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Points de vue

Quel est le rapport entre la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie ?

Rédigé par Mehdi Benchabane | Mardi 26 Mai 2015 à 07:00

           


Scène du film « Avoir vingt ans dans les Aurès », prix international de la critique du festival de Cannes 1972, réalisé par René Vautier, réalisateur français connu pour ses œuvres anticolonialistes, et qui vient de décéder le 4 janvier 2015. (Photo : © Felix Le Garrec)
Scène du film « Avoir vingt ans dans les Aurès », prix international de la critique du festival de Cannes 1972, réalisé par René Vautier, réalisateur français connu pour ses œuvres anticolonialistes, et qui vient de décéder le 4 janvier 2015. (Photo : © Felix Le Garrec)
8 mai 1945 - 8 mai 2015 : 70e anniversaire du massacre de Sétif et Guelma : un événement qui fait resurgir la question de la mémoire liée à la présence française au Maghreb.

En ce sens, la guerre d’Algérie a longtemps cristallisé et opposé plusieurs mémoires.

• Celle des Algériens marquée par l’humiliation de la colonisation, et par un système profondément injuste, source de violences quotidiennes : physiques, psychologiques, verbales, économiques, ou symboliques pendant 130 ans. Germaine Tillion, célèbre pour son travail sur les Aurès, parle de « clochardisation » de la société algérienne en 1954.

• Celle des pieds-noirs : des colons européens (Français, Espagnols, Italiens...) installés sur le sol algérien depuis 1830, l’essentiel est constitué d’individus de condition modeste, beaucoup étaient des artisans, des agriculteurs, des fonctionnaires... qui ont laissé leur empreinte génération après génération, la guerre d’Algérie est synonyme de déchirement pour cette communauté.

• La mémoire des harkis (de l’arabe harka qui signifie « mouvement »), ces engagés maghrébins aux côtés de la France durant le conflit subissent une double violence : l’ancienne métropole en abandonne une bonne partie sur place dans le tumulte de l’indépendance, les harkis sont victimes de massacres, le FLN considèrent ces derniers comme des traîtres. Ceux qui sont parvenus en France vivent dans des conditions déplorables.

Et parmi ces catégories, d’autres encore plus intimes et encore plus complexes, bien ancrées. On pourra cependant souligner la bataille des chiffres : 1,5 million de « martyrs » pour l'État algérien, 300 000 à 500 000 morts pour les historiens.

L’historien est pris dans la mémoire comme le signale Benjamin Stora : « C’est un défi supplémentaire pour l’historien qui se doit de prendre en compte cette mémoire. » Mais celle-ci ne répond pas à son travail, il doit la prendre en compte certes, mais en ayant la rigueur et l’objectivité du travail historique. Faire la part des choses en somme.

Dans ce flot continu, les mémoires tendent vers la réconciliation ou la confrontation : en témoigne la reconnaissance par la France des massacres du 21 octobre 1961 ou la timide réhabilitation de Messali Hadj en Algérie, figure incontournable mais longtemps éclipsée par le FLN.

Des soubresauts refont surface comme ces manifestations de pieds-noirs lors de la sortie du film Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, en 2010, ou plus récemment l’attitude du maire d’extrême droite Robert Ménard débaptisant la rue du 19 mars 1962 au profit d’un putschiste de l’OAS, Hélie Denoix de Saint Marc.

Preuve de ces évolutions, la mémoire de la guerre d’Algérie a sa place dans l’enseignement de l’Histoire, elle est présente dans les programmes scolaires (en terminale générale et technologique). Celle-ci reflète la diversité de la société française et son besoin de réconcilier les mémoires. Mais aussi d’entamer un dialogue plus serein des deux côtés de la Méditerranée.

Il s’agit de passer des « mémoires » à une « mémoire » plus apaisée. Le temps, les générations, les témoignages, et surtout le travail des historiens participent implicitement à ce processus. Benjamin Stora ajoute aussi dans l'émission « Ce soir ou jamais » diffusé sur France 2, le vendredi 22 mai 2015, que « la mémoire c'est aussi l'oubli » : en effet, l'oubli et le temps facilitent le travail des historiens ainsi que celui des professeurs dans la transmission des savoirs.

Il est nettement plus aisé de parler de la guerre d’Algérie aujourd’hui qu’hier, la mémoire ne s’efface pas mais elle se métamorphose.

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Mehdi Benchabane, professeur d’histoire-géographie, est notamment l’auteur de L’Émir Abdelkader face à la conquête française de l’Algérie (1832-1847), Edilivre, 2014. Il anime la page Facebook Histoire du Maghreb contemporain





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