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Société

Les lycées minés par des « pratiques séparatistes » ? La Vigie de la laïcité dénonce les « biais » d'un sondage

Rédigé par Lina Farelli | Jeudi 9 Décembre 2021 à 15:25

           


©Wikimedia/Baidax
©Wikimedia/Baidax
La Journée nationale de la laïcité est une occasion renouvelée chaque année le 9 décembre pour des institutions et associations de dévoiler les résultats d’enquêtes d’opinion commandées autour du fait laïque. Cette année, ce sont ceux du sondage de l’IFOP pour le compte de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) qui sont relayés jeudi 9 décembre par plusieurs médias mainstream.

Au regard de cette étude portant sur l'ampleur des « atteintes à la laïcité » dans les lycées publics, « force est de constater que les manifestations identitaro-religieuses qui affectent la vie scolaire sont loin d’être un phénomène marginal : plus de la moitié des élèves inscrits dans le second cycle du second degré y ont déjà été exposés au moins une fois et leur exposition à ces problèmes est encore plus massive dans les établissements marqués du sceau de la relégation sociale ou scolaire », résume la LICRA, pour qui « les atteintes au principe de laïcité (sont) particulièrement répandues, notamment dans les banlieues populaires ».

Ce que révèlerait l'enquête d'opinion

L’étude se veut alarmiste. Plus d’un lycéen sur deux (55 %) aurait déjà été « confronté à une forme d’expression du fait religieux en milieu scolaire, les plus répandues étant les demandes de menus "confessionnels" (47 %), les refus d’activités pédagogiques des jeunes filles au nom de leur religion (31 % pour des cours de natation et 26 % pour des cours d’EPS) mais aussi un rejet des références religieuses de certaines activités pédagogiques (24 % de refus d’entrer dans un édifice religieux) ou moments de vie scolaire (27 % de contestations des repas de Noël) ».

Plus surprenant encore sont ces chiffres : 16 % des lycéens (33 % dans les lycées classés « prioritaires ») auraient déjà constaté « l’organisation à la cantine de tables en fonction de la religion », 15 % des lycéens du public (30 % en milieu « prioritaire ») « des WC séparés en fonction de leur religion » et 13 % (32 % en zone « prioritaire ») « l’institution de robinets réservés aux élèves en fonction de la confession ». Vraiment ? En tous cas, pour la LICRA, ces « expressions des identités religieuses illustrent une forme de "séparatisme" d’une partie des élèves ou, du moins, une volonté d’entre-soi durant certains moments de vie scolaire ».

Un sondage « marqué par de nombreux biais »

Séparatisme : le mot est lâché et il est davantage le fait, lit-on, de lycéens de confession musulmane : « Si les différentes formes d’expression du religieux pouvant affecter la vie scolaire ne sont soutenues que par un lycéen sur quatre (26 %), elles le sont dans des proportions beaucoup plus fortes par les élèves musulmans (40 %). »

« Alors que la majorité des lycéens (61 %) soutiennent le droit des enseignants à "montrer (…) des caricatures se moquant des religions afin d’illustrer les formes de liberté d’expression", ce n’est le cas que de 19 % des musulmans ». Enfin, « l’idée selon laquelle "les règles édictées par leur religion sont plus importantes que les lois de la République" est par exemple beaucoup plus partagée par les lycéens (43 %) que les adultes (20 %) : les élèves musulmans se distinguant eux-mêmes des autres élèves par un niveau d’adhésion massif à cette idée (65 %) ».

Problème : ce sondage est « marqué par de nombreux biais », affirme dans un communiqué la Vigie de la laïcité, qui rappelle d’abord que « la date de recueil des réponses date de janvier 2021 ». En même temps qu’une autre enquête d’opinion réalisée aussi par l’IFOP pour la LICRA autour des questions de religion et de laïcité dont un premier volet a été dévoilé alors en mars dernier.

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Un focus sur les « lycéens musulmans » problématique

Avec 1 006 lycéens âgés de plus de 15 ans interrogés, « le panel est constitué d’un trop faible nombre de personnes pour être fiable d’un point de vue statistique » tandis que « les sous panels, de nature confessionnelle, sont constitués d’un nombre de personnes encore plus faible (quelques dizaines) qui empêche d’ en tirer un quelconque enseignement », indique la Vigie, qui estime que « les termes employés par l’institut de sondage révèlent de sa part une prise de position éminemment partiale ».

« A partir de réponses anodines ou pouvant conduire à des interprétations très diverses sont extrapolées des affirmations "chocs" mais faussées. Nombre des "dérives" ici relatées sont des "demandes" (ex : demande de menus confessionnels) non rattachées à quelque information sur les suites qui leur sont réservées », affirme l'association, présidée par Jean-Louis Bianco. Par ailleurs, « certaines questions, dont la formulation reste très vague, conduisent à des interprétations différentes. Les réponses obtenues ne peuvent donc pas être interprétées de manière aussi univoque ».

Enfin, « le focus opéré sur les "lycéens musulmans", outre qu’il repose sur un panel n’ayant aucune valeur scientifique aboutit à une division nauséeuse de la population lycéenne, à l’opposé de toute démarche laïque », dénonce la Vigie, qui appelle les médias et les responsables publics « à ne pas relayer "tel quel" ce sondage tronqué comme le voudraient ses auteurs, mais à bien en identifier les nombreux biais ». « Là où le sondage souhaite jeter la lumière sur des pratiques “séparatistes”, trop de questions demeurent sans réponse pour qu’il puisse être accepté comme tel. »

Donner de nouveaux moyens à l’enseignement public pour qu’il puisse remplir sa mission

Si « les difficultés qui ont trait à la laïcité sont une réalité dans les lycées français », plus encore dans les lycées « où la mixité sociale et socioculturelle est faible, du fait de leurs populations homogènes et des replis qui en découlent », la réalité est « très différente de celle qu’affirme sans nuance ce sondage qui ne porte, lui, que sur un petit millier de personnes », souligne la Vigie, qui se réfère à l’enquête du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) en 2020 portant sur 16 000 élèves de 3e et de Terminale dans près de 400 établissements répartis sur l’ensemble du territoire national.

« Affirmer que "tout va mal" ne règle rien. Il est temps d’agir, d’assurer une plus grande mixité sociale. Cela doit se faire par une meilleure répartition spatiale des lycées sur le territoire, la proposition d’options spécifiques, le renforcement des équipes pédagogiques, le respect de la carte scolaire (qu’il s’agirait peut-être de réviser), et aussi l’implication du secteur privé sous contrat qui doit prendre bien plus sa part qu’il ne le fait actuellement », recommande la Vigie de la laïcité, qui appelle à renforcer « les formations à la laïcité et l’enseignement laïque des faits religieux et des courants de pensée » et à « donner, enfin, de nouveaux moyens, humains et financiers, à l’enseignement public pour qu’il puisse réellement remplir sa mission ».

L'IFOP répond à la Vigie de la laïcité

Mise à jour mardi 14 décembre : Faisant suite aux affirmations de la Vigie de la laïcité, l’IFOP juge que l’association « s’est attelée à un travail de désinformation ». Si l’institut de sondage se déclare « ouvert au dialogue et aux critiques sur ses enquêtes », il ne peut « pas laisser passer des allégations mensongères dénotant aussi bien une incompétence sur le plan technique qu’une malhonnêteté sur le plan éthique ».

S’agissant notamment de la taille de l’échantillon (1 006 répondants), il s’agit de la taille de « la plupart des sondages politiques » réalisés en France au point d’être considéré comme « l'échantillon standard en France », en se référant à une note du Conseil constitutionnel datée de janvier 2012. Quant à la date de l’enquête traitée en janvier, « il n’y a rien d’illogique à attendre la Journée de la laïcité à l’école pour publier une enquête sur "les entorses à la laïcité à l’école" ».

Alors que la Vigie considère que « les termes employés par l’institut d’opinion publique révèle de sa part une prise de position éminemment partiale », elle ne cite « jamais le moindre exemple de cette partialité », dénotant « une entreprise de diffamation ne reposant sur aucun fait », déclare aussi l’IFOP dans son communiqué. Quant au focus opéré sur les « lycéens musulmans » dans son enquête, les réponses de ces derniers ne sont « pas mises à l’index comme ils le suggèrent, elles sont juste les seules à pouvoir être analysées avec celles des catholiques et des sans-religion ».

Pour la Vigie de la laïcité, le communiqué de l’IFOP « n’infirme aucun de ces biais (bien au contraire) et confirme une orientation partisane de fait assumée par l’auteur du sondage » sans offrir à ce stade plus d'explications.

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