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Religions

Alpes-Maritimes : haro sur la liberté religieuse des musulmans

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Vendredi 29 Mars 2013 à 00:00

           

Avec la fermeture imminente d’une salle de prière à Cagnes-sur-Mer, ce sont 400 fidèles qui seront bientôt à la rue. Pour la communauté musulmane des Alpes-Maritimes, c’est une injustice supplémentaire qui illustre l'insuffisance criante de lieux de prière. L’absence de volonté politique pour assurer une meilleure liberté de culte aux musulmans est décriée dans ce département, où le Front national est plébiscité.



Alpes-Maritimes : haro sur la liberté religieuse des musulmans
Le couperet est tombé fin février pour l’Organisation des Musulmans de Cagnes-sur-Mer (OMCM). L’association a été condamnée, en référé, à « cesser d'utiliser ses locaux en lieu de culte recevant du public ». Très prochainement, les 400 fidèles qui viennent habituellement prier dans le local de l’OMCM ne pourront plus y accéder.

Pour dénoncer cette décision judiciaire les privant d'une mosquée, les Cagnois de confession musulmane ont simulé une prière de rue vendredi 22 mars. C’est bien ce qui finirait par arriver dans la commune s’ils ne trouvent pas rapidement un autre lieu de culte.

L'association propriétaire mise à la porte

L’utilisation par l’OMCM d'un local situé au rez-de-chaussée d’un immeuble comme salle de prière était contestée depuis neuf ans par les copropriétaires. Ces derniers, qui ne souhaitaient pas procéder à un changement d'usage (ou « changement de destination » en termes juridiques) de ce local commercial, avaient décidé de lancer une procédure judiciaire dont ils ont obtenu gain de cause.

C’est un coup dur pour les musulmans de Cagnes-sur-Mer et de ses environs qui n’ont toujours pas trouvé un lieu de culte en remplacement. La pilule est d’autant plus dure à avaler que l’OMCM, qui occupe ces lieux depuis dix ans, en est propriétaire.

« A compter de la réception de la notification du jugement, nous avons quatre semaines pour cesser d’accueillir du public pour la prière », explique Nabil Khalifa, le porte-parole de l’OMCM, nous précisant qu’ils n’ont pas encore reçu cette notification mais que cela ne saurait tarder.

C’est leur avocat qu’il les a informés du jugement rendu. Il stipule que les prières hebdomadaires du vendredi représentent « un trouble manifeste illicite » et interdit à l’OMCM de recevoir du public pour procéder à des prières. Seule l’activité culturelle de l’association, qui propose du soutien scolaire et un enseignement de la langue arabe, pourra être maintenue.

Quant à la pratique religieuse, « nous sommes dans l’impasse », nous dit M. Khalifa. « Cela va toucher la population musulmane de trois villes car il n’y a aucune salle de prière dans les villes mitoyennes de Saint-Laurent-du-Var et Villeneuve-Loubet», déplore-t-il. Au total, ce sont 8 000 musulmans qui se retrouvent sans mosquée.

Inaction du maire

Face à l’ampleur de la situation, le Conseil régional du culte musulman (CRCM) de la région Provence Alpes Côte-d’Azur (PACA), avec des représentants de la communauté musulmane du département, ont alors adressé un courrier au préfet et au maire de Cagnes.

Mais cette situation ne semble pas émouvoir la municipalité. Bien au contraire, selon le porte-parole de l’OMCM, jugeant que cette décision de justice est du « pain bénit » pour le maire UMP Louis Nègre. « On se préparait à un tel jugement car cela fait longtemps que les copropriétaires ont déposé un recours en justice. C’est pour cela que deux fois par an, nous allons voir le maire pour qu’il nous propose une solution mais il nous répond toujours la même chose : "Je n’ai aucun lieu ni aucun terrain à vous proposer" », raconte M. Khalifa.

Après la décision de justice rendue en février, l’OMCM a été reçue par M. Nègre. Sa réponse n’a pas changé pour autant. Il n’a toujours rien à leur proposer. D’après M. Khalifa, il n’y a rien à attendre de l’édile « proche du député Lionnel Luca », un une des principales figures de la Droite populaire de l’UMP, qui emprunte des idées similaires à l’extrême droite sur l’islam et ses fidèles.

Même si le maire de Cagnes a accepté de rencontrer une nouvelle fois l’association aux côtés des représentants du CRCM, de l’Union des musulmans des Alpes-Maritimes (UMAM) et du Conseil des imams des Alpes-Maritimes dans la soirée du vendredi 29 mars, l’OMCM n’a pas d’espoir.

Toutefois, ses membres indiquent avoir été « écoutés » par le sous-préfet qui les a reçus mardi 26 mars. « Les choses bougent mais il n’y pas de résultats », note Boubekeur Bekri, le vice-président du CRCM.

Une islamophobie prégnante

Boubekeur Bekri dénonce un « abus de pouvoir » contre une association qui n’a jamais posé de problème en dix ans. Cependant, une telle situation n’est guère surprenante dans le département. Pour lui, l’affaire de Cagnes-sur-Mer est avant tout un problème qui concerne « tout le département » des Alpes-Maritimes, marqué par « une insuffisance de lieux de culte » et où les mosquées existantes « font face à des difficultés ».

« La laïcité est prise comme un rempart pour ne pas analyser les problèmes. Un jour, il va falloir se poser la question de l’équité », juge-t-il.

« C’est inacceptable », réagit pour sa part Mohamed Fqih, le porte-parole de l’Association des musulmans de Valbonne Sophia-Antipolis (MVSA), également situé dans les Alpes-Maritimes. « C’est toujours la même religion, la même communauté qui a du mal à se faire accepter », déplore-t-il, en ajoutant qu’il s’agit d’« une atteinte à la liberté religieuse ».

Pour lui, dans ce département « le plus à droite, où le FN fait ses plus gros scores et où il y a de la place pour les extrémistes », cette « bataille » repose sur une « question d’acceptation du culte musulman ». « C’est de l’ordre de l’islamophobie », dénonce-t-il.

A Valbonne, son association fait ainsi face à l’opposition des extrémistes du Bloc identitaire, qui conteste l’octroi d’une salle de prière aux musulmans de la ville. Une association de riverains, contrôlée par des membres du groupuscule d’extrême droite, a déposé plainte en septembre 2012 auprès du tribunal administratif contre le maire de la ville pour « abus de pouvoir ».

Fort heureusement, ce dernier soutient l’association MVSA qui s’est d’ailleurs vue accorder, voici quinze jours, un permis de construire pour débuter dans un mois et demi les travaux d’embellissement et de mise aux normes d’un ancien restaurant d’entreprise qui leur servira de lieu de culte. Il pourra alors accueillir une centaine de personnes.

Aucune grande mosquée à Nice

A Nice aussi, le mouvement des Identitaires fait pression. C’est ainsi que le mouvement Nissa Rebela a obtenu gain de cause auprès du tribunal administratif en faisant annuler le bail d'une salle de prière musulmane mardi 26 mars.

Les difficultés auxquelles doivent faire face la communauté musulmane sont visibles dans la plus grande ville des Alpes-Maritimes. Dans l’affaire Nissa Rebela, si un accord a été trouvé avec la municipalité et la communauté musulmane, le maire Christian Estrosi reste en effet hostile à l’attribution de terrain pour l'édification de mosquées.

Ce dernier attend qu’il y ait des prières dans les rues pour proposer des salles de prière, note le porte-parole de MVSA. Il regrette qu’il n’y ait « qu’une dizaine de lieux de culte pour la cinquième ville de France et pas une seule grande mosquée ». De plus, M. Estrosi créé la division entre les différentes associations musulmanes pour éviter qu’il y ait un projet unique de grande mosquée selon lui.

Pourtant, les maires se doivent de faciliter la pratique religieuse des musulmans. « C’est au premier magistrat d’apporter la paix dans sa ville et de favoriser le vivre ensemble », déclare-t-il. « Les villes, quand elles le veulent, peuvent » permettre aux musulmans de jouir d'une plus grande liberté religieuse. Une volonté qui manque visiblement cruellement aux élus des Alpes-Maritimes.

Quant au CRCM, il ne peut qu’ « accompagner » les associations en difficultés, indique M. Bekri. Son travail ne manque pas dans un département où la communauté musulmane n’est pas aidée des élus locaux et doit faire face aux islamophobes. Aujourd’hui, on y dénombre une quarantaine de lieux de culte pour une population musulmane estimée à 120 000 personnes.





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