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Arts & Scènes

L'exposition consacrée au peintre français et musulman Etienne Dinet joue les prolongations à l’IMA

Rédigé par Lina Farelli | Mardi 4 Juin 2024 à 17:00

           

Etienne Dinet est une figure artistique à la destinée hors du commun. A cheval entre le 19e et le 20e siècle, il est l’un des seuls peintres orientalistes qui a échappé au reproche d’exotisme colonial, fait valoir l’Institut du monde arabe, qui met à l’honneur les passions algériennes de l'artiste depuis le 30 janvier.



Étienne Dinet (1861-1929), Esclave d’amour et Lumière des yeux : Abd-el-Gheram et Nouriel-Aïn (légende arabe) (détail). 1900, Paris, musée d’Orsay. RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowsk
Étienne Dinet (1861-1929), Esclave d’amour et Lumière des yeux : Abd-el-Gheram et Nouriel-Aïn (légende arabe) (détail). 1900, Paris, musée d’Orsay. RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowsk
Né en 1861 à Paris dans une famille bourgeoise du Second Empire, formé à l’École des Beaux-Arts, Etienne Dinet découvre l’Algérie en 1884 par hasard, au cours d’un voyage qu’il effectue avec un ami de son frère. Le coup de foudre est immédiat, au point de renoncer dès 1895 à toute source d’inspiration en dehors des sujets algériens. Il s’installe en 1904 dans l’oasis de Bou-Saâda, aux portes du désert, s’intègre dans une famille de la société saharienne et apprend l’arabe.

Son œuvre témoigne de son amour incandescent pour son pays d’adoption dont il a épousé la terre, la foi et la cause. Elle s’inscrit, selon l’IMA, « en décalage avec les peintres orientalistes qui ne s’attachaient qu’aux aspects les plus rutilants d’un "Orient" factice qu’il dénonce : Etienne Dinet rend visible une culture, alors largement ignorée ou méprisée, dont il se sentait proche ». En peignant les personnes et la vie quotidienne telles qu’elles sont, sa démarche lui vaut d’échapper aux critiques très souvent répandues dans le mouvement orientaliste européen.

Es Sodjoud ou La prosternation, prière au lever du jour. Collection privée
Es Sodjoud ou La prosternation, prière au lever du jour. Collection privée
Après sa conversion officielle à l'islam en 1913, le peintre, qui se choisit pour prénom Nasreddine, vit « un tournant personnel complète d’un point de vue spirituel et moral ses choix esthétiques ». Critique du colonialisme, il use de son influence auprès des autorités pour plaider l’élémentaire gratitude due aux soldats indigènes pendant la Première Guerre mondiale : œuvrer pour le retour au pays des blessés algériens, respecter les rituels musulmans prescrits pour les enterrements, remplacer les croix surplombant leurs tombes par des stèles dont il dessinera le modèle en adéquation avec l’esprit islamique.

Etienne Nasreddine Dinet est, par ailleurs, l’auteur d’une biographie en français du prophète Muhammad en 1918 (La Vie de Mohammed, prophète d’Allah, réédité en 2014 par Orients/Klincksieck), à la demande du ministère des Armées, en signe de reconnaissance de la nation aux soldats musulmans tombés pour la France. A 68 ans, il accomplit le grand pèlerinage à La Mecque (hajj), la même année de sa mort en 1929 lors d’un voyage à Paris. Une cérémonie funéraire est organisée à la Grande Mosquée de Paris dont il avait lui-même encouragé la construction.

Etienne Dinet est particulier en ceci qu’il a été une figure artistique reconnue de son vivant des deux côtés de la Méditerranée. En France, le président de la République française Paul Doumer (1857-1932) inaugure lui-même, un an après la mort d’Etienne Dinet, la rétrospective consacrée à ce peintre. Mais le temps passant, son talent et son œuvre sont tombés dans l’oubli en France. Pas en Algérie, où il est enterré selon son souhait. « A l’écart de l’entreprise coloniale de la folklorisation de la société indigène, il est devenu une image de l’Algérie à l’étranger et un trésor du patrimoine algérien », rappelle-t-on.

L’exposition « Etienne Dinet, passions algériennes » est la première consacrée à l’artiste, à Paris, depuis 1930. Alors que son ouverture au public était programmée à l’IMA jusqu’au 9 juin, il a été décidé, au regard de son succès, que l’exposition joue les prolongations jusqu’au 15 septembre. Celle-ci, qui avait été précédemment présentée à l’IMA-Tourcoing, réunit quelque 80 œuvres ainsi que des photographies et des documents d’archives inédits, sous la direction de l’historien de l’art Mario Choueiry. Une nouvelle chance est ainsi offerte au grand public de découvrir le plus algérien des peintres français dont l'engagement est un témoignage de la belle contribution de la présence musulmane en France.

Exposition « Étienne Dinet, passions algériennes »
Du 30 janvier au 15 septembre 2024
Institut du monde arabe - Paris

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