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Points de vue

Centenaire de la Grande Mosquée de Paris : « Un puissant symbole qui incarne l’enracinement des musulmans en France »

Rédigé par | Mercredi 19 Octobre 2022 à 16:00

           

La Grande Mosquée de Paris a célébré, mercredi 19 octobre, le centenaire de la pose de sa première pierre. Pour cette occasion, Emmanuel Macron a fait le déplacement. C'est dans ce cadre que Mohammed Colin, fondateur des médias Saphirnews.com et Salamnews, a été sollicité en tant qu'observateur de l'islam de France pour prononcer un discours devant l'assistance présentant le contexte historique dans lequel s'est érigé l'édifice religieux. « Je vois aujourd’hui dans ce premier coup de pioche un puissant symbole qui incarne la sédentarisation et l’enracinement des musulmans sur le sol de France depuis plus d’un siècle déjà », a-t-il signifié. Voici reproduit ici son discours.



Centenaire de la Grande Mosquée de Paris : « Un puissant symbole qui incarne l’enracinement des musulmans en France »
Il y a 100 ans, jour pour jour, au cours de la cérémonie de la pose de la première pierre de l’Institut Musulman de Paris se tenait le maréchal Lyautey devant une assemblée comptant 600 à 800 personnes, composée des plus hautes autorités civiles et militaires et des plus grands dignitaires musulmans issus des quatre coins du monde. Y figuraient Moulay Youssef, père du futur roi du Maroc, Mohammed V, et Si Kaddour Benghabrit, haut fonctionnaire du Quai d’Orsay d’origine algérienne, fondateur et premier recteur de la Grande Mosquée de Paris. Le maréchal Lyautey affirma ceci en s’adressant aux musulmans :

« Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera dans le beau ciel de l’Île-de-France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses. »

Ce propos est empli de concorde civile et entre en totale résonnance avec l’opinion publique de l’époque. Sauf quelques exceptions dont faisait partie le triste personnage Charles Maurras, antidreyfusard et antirépublicain, (qui voyait en la République « le complot des quatre États confédérés », à savoir les protestants, les juifs, les francs-maçons et les métèques) et qui était opposé au projet de la Grande Mosquée de Paris.

Fort heureusement, la République « une et indivisible » était déterminée pour installer ce grand projet dans le cœur battant de Paris, entre le Quartier latin et le jardin des plantes. Cette détermination républicaine tire sa légitimité dans le don du sang des 100 000 soldats musulmans tombés pour la France sur le champ d’honneur lors de la Grande Guerre. 28 000 soldats morts rien qu’au cours de la bataille de Verdun. Entre 700 000 et 800 000 musulmans issus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne se déplacèrent en métropole. Quelques-uns parmi eux soutiendront l’effort de guerre dans les usines.

Ce grand projet comprenant un lieu de culte, une bibliothèque, une salle d’étude et de conférences incarne le geste de reconnaissance du sacrifice suprême des soldats musulmans.

Quatre dates vont baliser ce grand projet.

En 1917, la Société des Habous et Lieux Saints de l'islam verra le jour à Alger. En 1920, la Chambre des députés adopte le projet de loi permettant le financement de la mosquée de Paris après un rapport d'Edouard Herriot, alors député et maire de Lyon. Une subvention de 500 000 francs sera octroyée à la Société des Habous. Le conseil de Paris accordera, quant à lui, une subvention de 2 millions de francs. La première pierre sera posée en 1922, tandis que l'édifice, une fois achevée, sera inauguré en 1926.

Evoquons quatre éléments de contexte.

Le tout premier remonte aux derniers siècles passés. Depuis l’alliance contractée entre le Roi François 1er et le calife ottoman Soliman le Magnifique au 16e siècle, il y a une forme d’islamophilie qui gagne les élites françaises et qui ne fait que s’accroitre avec, plus tard, la traduction honnête et la diffusion du Coran au 16e et 17e siècle, notamment celui d’Antoine Galland. Il traduisit également les Mille et une nuits. Il y a aussi Les Lettres persanes de Montesquieu au 18e siècle. Et surtout, en 1798 et 1799, les expéditions militaires et scientifiques en Égypte vont nourrir de nombreux auteurs du 19e siècle tels que Victor Hugo, Lamartine, Eugène Delacroix, Théophile de Gautier… Même l’un de nos présidents de la IIIe République, Sadi Carnot, porta le prénom d’un grand mystique perse du 13e siècle.

Pourtant, sur fond d’islamophilie et d’intérêt géopolitiques de l’époque, l’idée de construire une mosquée revenait souvent mais sans jamais avoir de réalisation concrète.

Le deuxième élément de contexte est tout autre. Comme vous le savez, depuis la colonisation de l’Algérie en 1830, les musulmans furent enrôlés peu à peu dans les armées coloniales. Mais certains, notamment les grands colons d’Algérie et l’extrême droite en métropole, œuvraient de concert pour jeter le doute sur la loyauté des soldats musulmans. Un doute injustifié au vu de leur engagement sans faille en 1870 contre la Prusse, en Crimée, au Mexique, sur différents théâtres de guerre dans le monde, pour le compte de la France.

Mais le doute a été savamment entretenu et amplifié lors de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman aux côtés des Allemands. Les musulmans du monde entier se sont trouvés coupés entre deux camps. Et le calife ottoman a tenté d’utiliser une légitimité religieuse pour retourner les troupes musulmanes du camp adverse. Sans succès. D’ailleurs, l’état-major français prit tous les soins pour s’occuper des aspects rituels de ses soldats musulmans. Le peintre Etienne Dinet converti à l’islam, auteur du remarquable tableau intitulé « Esclave d’amour, Lumière des yeux » et plus tard, avec son ami Slimane Ben Ibrahim, d’une biographie sur le Prophète Muhammad, avait même été sollicité pour « designer » des stèles funéraires en adéquation avec l’esprit islamique. L’hôpital et le lieu de culte éphémère de Nogent-sur-Marne sont des actions concrètes pour soutenir la loyauté indéfectible des combattants musulmans.

Le troisième élément tient des contraintes de la guerre elle-même. La Première Guerre mondiale fut une guerre sans précédent qui impliqua les civils. On le sait par les historiens, tous les mouvements, déplacements et correspondances étaient sous étroite surveillance. Il ne fallait surtout pas informer l’ennemi de l’état de moral des troupes et de la société civile. On comprend aisément que le pèlerinage, 5e pilier de l’islam, posa un sérieux problème. L’armée aurait pu simplement l’interdire provisoirement. Au lieu de cela, elle aida son organisation par l’intermédiaire de Si Kaddour Benghabrit. C’est pour cette raison que fut créée, sous les auspices de la Grande Mosquée d’Alger, la société des Habous qui avait pour mission d’acheter de l’hôtellerie à La Mecque et à Médine afin d’assurer la sécurité physique et sanitaire des pèlerins de l’empire français. Bien sûr, il y avait aussi des enjeux géostratégiques propres à cette époque.

Le quatrième élément concerne la loi 1905 dite de séparation des Églises et de l’État qui interdit désormais toute subvention du culte par l’État. Le deputé-maire Edouard Herriot fera preuve d'inventivité et de créativité avec une loi adoptée en 1920. Pour ne pas entraver la loi de 1905, le financement passera par Alger et la Société des Habous et Lieux Saints de l'islam en usant d’un droit dérogatoire propre à ces départements de l’Algérie colonisée pour financer le projet.

Etienne Dinet, Esclave d'amour et Lumière des yeux : Abd-el-Gheram et Nouriel-Aîn, Musée d’Orsay
Etienne Dinet, Esclave d'amour et Lumière des yeux : Abd-el-Gheram et Nouriel-Aîn, Musée d’Orsay

Un puissant symbole qui incarne la sédentarisation et l’enracinement des musulmans sur le sol de France depuis plus d’un siècle déjà

Chers amis, avant de conclure, je souhaite revenir sur les derniers mots du maréchal Lyautey dont les biographes disent qu’il était très sensible au catholicisme social : « (…) les tours catholiques de Notre-Dame ne sauront point jalouses. » Quel propos avisé ! Un siècle plus tard, lorsque les tours de Notre-Dame de Paris prirent feu, les musulmans de France ont été envahis par les mêmes sentiments de tristesse et de désarroi que leurs autres compatriotes. C’est la marque de leur attachement certain à ce patrimoine national et mondial.

Lire aussi : Notre-Dame de Paris nous appartient à tous

Initialement, la Grande Mosquée de Paris fut conçue comme un hommage au sang versé en octroyant un foyer aux élites musulmanes de passage en France. Cent ans plus tard, en tant que dirigeant d’un media d’actualité à référence musulmane, je vois aujourd’hui dans ce premier coup de pioche (car vous remarquerez que le maréchal ne s’autorisa pas à le faire et demanda aux musulmans de l’effectuer eux-mêmes, certainement pour respecter la neutralité que doit observer un fonctionnaire de l’État) un puissant symbole qui incarne la sédentarisation et l’enracinement des musulmans sur le sol de France depuis plus d’un siècle déjà.

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Mohammed Colin
Directeur de la publication En savoir plus sur cet auteur



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