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Points de vue

Faut-il avoir honte de parler arabe ?

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Jeudi 1 Novembre 2018 à 00:42

           


Faut-il avoir honte de parler arabe ?
GRENOBLE. – C’est un samedi après-midi banal. Un samedi de septembre. Les familles s’affairent et passent d’un magasin à un autre pour remplir caddies et sacs pour la rentrée de leurs progénitures. De passage dans ma ville d’origine, j’en ai profité pour accompagner ma sœur et son fils faire les magasins. Je sais qu’il aurait préféré rester lire ses BD et mangas que choisir quelques nouvelles tenues qu’exigent les quelques centimètres qu’il a pris

Sofiane est un garçon doux, souriant et qui n’a pas la langue dans sa poche. Le voir grandir est pour moi un réel bonheur. Depuis quelques années déjà, il ne rêve que de se rendre à Londres pour pratiquer son anglais. Alors souvent je troque la langue de Molière pour celle de Shakeaspeare. Prenant notre mal en patience face à la longue queue du magasin, je me plais à le taquiner en anglais. Puis en arabe. Son corps se recroqueville et son attitude change. Légèrement. Expression d’une gêne. Juste le temps de quelques secondes.

J’ai repensé à ce moment sur mon trajet de retour. Cela m’a ramenée à mon expérience personnelle et à celle que d’autres ont pu me raconter. Ces autres pouvaient être Alsaciens, ou Albanais, ou Suisses… Nos histoires sont semblables et différentes à la fois.


Plus jeune, alors adolescente, j’ai souvent eu honte et peur que mes camarades m’entendent parler arabe. L’arabe, c’était ma langue de prolétaires, de pauvres, la langue de l’autre alors que je ne voulais être qu’une parmi d’autres. Invisible. C’est souvent ce que tout jeune désire le plus. Se conformer au moule.

Si l’arabe dialectal dominait chez moi, l’absence ou l’indignité des cours prodigués par un sombre fonctionnaire venu d’un pays du Maghreb ont longtemps eu raison de moi. L’arabe moderne et celui de la littérature ont longtemps été un quasi mystère pour moi. Quant aux Écritures saintes du Coran, leur sens me parvenait par le prisme et l’écran de la traduction française, souvent décevante.

Il m’aura fallu attendre l’université où j’ai pris mes premiers cours d’arabe littéraire à l’École normale supérieure de Lyon en tant qu’auditrice pour découvrir sa subtilité et sa complexité. L’apprentissage s’est prolongé à Beyrouth et dans Bayt al-Maqdis (Jérusalem). L’année où je découvrais ma formation historique sur l’islam et les sociétés musulmanes du Moyen Âge, je pris ma première claque quand je constatai que l’élite académique, elle, avait compris l’enjeu de maîtriser cette langue pluriséculaire.


L’actualité récente montre que le combat est loin d’être gagné. La langue arabe n’est toujours pas traitée ni considérée comme une langue comme une autre. Le débat sur l’enseignement de l’arabe évoqué lors de la réforme du ministre Jean-Michel Blanquer et les réactions folles qui se sont ensuivies du côté de la droite et de l’extrême droite m’ont rappelé ce souvenir.

Objet de théories aussi fantaisistes que dangereuses, l’arabe, pourtant parlé par plus de 350 millions d’individus dans le monde, langue de l’ONU, serait devenue la source d’un péril presque mortel contre le socle de ce qui fait notre nation. Pourtant, aucune autre langue ne jouit d’une telle réputation, exécrable et sulfureuse qu’aucune raison objective n’explique. Si ce n’est l’obsession pour ce qui touche de près ou de loin aux métèques et ceux qui sont considérés comme tels par les élites.


Bien loin de mes craintes d’adolescente, je garde le souvenir d’un de mes voyages au Proche-Orient lorsque je fus invitée à entrer dans une église pour la Pâque à Nazareth. Ce fut l’une des premières fois que j’observais, médusée et émue, l’office tenu en arabe et que le nom d’Allah fut loué dans un sens et une pratique éloignés de la mienne. J’ai pu renouveler cette expérience lors d’une retraite œcuménique dans un monastère copte égyptien où je fus invitée à m’exprimer aux côtés d’un dignitaire d’Al-Azhar sur le dialogue interreligieux.

Ces souvenirs, je ne cesse de les transmettre à mes neveux et à mes nièces pour que jamais ils ne tiennent en honte la langue arabe. Souvent, pour fuir le brouhaha que peuvent provoquer les faiseurs de haine, j’aime écouter et lire les poèmes de Mahmoud Darwich, mon meilleur rempart à la bêtise.



Samia Hathroubi
Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les débuts... En savoir plus sur cet auteur


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