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Points de vue

Algérie : Questions à François Hollande

Par Brahim Senouci

Rédigé par Brahim Senouci | Jeudi 20 Décembre 2012 à 16:10

           


Monsieur le Président,

Vous vous apprêtez à vous rendre en Algérie pour une visite d'Etat. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que l'arrivée d'un président français est un événement particulier. Peut-être vous apprendrai-je quelque chose en vous disant qu'il l'est de moins en moins ? Bonne chose, penserez-vous sans doute ? Que la relation entre l'Algérie et la France devienne normale ne peut que réjouir le Président « normal » que vous souhaitez être. Mais non, elle ne devient pas normale, elle devient autre.

Si vous pensez que le temps a fait son office en lavant la France du péché originel de la colonisation, vous vous trompez. Personne en Algérie, personne n'oubliera jamais les enfumades, les massacres à grande échelle, le Code de l'Indigénat, la torture, les camps de concentration (oui, les camps de concentration. Y a-t-il un autre nom pour ces camps de regroupement dans lesquels a été parqué le quart de la population algérienne ?), l'analphabétisme, la misère… ? Vous auriez tort de confier aux règles communes de la biologie et de l'oubli le soin de pallier l'incapacité par la France de reconnaître ses crimes.

Il est vrai que vous avez commis un bref communiqué de cinq lignes condamnant la répression sanglante de la manifestation pacifique qui a eu lieu à Paris le 17 octobre 1961. Service minimum en quelque sorte. Les centaines de noyés de la Seine n'ont pas eu droit à une déclaration solennelle. Plus grave, concomitamment, la République que vous présidez a rendu un hommage solennel, vibrant à Bigeard, l'homme des « crevettes », ces cadavres que vomissait régulièrement la Méditerranée au temps où ce soudard sévissait à Alger. Pas question de service minimum ici. Un ancien président de la République, votre ministre de la Défense se sont succédé à la tribune pour tresser des louanges à ce « soldat d'exception » ! Le maigre crédit qu'aurait pu vous valoir la condamnation de la répression du 17 octobre était réduit à néant.

Monsieur le Président, avez-vous l'intention de porter en Algérie une parole qui devra être d'autant plus forte qu'elle aura été tardive ?

Avez-vous l'intention de reconnaître publiquement le crime commis contre l'Algérie et son peuple, en n'assortissant cette reconnaissance d'aucun bémol, d'aucune circonstance atténuante ?

Avez-vous l'intention de reconnaître et de condamner la grille de lecture essentialiste qui a permis à la France de s'auto-absoudre du crime en raison de l'inhumanité des Algériens ?

Cette grille de lecture, héritée du XIXème siècle, n'a jamais été revisitée et donc, jamais remise en cause. Elle semble même retrouver des couleurs au regard de la montée du racisme, notamment dans sa version islamophobe. De très nombreux dirigeants politiques en France se disent aujourd'hui « décomplexés » et banalisent le racisme en lui donnant l'onction démocratique.

Avez-vous l'intention de déclarer forclose cette grille de lecture ?

Monsieur le Président, rien de tout cela n'adviendra sans doute. Vos discussions « normales » tourneront autour de contrats fructueux, d'assouplissement des règles des visas, de promesses d'amitié.

Ce n'est pas grave. Le 24 juin 2000 paraissait dans les colonnes du Monde un article intitulé « La mémoire meurtrie ». En tant qu'Algérien, j'appelais de mes vœux une parole française de nature à adoucir la blessure jamais guérie de la colonisation. Cette parole n'est pas venue. J'ai le sentiment que son heure est passée. Les Algériens ne l'attendent plus. Ils sont passés à autre chose, ont en vue d'autres horizons. Ceux qui plaident en faveur d'une réconciliation entre l'Algérie et la France invoquent souvent le précédent de celle qui est intervenue entre la France et l'Allemagne. Ce parallèle n'est pas pertinent. La paix entre ennemis égaux coule de source. Entre ennemis inégaux, elle ne peut se traduire, pour la partie jugée inférieure, que par le renoncement à son histoire, couverte du voile de l'oubli et de la honte.

La société algérienne, bien que malade, ne s'y résoudra pas. Elle se laissera d'autant moins déposséder de la possibilité de redevenir actrice de son destin que la France a beaucoup perdu de son lustre à ses yeux. Elle n'en attend rien, ni repentance ni regrets. Elle laisse à ses politiciens locaux ce misérable fonds de commerce. Dans la douleur, dans le désordre, elle tente de se reconstruire et de redonner du sens à une liberté si chèrement acquise. Cette population est jeune, dynamique, inventive. L'espoir ne lui est pas interdit d'accéder au rang des sociétés modernes, puissantes, qui feront le monde de demain. Bien d'autres pays actuellement sous-développés connaîtront le même sort.

La France, l'Occident en général, devraient définir leur attitude actuelle au regard de ce monde qui vient, un monde dans lequel ils n'auront plus la prééminence, dans lequel ils devront composer avec les indigènes d'aujourd'hui. Ils devraient songer à déminer l'Histoire en reconnaissant les exactions passées, en réglant les injustices actuelles, en intégrant définitivement le paradigme de l'égalité de tous les hommes. Il ne s'agit pas d'une hypothèse d'école. N'eussent été les exactions commises par les Japonais en Chine, exactions jamais vraiment reconnues, serait-on au bord d'un affrontement mortel à propos des Senkaku, quelques îlots rocheux de moins de 2,5 kilomètres carrés ?

Les conditions d'une paix pérenne demain doivent être réunies aujourd'hui. Les puissances actuelles doivent abandonner toute velléité de maintenir le monde sous leur coupe et signifier de manière éclatante la rupture avec la vision passéiste qui cantonne les trois-quarts de l'humanité dans une altérité et une infériorité irréductibles. François Hollande ferait œuvre utile en prononçant les mots qu'il faut, pas ceux de repentance ni d'excuses, mais de reconnaissance et d'engagement à en finir avec la matrice culturelle qui a permis à un Occident impersonnel et froid de commettre l'horreur…






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