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Monde

Suisse: Confession de l’agent secret qui a espionné le centre islamique de Genève

| Mercredi 26 Avril 2006 à 17:55

           

Christian Z, 35 ans, travaillait pour les Services secrets suisses. Engagé dans une opération baptisée Memphis, il avait la mission d'infiltrer le Centre islamique de Genève dirigé par Hani Ramadan. De son expérience en milieu musulman, Christian est devenu Sayyid en choisissant l'islam comme religion. Il met alors fin à sa mission et décide de s'ouvrir à Hani Ramadan puis s'adresse aux médias. Entretien avec un homme de l'ombre qui se bat pour faire la lumière sur une affaire que certains voudraient étouffer.



Yann Vogel: Le 23 février dernier, vous révéliez dans les colonnes de la Tribune de Genève les buts de l'opération des services secrets à l'encontre du centre islamique que dirige Hani Ramadan. Pouvez-vous nous rappeler ces faits ?

Sayyid: J'ai été recruté par le SAP (NDT : service d'analyse et de prévention, service secrets intérieurs suisses) à la fin de 2003. A l'époque, je travaillais pour la brigade des stupéfiants de la police du canton de Genève. Mon rôle consistait à infiltrer des réseaux de trafiquants et à réunir les conditions pour des arrestations en flagrant délit. D'une manière générale je n'ai jamais tellement eu d'affinités avec les policiers, mais, par le passé, ma conduite n'avait pas toujours été exemplaire. C'était en quelque sorte pour moi l'occasion de remettre les pendules à l'heure. Mes premiers rendez-vous avec le SAP se sont bien passés. Ils semblaient être motivés par une éventuelle menace sur le territoire Suisse. Pour ma part je ne connaissais rien à l'islam. Comme la majorité des gens, j'étais conditionné par tout ce que les médias servent chaque jours en matière d'amalgames entre islam et terrorisme. L'opération a été baptisée Memphis, mon nom de code était Menes. Bien sûr on ne m'a pas, au départ, informé des objectifs exacts de l'opération. Les services secrets avaient besoin de m'évaluer afin de savoir si je pouvais être fiable. La première étape consistait à m'intégrer dans la communauté musulmane, et plus particulièrement celle qui fréquente le centre islamique que dirige Hani Ramadan.

Qu'avez-vous trouvé sur Hani Ramadan ?

Sayyid: Absolument rien, mais le SAP le savait bien avant l'opération Memphis, d'où la nécessité de fabriquer des preuves, afin de l'accabler une fois pour toute. Cela aurait arrangé beaucoup de monde que Hani Ramadan soit définitivement compromis.

Comment devait fonctionner le « piège » ?

Sayyid: Mon officier avait reçu une note émanant des services secrets libanais, transmise au SAP par le DFAE (NDT : Département Fédéral des Affaires Etrangères). Elle informait que des musulmans résidant à Genève s'apprêtaient à rejoindre l'Irak, via Damas. L'idée était d'infiltrer ce groupe, de les accompagner sur place afin de vérifier la validité des leurs contacts, tout en les laissant faire. Le SAP n'a pas la légalité pour envoyer des agents à l'étranger, mais ils ont pris le risque pour un premier séjour. L'idée ensuite était d'y retourner, dans le cadre d'une mission conjointe avec le service de renseignements d'un pays étranger. L'objectif final était ensuite de fabriquer le lien entre ces musulmans partis de Genève et le centre islamique, et bien sûr, par extension, Hani Ramadan.
Par précaution, j'ai pris soin d'enregistrer mes trois derniers entretiens avec Patrick XXXXXX, mon officier traitant au SAP. Ces bandes confirment mes accusations, et j'ai pris l'initiative de les expédier à la commission parlementaire en charge du contrôle des activités du renseignement suisse.

Vous êtes vous rendu en Irak ?

Sayyid: Non.

Vous vous êtes converti à l'islam, était-ce une demande du SAP ou avez-vous fait du « zèle », comme l'a dit un journaliste Suisse.

Sayyid: Ma conversion était bien sûr programmée par le SAP. Comment infiltrer un milieu que l'on suppose islamiste sans être musulman ? Vous savez, travailler pour des services laisse peu de place aux initiatives personnelles. Vous recevez des ordres et vous les exécutez, c'est tout. Au départ j'étais assez emballé, bien sûr. On avait su me persuader de l'utilité de ma tâche.

Vous avez dit au Blick que votre conversion était ensuite devenue sincère. A partir de quand avez-vous trouvé la foi ?

Sayyid: Assez vite, et un peu malgré moi. Il faudrait être un homme vraiment insensible pour ne pas être touché au plus profond de soi-même par la prière en islam. Au fil du temps, ma vision du monde s'est transformée, dans le sens d'une plus grande lucidité. Toutefois, ma mission en Syrie a été décisive. A mon retour j'ai décidé de mettre un terme à mes activités avec le SAP. Mais évidemment on ne clôture pas une opération comme ça, en claquant la porte du jour au lendemain.

Est-il vrai que les services secrets vous ont menacé ?

Sayyid: Oui. Il était très facile pour eux de faire pression. J'étais devenu musulman, je m'étais déplacé en Syrie ou j'avais été en contact avec des groupes de résistants. Ils pouvaient me piéger très facilement en me faisant passer pour un recruteur. Mais j'ai surtout compris à ce moment que l'opération Memphis allait se poursuivre, avec ou sans ma participation. J'ai donc décidé de prévenir Hani Ramadan.

Dans l'article de la Tribune de Genève du 23 février relate brièvement les activités d'agents provocateurs de services étrangers au centre islamique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur leurs objectifs ?

Sayyid: Le rôle d'un agent provocateur est d'inciter à la haine et à la violence, dans le but de déstabiliser l'organisation ou le pays dans lequel il opère. J'ai effectivement pu approcher plusieurs individus en contact avec des groupes ayant un caractère terroriste et qui ont été identifiés par le SAP comme étant des agents provocateurs issus de services de renseignements étrangers.

De quels pays provenaient-ils ?

Sayyid: De XXXXX, de XXXXXXX et de XX XXXXXX (ndr, ces noms étaient camouflés dans la version originale)

Vous prétendez que des agences gouvernementales infiltrent des mosquées afin de recruter des musulmans dans le but d'organiser des attentats ?

Sayyid: Je ne sous-entends rien, j'analyse les faits. Ces trois dernières années, la plupart des attentats perpétrés au nom de l'islam démontrent une chose certaine : chaque détail du style de ces actions indique qu'elles ont été préparées par des professionnels, et non par des excités formés en trois semaines sur les dunes d'un camp improvisé dans le désert. Tout cela devient clairement compréhensible au regard des effets politiques prévisibles de ces actions: elles sont toujours exactement opposées à celles qu'elles prétendent rechercher. L'assassinat de Rafic Hariri en est malheureusement l'exemple le plus probant. Un groupe islamiste inconnu, et surtout inexistant, en a immédiatement revendiqué l'attentat. La vérité semble aujourd'hui différente. On pourrait trouver 15 autres exemples similaires.

Qu'allez-vous faire maintenant ?

Sayyid: Il reste encore beaucoup de choses à dire et j'attends impatiemment d'être convoqué par la commission d'enquête parlementaire. Elle ne semble pas très pressée, mais je ne doute pas un instant de pouvoir établir la vérité. Ce n'est plus qu'une question de temps.

Propos recueillis et traduits avec l'aimable collaboration de Yann Vogel





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