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Points de vue

Résistances

Olivier Le Cour Grandmaison est enseignant à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne

Rédigé par Olivier Le Cour Grandmaison | Mercredi 9 Mai 2007 à 14:59

           


Ce que beaucoup appréhendaient vient de se produire ; Nicolas Sarkozy l’a donc emporté au second tour des élections présidentielles. Pour la troisième fois consécutive en l’espace de douze ans, un candidat de la droite, aux discours et au programme radicalisés comme jamais sur l’ensemble des questions économiques, sociales et politiques, s’impose au terme d’une campagne où les électeurs du Front National ont « été cherchés un par un », selon la délicate formule de celui qui est désormais chef de l’Etat. On connaît les conséquences de cette main constamment tendue : la banalisation sans précédent de certains thèmes chers à Jean-Marie Le Pen. Mais le candidat de l’U. M. P a aussi été fort des faiblesses de la gauche, de toute la gauche qui, du Parti socialiste à la Ligue communiste révolutionnaire, n’a pas su s’opposer efficacement à son projet et à ses ambitions.

De même, et ceci est en partie lié à cela, ces organisations ont été incapables d’offrir des perspectives politiques claires et unitaires au lendemain des mobilisations pourtant exceptionnelles contre le CPE suivies d’une victoire retentissante imposée par la rue au terme de manifestations comme il y en eut rarement. Souvenez-vous, c’était il y a un an à peine, on croirait pourtant que des années se sont déjà écoulées ! Souvenez-vous des espoirs immenses alors suscités ! Souvenez des attentes joyeuses qui sont nées de cette force enfin retrouvée après plusieurs défaites importantes et douloureuses subies dans les urnes et sur le terrain économique et social ! De ceux-là et de celles-ci, une fois encore, les gauches parlementaires et radicales n’ont rien su faire, par sectarisme, pour défendre leurs intérêts d’appareil et cultiver solitairement leur petit jardin électoral avec le succès que l’on sait puisque le total des voix ainsi rassemblé est l’un des plus bas de toute l’histoire de la Cinquième République. Grandiose bilan et champ de ruines. De même pour les syndicats qui, à la veille d’un second tour pourtant décisif, ont préféré étaler de nouveau leurs divisions le jour même où Nicolas Sarkozy réitérait ses attaques contre le monde du travail, comme on dit.

Les dirigeants de ces différents partis et organisations affirment être au service des jeunes, des salariés, des retraités, ils prétendent vouloir défendre le service public, le pouvoir d’achat, combattre les inégalités et les discriminations sexuelles, raciales et religieuses. Qu’ils le prouvent en organisant, ici et maintenant, sans attendre les élections législatives, moins encore les prochaines présidentielles, la résistance contre la politique réactionnaire et revancharde de cette majorité. Qu’ils le prouvent en mettant leurs militants et leur expérience au service de cette indispensable résistance. Pour défendre ceux qui sont stigmatisés parce qu’ils sont réputés « ne pas se lever tôt » car nul employeur ne les attend depuis des semaines, des mois, des années, résistance ! Pour défendre ceux qui, méprisés, humiliés, discriminés et relégués dans des banlieues laissées en déshérence, sont voués au Kärcher élyséen et livrés en pâture à une fraction de l’opinion publique raciste et xénophobe, résistance ! Pour défendre ceux dont les salaires sont indignes et à qui la seule perspective désormais offerte est « de travailler plus pour gagner plus », c’est-à-dire perdre davantage leur vie à tenter de la gagner en vain, résistance !

Pour tous les travailleurs précaires qui n’ont d’autre avenir que de le demeurer et de s’inquiéter constamment de lendemains qui depuis longtemps ne chantent plus, résistance ! Pour tous ceux qui sont victimes d’une insécurité professionnelle et financière croissante qui les laisse sans perspective, sans autre perspective du moins qu’une crainte sans fin, résistance ! Pour tous ceux qui considèrent que les avancées sociales ne sont pas des privilèges mais des acquis précieux péniblement conquis par des femmes et des hommes qui se sont battus avec obstination et courage pour améliorer leur condition de travail et de vie, résistance ! Pour tous ceux qui jugent, contrairement aux mensongères déclarations du candidat aujourd’hui président, que la colonisation n’a pas été synonyme de civilisation comme il l’a déclaré à l’occasion d’un meeting tenu à Toulon au mois de février, résistance ! Pour tous ceux qui ne veulent pas de medias et d’une justice mis au pas, résistance ! Pour tous ceux qui n’aiment pas cette France désormais sarkozienne et qui ne veulent ni ne peuvent la quitter, résistance ! Pour tous les Musulmans qui « égorgent », selon la rhétorique indigne et islamophobe de l’actuel président, « des moutons dans leur baignoire », résistance ! Pour les étrangers en situation irrégulière et leurs enfants scolarisés, pourchassés, raflés parfois, tous menacés d’expulsion en violation d’une Convention internationale – celle sur les droits de l’enfant – pourtant ratifiée par la France et de dispositions nationales sanctionnées par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, résistance ! Résistance et désobéissance civile car les diverses mesures prises à leur encontre sont aussi légales qu’elles sont illégitimes.



Olivier Le Cour Grandmaison est enseignant à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne. Il est l'auteur de « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial », Fayard, 2005.





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