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Ramadan

Ramadan 2022 : avec la guerre en Ukraine, le spectre des émeutes de la faim plane

Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 8 Avril 2022 à 08:00

           

La guerre en Ukraine, au-delà de la tragédie humaine qu'elle soulève, provoque ces dernières semaines une hausse vertigineuse des prix des céréales. Dans les pays d'Afrique et du Moyen-Orient, le souvenir des émeutes de la faim de 2007-2008 reste vivace, particulièrement en ce mois du Ramadan. Mais les systèmes de subvention nourrissent le déséquilibre des finances publiques. Une situation compliquée pour les gouvernements.



Ramadan 2022 : avec la guerre en Ukraine, le spectre des émeutes de la faim plane
Avec le conflit russo-ukrainien, « tout le monde a l’air de découvrir que le bassin de la mer Noire est un grand grenier exportateur de nourriture sur la planète », relève Sébastien Abis, spécialiste des questions agricoles rattaché à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Ses répercussions sont en conséquence lourdes sur les grands acheteurs de blé que sont l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est, des régions dont la grande majorité des populations, musulmanes, célèbrent en avril le mois du Ramadan.

La Russie est le premier exportateur mondial de blé et l’Ukraine le quatrième. Les deux pays sont aussi les premiers producteurs mondiaux de tournesol au monde. Si les exportations russes continuent, celles de l’Ukraine ont cessé, obligeant Kiev à étudier les alternatives possibles car les ports ukrainiens de Marioupol et de Berdiansk sont bloqués par les forces russes. Quant à Odessa dont le trafic représentait près de 60 % des exportations de céréales du pays, elle est proche de la ligne de front.

Conséquence directe, les prix flambent sur les marchés mondiaux. Le blé a déjà augmenté de plus de 70 % depuis le début de l’année et l’instabilité est totale. Cette situation vient aggraver une insécurité alimentaire qui s’est renforcée depuis le début de la pandémie de la Covid-19 dans plusieurs pays en développement.

« La guerre en Ukraine s’inscrit sur une toile de fond agricole et alimentaire déjà extrêmement tendue », indique Sébastien Abis, également directeur du club Déméter, qui rappelle que la demande de céréales a explosé depuis une vingtaine d'années en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La population augmente mais les ressources naturelles ne permettent pas de répondre aux besoins. Circonstance aggravante, le mois de Ramadan qui vient de démarrer a accéléré la flambée des prix, cette période suscitant traditionnellement une augmentation de la consommation de denrées alimentaires de grande consommation comme le pain et l'huile.

De émeutes de la faim qui se profilent

En Tunisie, la demande de baguettes explose de 135 % durant le Ramadan et le gaspillage qui l’accompagne fait l’objet de dénonciations régulières dans la presse locale depuis des années. Les subventions sur le pain n’ont pas réussi à réduire l’inflation, qui vient gâcher l'atmosphère du Ramadan 2022. Les pénuries alimentaires aussi, rapporte l’agence Anadolu qui décrit des consommatrices obligées de « suivre les promotions et pourchasser les meilleurs prix ». L’une d’entre elles raconte « sa galère de tous les jours pour trouver du pain, acheté à 400 millimes car la baguette standard (190 millimes) est introuvable ».

Une situation délicate pour le président Kaïs Saïed qui n’ignore pas que la plupart des émeutes populaires ont démarré sur fond d’inflation des prix des produits alimentaires. « Le prix de la nourriture conditionne la paix sociale », affirme Sébastien Abis.

Le problème est identique en Egypte, à ceci près que le pays des pyramides est le premier importateur de blé du monde, une situation engendrant un déséquilibre aggravé du budget de l’Etat qui pourrait notamment déboucher sur une dévaluation de la livre égyptienne, d’après la presse économique. 80 % des 12 à 14 millions de tonnes de blé importés chaque année proviennent de l’Ukraine et de la Russie. Sans compter l’huile de tournesol dont les 3/4 proviennent également de ces deux pays. Au fur et à mesure que les réserves s'amenuisent, le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi a des raisons de s’inquiéter.

Entre manque de moyens budgétaires, absence de stratégie nationale pour développer la production locale et peur des émeutes de la faim, les gouvernements des pays du pourtour méditerranéen et au-delà ont bien des soucis à se faire. Aujourd’hui, indique Sébastien Abis, « la dépendance de nombreux pays envers les exportations russes et/ou ukrainiennes pose des questions stratégiques », y compris pour l’Europe qui « se situe à un carrefour de sa politique agricole, sachant que si elle décide de relancer sa production agricole, les résultats attendus ne seront visibles qu’à la fin de la décennie. En attendant, les pays doivent faire face à une instabilité mondiale croissante qu’il faut regarder avec préoccupation ».

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