieu de l’Atlantique, qui fait que, parfois, « l’Ancien Monde » diffère d’une journée le début ou la fin d’un mois par rapport au « Nouveau Monde ».

Le calendrier bizonal que je préconise aurait permis d’éviter le chaos et la confusion qui se sont produits. Il faut dire, cependant, que les organisations musulmanes qui avaient fait le choix du calcul ont voulu rassembler les musulmans autant que possible et ont préféré adopter le calendrier universel car il correspond exactement à la règle appliquée par les musulmans turcs depuis des décennies et, de plus, étant « universel », ce calendrier semblait plus « rassembleur ». Nous, experts, savions que cela ne serait pas le cas.

Quelles particularités notez-vous cette année sur le plan scientifique quant à la position et à la visibilité de la Lune prédites ? Prenant en compte les avis religieux qui s’affrontent, en quoi seront-t-elles de nature à favoriser l’annonce d’une ou de deux dates en France ?

Nidhal Guessoum : Pour 2014, la « Nuit du doute » du Ramadan sera le 27 juin, mais, ce soir-là, le croissant ne sera visible qu’en Amérique du Sud. Le 28, le croissant sera visible très facilement à l’œil nu en Afrique et assez facilement au Moyen-Orient ; en France, il sera peut-être visible au télescope, mais pas à l’œil nu.

Du fait que le croissant sera visible en Amérique du Sud le 27, le Conseil européen de la fatwa et de la recherche, relayé par l’UOIF sur son site, a déjà publié un communiqué déclarant le 28 juin comme date du début du Ramadan. Le CFCM a, cette année, décidé de revenir à la méthode traditionnelle et d’attendre les témoignages d’observation du croissant. Il n’est pas clair si on se limitera aux témoignages venant du territoire français ou si on acceptera des témoignages d’ailleurs.

Astronomiquement, aucun croissant ne sera visible en Europe, en Afrique ou en Asie le 27 juin, donc selon cette approche le mois ne pourra pas débuter le 28. Nous avons donc déjà les prémisses d’un différend, sauf si une observation, totalement fictive et erronée, est annoncée le 27 au soir, ce qui nous mettrait en désaccord avec la science. Donc, d’une manière ou d’une autre, nous aurons un désaccord important le 27 au soir…

De quel œil voyez-vous la création récente de l’Observatoire lunaire des musulmans de France (OLMF) ?

Nidhal Guessoum : Non seulement cette approche traditionaliste, voire fondamentaliste, de l’OLMF, rejetant complètement le calcul et insistant sur l’observation locale du croissant, ne règle pas les problèmes de planification et d’unification des musulmans que les organisations musulmanes ont voulu régler par l’adoption du calcul, mais, de plus, cette approche va créer beaucoup de divisions et de différends car, comme je l'’ai montré par les données concernant les années qui viennent, cette méthode sera souvent en décalage avec les dates qui seront adoptées dans les pays musulmans d’Afrique.

Quel rôle le CFCM doit-il avoir dans le débat, selon vous ? Quelle position de principe devrait-il adopter pour mettre fin aux querelles, selon vous ?

Nidhal Guessoum : Le CFCM est tout à fait au courant de mes travaux et de mes opinions. Le CFCM est d’accord avec moi « en principe », mais comme j’ai dit ci-haut, sous la pression des masses, il a réalisé que l’adoption du calcul ne peut se faire avant une « période de transition », où un effort d’explication et de sensibilisation des musulmans de France sera fait afin de les convaincre que, un, cette approche par le calcul est tout à fait acceptable sur le plan religieux, beaucoup de fouqahas (savants) anciens et modernes l’ayant en effet validée ; deux, cette approche permet vraiment de rassembler les musulmans de France, voire plus largement, et surtout leur permettra de planifier leur vie, d’obtenir des jours de congé (les deux Aïd) acceptés (dans les écoles) et rémunérés (par les employeurs) officiellement, sans parler de la possibilité de planifier des voyages de rassemblement et de célébration familiale et communautaire.

Oui, l'incompréhension règne encore quant au bien-fondé du calcul pour déterminer les mois lunaires. Alors pensez-vous la décision de la Grande Mosquée de Paris d'"abandonner la partie" (en organisant une Nuit du doute) comme étant une bonne solution ?

Nidhal Guessoum : Il y a une grande différence entre « période de transition » et « abandonner la partie » ! Si on veut prendre une année ou deux pour expliquer tout cela aux musulmans de France, en leur montrant que véritablement les calculs sont fiables et cohérents avec le reste de notre vie (temps de prières, etc.), en tant qu’enseignant et pédagogue, je ne peux qu’applaudir et y participer. Mais si c’est un recul, voire une marche arrière, je ne peux pas cautionner cela, car notre devoir de leadership est de guider la communauté.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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