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Points de vue

Le couple est une conquête : la fécondité de la rencontre en islam

Rédigé par Lalla Chams En Nour | Mercredi 5 Avril 2023 à 11:00

           

Peut-on s’épanouir dans un couple quand on est musulman ? A lire les courriers Psycho de Saphirnews et de Salamnews, on pourrait en douter. Pourtant, l’islam regorge d’enseignements montrant le niveau d’épanouissement auquel le couple peut accéder.



Depuis maintenant une quinzaine d’années, Saphirnews et Salamnews proposent à ses lecteurs une rubrique Psycho qui les invite à exprimer leurs difficultés relationnelles. Conjointe, conjoint, parents, fratrie, voisins, relations de travail... Tous les types de relation au monde peuvent être interrogés. Mais la très grande majorité des lettres que nous recevons concernent les difficultés dans le couple. Mépris, tromperies, mensonges, abus d’autorité, jalousie, égoïsme, violences verbales ou physiques… dominent dans les lettres qui nous sont adressées.

Pourquoi est-il si difficile de créer un partenariat où chacun peut s’épanouir ? Est-ce dû à une tradition restée archaïque dans certains milieux musulmans, et contre laquelle le Prophète avait lutté ? Il est probable que la vraie rencontre soit impossible dans le cadre de mariages arrangés, car les intérêts en jeu sont ceux de la famille, de la réputation, des alliances financières. Dans ce contexte, la rencontre amoureuse reste très difficile. Le nécessaire épanouissement de chaque membre du couple passe alors au second plan.

La pression familiale pousse les jeunes à se « caser » au plus vite, dans une projection de l’autre idéalisé, mais hélas, au bout de quelques mois, la désillusion surgit, de façon parfois très douloureuse. Les lettres adressées à notre rubrique témoignent de frustrations, d’incompréhensions, d’attentes déçues, de promesses non tenues, et souvent de profonds désespoirs…

Pourtant, qui n’a jamais rêvé d’une rencontre qui viendrait donner du sens à sa vie entière ? Quelle jeune fille n’a pas imaginé le « prince charmant » qui viendrait lui révéler les secrets de l’amour ? Et quel jeune homme n’a jamais éprouvé le désir de trouver son équilibre dans une relation stable et enrichissante avec une femme ? Le couple est la base de tout projet d’établissement dans la vie, la fondation d’une lignée nouvelle… Il y a autour de la rencontre d’un homme et d’une femme des enjeux d’une grande importance.

La Création est perpétuelle, grâce à la rencontre du féminin et du masculin

Quelle que soit la culture, la religion, l’hémisphère… la rencontre entre un homme et une femme fait jouer les mêmes enjeux : la transformation d’une attirance sexuelle en projet de vie fondatrice d’une nouvelle lignée. Le Coran invite à la réflexion sur ce thème : « A partir de toute chose, Nous avons créé des couples, afin que vous méditiez. » Et la Genèse : « A l’image de Dieu il le créa, masculin et féminin il les créa. »

La rencontre entre un homme et une femme est donc la rencontre complémentaire de deux types d’énergie destinés à mettre en route une nouvelle dynamique entre deux êtres de sexe opposé. A travers une métaphysique sexuée selon laquelle tout fruit est l'union de deux polarités. F'il et infi'al, en arabe, soit activité et réceptivité. Ou encore nâkih, fécondant et mankûh, fécondé (« L’islam au féminin », Eric Geoffroy, Albin Michel).

La Création est perpétuelle, grâce à la rencontre du féminin et du masculin. La rencontre des pôles opposés. Et comme le souligne le Coran, la nuit succède au jour, ce qui fait dire à Ibn Arabi que le mouvement des sphères est celui du coït. Merveille.

Le couple est une conquête : la fécondité de la rencontre en islam

La rencontre est féconde

Le couple recèle, bien sûr, une dimension spirituelle. En théorie, une rencontre, c’est aller vers l’autre et le reconnaître pour ce qu’il est. Il n’est pas question de domination, ni de possession, ni de mise en emprise de l’autre. Selon Ibn Arabi, l’homme, partenaire « actif » (nâkih), est demandeur (tâlib), et donc dans l’indigence ou le manque (iftiqâr) ; la femme, elle, est demandée (matlûba), désirée : puisque le « désir sensuel (masculin) est impérieux, elle est supérieure à l’homme, car plus forte. La femme a donc davantage la capacité de contenir ses désirs et de cacher son amour » (Al Futuhat al-Makkiya, Les Illuminations de La Mecque).

La femme, elle, serait même spirituellement supérieure à l'homme car elle n'a pas ce manque, ontologiquement. Elle est dotée d'une côte à partir de laquelle elle va se constituer. Elle reçoit, elle accueille pour devenir féconde, devenir créatrice à son tour. On comprend que cela puisse faire peur aux hommes ! Pour Ibn Arabi, elle possède la matrice, el takwin, la production de l'être. Elle est un être créé à l'image du divin, elle a reçu des attributs différents de ceux de l'homme. Mais elle est la créatrice.

Ce ne sont pas là des propos pris en compte par la grande majorité des couples dans la civilisation islamique. Cette rencontre féconde est malmenée par les traditions patriarcales, détournée, combattue même par les partisans d’une domination des hommes sur les femmes. Le plus triste, c’est qu’en fondant leur union à la femme sur le principe de la possession, les hommes sont les premiers à forger leur malheur, car méconnaissant le pouvoir et les qualités du féminin, ils se privent eux-mêmes d’une dimension indispensable à leur propre équilibre. Nous avons besoin les uns des autres, hommes et femmes, car toute rencontre débouche, théoriquement, sur un enrichissement personnel. Aller vers l’autre, c’est accéder à l’amour.

Dans la rencontre sexuelle, le féminin se révèle grâce à la sollicitation du masculin et le masculin devient plus subtil s’il se met à l’écoute du féminin, en l’autre puis en lui-même. Nous sommes tous faits de ces deux dimensions, dans des proportions inversées.

Faire couple est donc exigeant, cela se conquiert, cela demande une ouverture vers l’autre, une qualité de don, d’effacement, de patience, de compréhension de la différence de l’autre. Bien souvent chaque partenaire attend de l’autre qu’il vienne combler ses manques, et c’est là que les ennuis commencent. Personne ne viendra jamais compenser les manques d’une enfance malmenée, il est essentiel d’apprendre à se connaître soi-même, de s’être sorti des conditionnements de l’enfance pour faire couple avec un autre, ou au moins en avoir le désir. Le socle sur lequel repose la solidité du couple est la confiance, l’adhésion à un projet commun où chacun pourra trouver son épanouissement personnel, dans la reconnaissance de sa valeur par l’autre, et de la valeur de l’autre.

La rencontre féconde est malmenée par les traditions patriarcales, détournée, combattue même par les partisans d’une domination des hommes sur les femmes.

Des exemples en islam

Tout musulman sait combien le Prophète appréciait les femmes. Il leur a octroyé de son vivant un statut leur permettant de sortir de l’assujettissement dans lequel vivaient les femmes des tribus nomades. Il a vécu de nombreuses années en monogamie avec sa première épouse, Khadija. Et la très belle scène de son retour de la grotte de Hira, après la visite de l’ange Gabriel, alors que Muhammad revient vers elle tremblant et doutant de sa santé mentale, et que Khadija l’accueille dans son intimité pour devenir la première à croire en sa Révélation, prouve à quel point ces deux êtres devaient être en confiance. Un couple solide, complémentaire où chacun tient sa place dans la reconnaissance de l’autre.

Le grand sage du Khorassan, dans l’Ouzbékistan actuel, Hakim Al-Tirmidhi, mort en 932, avait lui aussi une relation très intéressante avec son épouse, qui serait elle-même tout aussi mystique que son prestigieux mari. Selon Attar, dans le Mémorial des saints, cette épouse aurait fait une vingtaine de rêves spirituels en tant qu’intermédiaire entre le monde invisible et son mari. Elle aurait vu des anges la chargeant d’un message pour lui. Elle a reçu la visite du Prophète Muhammad ou du Prophète Jésus qui, eux aussi, la prennent comme messagère pour s’adresser à Al-Tirmidhi. Dans un autre rêve, elle raconte à son cher époux que Muhammad est venu dormir dans leur lit, comme pour offrir sa bénédiction à leur couple harmonieux. Hélas, il faut croire qu’une telle complémentarité dérangeait l’ordre établi car ce grand astrologue, philosophe, théologien, a été condamné à l’exil pour avoir parlé d’amour.

Ces exemples montrent à quel niveau d’épanouissement le couple permet d’accéder. C’est pourquoi il est essentiel de s’engager dans une vie à deux après mûres réflexions, échanges nombreux sur les valeurs de chacun, je dirais aussi sur les malheurs de chacun, afin de permettre une meilleure compréhension des blocages, des impasses, des souffrances traversés par chaque membre du couple. Pour ce faire, une seule recette : la communication basée sur une confiance mutuelle qui se construit dans le respect de l’autre.

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Lalla Chams En Nour est psychanalyste. Elle anime la rubrique Psycho dans les médias Saphirnews.com et Salamnews dont le 82e numéro est téléchargeable gratuitement ici.


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Ils ne sont pas médecins, même si on les désigne parfois comme des « médecins de l’âme », mais leur rôle est de vous aider à trouver en vous-même la meilleure réponse à vos interrogations sur vos relations aux autres, votre conjoint ou conjointe, vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins...

Alors, n’hésitez pas, interrogez-les, ils tenteront de vous répondre en s’éclairant des plus belles pensées de l’islam.
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