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Points de vue

Mes observations en tant que chercheuse au sein du lycée Averroès

Rédigé par Carol Ferrara | Samedi 14 Février 2015 à 02:09

           

De 2012 à 2014, Carol Ferrara, doctorante en anthropologie (Université de Boston), a effectué plusieurs visites au lycée Averroès, au sein duquel elle a pu réaliser observations et entretiens auprès des élèves et de l'équipe pédagogique. Cet établissement privé d'enseignement musulman est au centre de controverses lancées par un professeur de philosophie, Soufiane Zitouni, y ayant exercé les premiers mois de l'année scolaire 2014-2015. Par ce témoignage, la chercheuse espère « pouvoir ajouter une perspective objective et neutre ».



Mes observations en tant que chercheuse au sein du lycée Averroès
J’ai rencontré pour la première fois Hassan Oufker, le directeur du lycée Averroès, à la suite d’un rendez vous que j’ai eu en mai 2012 avec Makhlouf Mamèche, le directeur adjoint du lycée, vice-président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), et président de la nouvelle Fédération nationale de l’enseignement musulman (FNEM).

A la suite de l’étude que j’ai effectuée pour mon mémoire de master à l’American University of Paris (intitulé « Religious Tolerance and Understanding in the French Education System », publié en anglais dans le Journal of Religious Education, décembre 2012), j’étais en train de préparer ma recherche de terrain pour ma thèse en anthropologie à l'Université de Boston aux Etats-Unis intitulé provisoirement « La transmission de la foi dans la République » sur les institutions d’éducation en France qui tentent de transmettre à la fois les valeurs françaises et les valeurs religieuses.

Depuis cette première visite au lycée, j’ai revisité l’établissement plusieurs fois pour ma recherche, la plus récente étant un séjour de 15 jours en novembre 2014, pendant lequel j’ai assisté aux cours, observé des réunions entre professeurs et la direction, discuté avec les professeurs et parents d’élèves, et interviewé des anciens élèves du lycée.

Après les premières visites à l’école pendant lesquelles j’ai dû mériter leur confiance, M. Oufker m’a donné carte blanche pour ce dernier séjour de circuler librement dans les couloirs, assister aux cours (avec la permission des professeurs, bien sûr), et manger avec tout le monde dans la caféteria. Il m’a également invitée à assister aux événements et aux réunions au sein du lycée et m’a réservé une salle pour me permettre d’interviewer en tête-à-tête les anciens élèves (sans contrôle du lycée). Pendant mon séjour, j’ai aussi eu l’opportunité d’observer les cours de Soufiane Zitouni (ancien professeur de philosophie) ainsi que ceux de Sofiane Meziani (professeur d’éthique).

Il me paraît responsable de partager mes expériences au lycée en tant qu’anthropologue ayant passé les cinq dernières années à étudier les écoles musulmanes en France. Donc j’ai choisi de partager, en espérant pouvoir ajouter une perspective objective et neutre dans la conversation d’actualité (en sachant que la recherche en sciences sociales n’est jamais 100 % objective ni neutre). Je ne suis ni musulmane ni française. Je veux d’abord insister sur le fait que j’ai du respect pour toutes les parties affectées et concernées dans cette affaire.

Un mélange d’opinions et de perspectives

Pour ma part, je n’ai jamais eu le sentiment qu’il y avait un double discours au lycée, un jeu avec l’État et puis un secret de l’« islamisme » en utilisant l’expression de M. Zitouni. Il y a un grand mélange d’opinions et de perspectives dans le lycée, y compris des pensées diverses sur l’« islam » ainsi que sur la religion en général – comme dans tout établissement scolaire. Il y a des professeurs de plusieurs confessions au lycée ainsi que des professeurs athées.

Le discours que j’ai pu constater dans les cours d’éthique, cours facultatifs qui sont en partie censés encadrer les élèves par une meilleure connaissance de l’islam, est surtout un message qui souligne le bon comportement, y compris le bon comportement en tant que citoyen français. Ce discours de bon comportement en tant que citoyen français musulman me paraissait très clair et cohérent au sein de l’établissement. Les anciens élèves avec qui j’ai parlé m’ont souvent décrit le discours diffusé dans les cours d’éthique au lycée comme un « islam universel » qui les encouragent à étudier, à réfléchir et à contribuer activement dans la société dans laquelle ils se trouvent.

L’association des parents d’élèves d’Averroès organise une série de conférences tout au long de l’année où les intervenants sont invités à se prononcer sur des sujets variés. Comme M. Zitouni l’a constaté, ils ont invité Tariq et Hani Ramadan à plusieurs occasions, mais ils ont aussi invité Ghaleb Bencheikh, qui, pour moi, représente une tout autre perspective que les frères Ramadan, et qui n’est pas affilié à l’UOIF. Pendant une réunion entre la direction et les professeurs, M. Oufker a partagé sa grande excitation que M. Bencheikh vienne parler à la communauté d’Averroès. Dans cette même réunion, l’équipe pédagogique parlait de la nécessité de faire venir plus d’intervenants divers pour parler aux professeurs, aux parents et aux élèves pour plus ouvrir l’esprit de la communauté autour de l’école.

C’est vrai que le discours sur l’islam au lycée s’approche du discours de l’UOIF et de son président Amar Lasfar, comme M. Zitouni l’a constaté ; mais, pour ma part, je ne vois pas, selon mes connaissances, expériences et perspectives, ce discours comme une menace contre la France. De plus, les extrêmes ne sont pas tolérés dans l’établissement. J’ai vu moi-même M. Lasfar éconduire une jeune femme (une ancienne élève) de la cérémonie de remise des diplômes en novembre parce qu’elle portait le niqab et qu’elle ne voulait pas l’enlever pour y assister.

Cela étant dit, la perspective qu’on a du lycée dépend également des idées reçues. Le lycée Averroès – son environnement, ses valeurs, son public, les opinions de ses élèves et de ses professeurs – ne plaira pas à tout le monde malgré les efforts de la part de la direction de créer une école ouverte et accessible à toutes et à tous.

Confessionnel, le lycée n'est pas pour autant un « territoire musulman »

Comme les autres lycées musulmans en France dans lesquels j’ai fait la même sorte d’observation et de participation, le lycée Averroès est une institution qui accueille, pour la plupart, des Français musulmans pratiquants et pieux. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’élèves moins pratiquants ou non croyants ni d’élèves catholiques ou d’autres confessions dans cet établissement – et cela ne veut pas dire que c’est un « territoire musulman ». Mais elle reste une école confessionnelle musulmane.

Par exemple, on ne trouvera pas la salle de prière vide les vendredis ; on va voir beaucoup de filles et de femmes voilées ; on va entendre « salam alaykum » et quelques conversations en arabe dans les couloirs ; on va constater que certains membres de l’équipe pédagogique enseigne que le voile est un choix pour chaque femme, mais qu’il reste une obligation dans leur interprétation de l’islam ; il y aura certaines sociabilités et coutumes maghrébines et/ou musulmanes pratiquées qui ne sont pas pratiquées dans les établissements publics, catholiques, juifs ou protestants en France.

Malheureusement, comme dans tout établissement, chez certains individus il y a des malentendus et des stéréotypes négatifs, envers certains groupes ou types de personnes – en particulier chez les jeunes au collège et au lycée. Le lycée Averroès n’échappe pas à cette norme. Alors, oui, on peut trouver quelques élèves dans l’école qui ont des stéréotypes ou des préjugés contre les juifs – comme dans tous les autres lycées que j’ai visités.

Mais ce qui est important, c’est que l’équipe pédagogique ne l’ignore pas. Pendant mon séjour, bien avant les événements de janvier, ils avaient organisé une conférence pour les lycéens avec un rabbin (le neveu de Michel Soussan, l’ancien inspecteur d’académie qui fait partie de cette équipe pédagogique et qui a soutenu et aidé l’école depuis le début). Lors de cette conférence ainsi que dans ses cours d’éthique, M. Meziani a parlé des similarités entre la religion juive et la religion musulmane et il a encouragé les jeunes à accorder plus d’attention aux similarités qu’aux différences entre les deux religions. Ces efforts de la part de l’équipe pédagogique ne réussissent pas toujours, comme avec tout programme pédagogique, mais au moins l’effort est fait.

La lutte contre l'extrémisme, un enjeu réel

Selon ma recherche, et ce que j’ai pu constater en travaillant sur ce sujet durant les cinq dernières années, le combat contre l’extrémisme est un enjeu réel et inquiétant pour les quelques écoles musulmanes qui existent en France. Ces écoles ont le double défi d’être ciblées non pas seulement par les sceptiques laïcs ou parfois par l’État, mais aussi parfois par les familles un peu « renfermées » dans leur interprétation de l’islam, (autrement dit « extrême ») qui cherchent un sanctuaire musulman pour y mettre leurs enfants, pour les « protéger » du système public.

L’enjeu pour la direction de ces écoles est de savoir quoi faire dans ces cas-là. Refuser l’accès à l’école aux jeunes issus de ce « type » de famille ? (C’est ce que la plupart des administrateurs d’établissement me disent qu’ils font.) Ou les faire venir en espérant élargir leurs perspectives, connaissances et esprit, en les exposant à d’autre points de vue ? Il est évident que cet enjeu ne concerne absolument pas la majorité des cas des élèves dans les écoles musulmanes, mais il ne faut pas oublier cet aspect.

Les écoles musulmanes en France sont des établissements très jeunes et elles n’ont pas encore trouvé leur équilibre. Mais, selon ma recherche, je reste convaincue que les jeunes citoyens français sortant du lycée Averroès ont, au minimum, reçu les outils nécessaires pour apporter une contribution positive à la société française.

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Carol Ferrara est doctorante en anthropologie, Boston University.






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