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Points de vue

Comment la crise écologique peut opérer une conversion provoquant le retour de l’Homme aux sources

Rédigé par Yasmine El Habak | Mardi 2 Mai 2023 à 12:00

           

Face à la crise écologique qui traverse les sociétés contemporaines, les initiatives de retrait en campagne mises en place par des communautés religieuses se multiplient. Un phénomène ambivalent qui oscille entre autonomie et autarcie.



© Yasmine El Habak
© Yasmine El Habak
La crise écologique qui traverse le monde contemporain est l’un des défis majeurs des prochaines années car l’enjeu nécessite le concours de toutes les générations et toutes les civilisations. L’écologie soulève des mouvements de protestation et provoque des réactions éclatantes : un activiste climatique de confession bouddhiste s’est immolé par le feu sur les marches de la Cour suprême des États-Unis, à Washington, vendredi 22 avril 2022, jour de la Terre, événement mondial de célébration environnementale.

Le monde contemporain est caractérisé par une multiplication des mobilisations fondées sur l’enchevêtrement de plusieurs causes, notamment l’éco-spiritualité et l’éco-jihad, ainsi que l’éco-féminisme et l’écologie décoloniale. Cet approfondissement se concentrera sur la contribution des religions en tant que vecteur d’une relation à la nature qui permet de répondre aux défis environnementaux.

La Conférence de Paris sur le climat en 2015 (COP 21) a souligné la nécessité et l’urgence de l’action sur les changements climatiques au sein d’une réflexion qui implique également les religions. Dans cette optique, la même année a été publiée une encyclique où le Pape François invite tous les habitants de la « maison commune » à une conversion spirituelle qu’il fonde sur l’Évangile, en développant des « vertus » pour une « écologie intégrale » afin d’éviter un « écocide ».

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Cette prise de conscience collective a déclenché des collaborations allant d’actions concrètes comme des pèlerinages interreligieux et au lancement, en France, de labels « Eglise verte », « mosquée verte » et « éco-synagogue ». Ces initiatives sont des lieux concrets de dialogue interreligieux autour l’écologie. Par conséquent, la crise écologique peut être comprise comme une conversion pour provoquer le retour de l’Homme aux sources, au sens religieux et au sens écologique. Une double dynamique où convergent une quête spirituelle et une aspiration à des relations plus harmonieuses avec la Terre. Il s’agit donc pour toutes les religions de puiser dans leur propre héritage éthique, de revenir à leurs sources pour mieux répondre à l’urgence climatique comme « instruments de Dieu » pour la sauvegarde de la création.

Le confinement dû à la pandémie de la Covid-19 a conforté cette conversion écologique et a renforcé la légitimité des écovillages où l’on veut cohabiter pour trouver un lien entre l’homme et la nature dans la lecture du Texte Sacré. De fait, toujours plus de jeunes s’installent dans des écohameaux – parfois avec des emplois qu’ils peuvent poursuivre en télétravail – pour mettre en acte une transition écologique et un nouveau dynamisme social. Certains sont des athées écoresponsables, d’autres des hindouistes végétariens, des permaculteurs musulmans ou des chrétiens adeptes de la « décroissance ». L’implantation de nombreux néoruraux en oasis spirituelles a des motivations variées : la quête de sens, le refus de faire tourner une économie capitaliste et la nécessité d’offrir aux enfants une éducation immersive écologique, religieuse et souvent linguistique.

En effet, le « retour à la terre » est lié au « retour aux sources » et, sur la base de ce principe, une partie des Français.e.s musulman.e.s ont été inspirés par les projets de construire un habitat consacré à la permaculture. Dans ce double cheminent de conversion, certains musulmans se sensibilisent aux thématiques environnementales et défendent ainsi la nécessité de passer d’un régime carné à un régime végétarien, dont ils puisent la justification dans l’éthique de l’islam. À titre d’exemple, l’abattage rituel musulman commence à être perçu comme un acte d’égorgement inacceptable pour le respect des animaux et a été stigmatisé comme la manifestation d’une « barbarie ».

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© Yasmine El Habak
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L'éco-jihad

En effet, lors du Salon de la permaculture dans le cadre de la Rencontre annuelle des musulmans de France (RAMF) 2019 s’étendait un stand écologique de grande ampleur pour lancer le concept d’éco-jihad promouvant un « jihad écologique » au sein des zones rurales françaises et notamment à l’étranger. Le concept d’« éco-jihad » se fonde sur trois axes d’autosuffisance : un modèle économique alternatif, une place prépondérante accordée à l’écologie et une vie communautaire musulmane active.

Ces changements dans les corollaires éthiques et pratiques des musulmans en France sont observables dans le fonctionnement de l’association Inaya permaculture & Beyond, ferme éco-islamique en Jordanie dont les fondateurs sont des émigrés (muhâjirûn) Français de confession musulmane ; la coopérative sociale de l’Îlot des Combes, une ferme éco-islamique en Bourgogne Franche-Comté, et l’association Sakana en Ile-de-France.

Ces initiatives proposent plusieurs stages d'initiation et de conception en permaculture musulmane et elles offrent assistance à qui souhaite créer un éco-lieu en France ou à l’étranger. L’objectif déclaré par le statut associatif est de sensibiliser les musulmans à l’écologie et à une vie plus saine et naturelle, améliorer « l’image » des musulmans auprès de « non-musulmans » et créer un « réseau d’entraide » international entre permaculteurs, à la lumière de l’islam. Ces activités sont parfois accompagnées, pour ceux qui le souhaitent, par une mise en avant d’initiatives portées par la communauté musulmane : un vélo-tour de visite d’une trentaine de mosquées à travers la France, des retraites spirituelles – mixte ou au féminin –, des cours d’arabe et des cours de lecture du Coran.

En dépit du fort ancrage islamique de ces initiatives, athées ou croyants, hommes et femmes de toutes obédiences s’y retrouvent pour suivre les formations en permaculture, apiculture et phytothérapie ou des ateliers de « météo intérieure » afin d’inviter le groupe à réfléchir sur son propre état émotionnel en contact avec la nature. La résonance de ces activités arrive à rejaillir dans le site officiel pour le tourisme de la région concernée ou sur les réseaux sociaux : des pages musulmanes comme Consomouslim, Oum’Naturel, Iqna’, Hijabin ainsi que sur des pages écologiques comme Ethical minds ou Hello Organic.

Le rayonnement éclectique de ces initiatives islamiques en permaculture a renforcé, en France, l’introduction du label de certification « halal-bio » dans le marché. Maints versets du Coran poussent vers une relation harmonieuse avec les animaux, les plantes et le ciel. Cette convergence inédite entre modèle halal et modèle bio semble être une tentative de décrisper le débat en France sur le sujet. Le modèle « halal-bio » se manifeste dans les habitudes alimentaires, ainsi que dans la recherche des vêtements et des outils d’hygiène. Un exemple évident est la vente de la racine d’un arbuste – autrement appelé siwak islamique – comme alternative naturelle et écologique à la brosse à dents traditionnelle.

Le concours d’actions de ces modèles démontre la réactualisation des principes coraniques fondamentaux à l’aune de la protection environnementale. Les clés du « salut écologique » sont exprimées par plusieurs préceptes :

1) al-tawhîd : l’unicité de Dieu et donc l’interdépendance de toutes les composantes de la création ;
2) al-fitra : la nature originelle de la création ;
3) al-mîzân : l’équilibre harmonieux de toutes les composantes de la création ;
4) al- khilâfa : l’intendance que Dieu a transmise aux hommes pour la sauvegarde de sa création. L’Homme a été promu par Dieu pour être son khalîfa (lieutenant) ;
5) al-tashkîr : la gratitude pour l’accès aux ressources de l’univers, et leur partage équitable.

Les champs et les choix lexicaux sont certainement équivoques. Les termes éco-jihâd, éco-mujâhid et al-khilâfa sont nécessairement à contextualiser et à comprendre comme une provocation ironique de banalisation de l’allure de panique autour de ces termes. Au-delà des analyses sémantiques, les fermes en permaculture observées ne sont ni des ghettos ni des enclaves dans l'espace géographique où elles sont insérées. Ces associations prévoient la lutte contre la friche et l'embellissement du paysage au nom d’une spiritualité religieuse. Ils contribuent au maintien et à la réhabilitation du terroir et de sa spécificité écologique, et renforcent la solidarité entre les générations et entre locaux et néo-ruraux avec un partage d’expérience quotidien.

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Le risque de l’extrême

Cependant, il est important d’évaluer constamment les fondements d’autarcie ou d’autonomie de ces initiatives pour éviter d’engendrer des dynamiques contreproductives. En effet, il est suffisant observer comme l’extrême s’entremêle à l’écologie : Brenton Harrison Tarrant, auteur des attentats de Christchurch, dans son manifeste explique ses motivations terroristes et il se réclame de l’écofascisme. Le terme « écofascisme » renvoie à un fonctionnement où le retour à la terre et au village est accompagné par la lutte contre les « hordes » des migrants « non-blancs » et « envahisseurs ». Les écofascistes admirent autant le néonazi norvégien Anders Breivik, l’auteur des attentats d’Oslo et Utoya (2011), que l’Américain Ted Kaczynski, plus connu sous le pseudonyme « Un-a-bomber », qui a prôné une campagne intitulée « Sauvez les abeilles, pas les réfugiés ». Ces postures extrêmes sont minoritaires, mais elles dévoilent une idéologie hybride, combinant l’écologie et d’autres luttes.

Par ailleurs, l’attention au rapport entre écologie et extrême a un profond ancrage dans l’agenda sécuritaire étatique. La mise en œuvre des contre-sociétés avec l’intention de s’isoler dans un espace à mesure prophylactique et construire un modèle de pureté pour protéger sa propre communauté de toute contamination avec l’Autre peut se manifester sous forme d’éco-fascisme, ainsi que d’éco-islamisme. En effet, la Communauté de la rose et de l'épée – dite Clan des Brigandes – représente un groupe sectaire installée dans l'Hérault avec une approche à la croisée entre les mouvements hippies et la mouvance identitaire. Malgré une dissolution en septembre 2021, le groupe continue à être soupçonné par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) pour ses activités occultes. Les craintes sécuritaires ont caractérisé également la ferme d’Artigat de Olivier Corel car il était soupçonné d’avoir radicalisé une génération de djihadistes, de Mohamed Merah à Sabri Essid jusqu’à Fabien Clain, auteurs de plusieurs attentats en France.

Le paradigme des Brigandes de la rose et de l’épée d’une part, et le paradigme du hameau ariègeois où s’est installé Olivier Corel de l’autre, sont des précurseurs de phénomènes d’autarcie. Ces derniers protègent et défendent leur propre communauté pour remettre l’imaginaire religieux-idéologique au centre, à travers un retour au village « blanc-chrétien » d’une part, et au village « purement islamiste » de l’autre.

En conclusion, il est essentiel de comprendre la démarche subjacente au retrait en campagne et questionner le contrat d’engagement et l’objectif ultime de ces projets de « conversion écologique » qui peuvent vaciller entre autonomie et autarcie. L’autonomie reste ouverte à la rencontre de l’Autre, car elle ne peut pas prétendre de subvenir à l'intégralité des besoins du groupe, et l'échange lui est indispensable, à la fois pour les éléments matériaux, éducatifs et pour l’enrichissement humain. En revanche, l'autarcie prédispose à l'enfermement comme règle d'existence et la défense du territoire pour justifier le rejet de l’étranger et la sauvegarde de la nature.

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Première parution de l’article dans Oasis le 3 mars 2023.

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