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Points de vue

Penser et repenser l’islam dans la République : questionner la représentation du culte musulman en France (4/4)

Rédigé par Mohammed El Mahdi Krabch | Mercredi 16 Août 2023 à 11:30

           


Lire la première partie de la contribution : Penser l'islam et la République : l'ijtihad au cœur

Lire la deuxième partie : L’égalité, la laïcité et la démocratie au regard de l'esprit coranique (2/4)

Lire la troisième : Penser et repenser l’islam dans la République : la compatibilité entre le Coran et les déclarations des droits humains en dix points

La question de la représentation du culte musulman se pose depuis les années 1920. La Grande Mosquée de Paris fut construite en hommage au sacrifice des soldats indigènes lors de la Première Guerre mondiale. La construction de la mosquée entre 1921 et 1926 a été confiée par l’Etat français à la Société des Habous des lieux saints de l’Islam. Des subventions publiques ont été destinées à l’institut musulman de la Mosquée de Paris d’une part pour incarner la rencontre entre l’islam et la France en renforçant les liens avec les pays des indigènes de la France coloniale et, d’autre part, pour ne pas laisser à l’Empire ottoman la possibilité de s’accaparer la représentation de l’islam en Occident.

En 1926, la Grande Mosquée de Paris a été inaugurée en présence du sultan du Royaume chérifien Moulay Youssef, et le premier sermon du vendredi fut prononcé par l’érudit marocain Ahmed Skirej. Jusqu’au début des années 2000, la Grande Mosquée de Paris incarnera l’islam institutionnel en France.

Lire aussi : Emmanuel Macron au centenaire de la Grande Mosquée de Paris pour célébrer « un havre de paix né d’une tempête de l’Histoire »

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a été créé en 2003, sous l’égide du ministère de l’intérieur, pour représenter toutes les sensibilités de l’islam en France. La légitimité du CFCM a été fortement contestée par les musulmans eux-mêmes. L’instance s’est rapidement enlisée dans des querelles politiques et des conflits partisans. Il n’a pas réussi à mettre en place un conseil théologique autonome et capable d’éclairer religieusement la communauté musulmane. On a assisté à un blocage grave dans le fonctionnement interne du CFCM, chacune des fédérations étant liée à un pays étranger ou à une idéologie dont les intérêts sont différents, voire contradictoires. Cette situation n’a pas aidé les musulmans de France à avoir une pratique religieuse sereine et apaisée dans un contexte marqué par la violence et l’extrémisme religieux.

Malheureusement, le CFCM souffre de manque de crédibilité auprès des musulmans de France et des autorités de la République. J’invite à lire La question musulmane en France de Bernard Godard et Misère(s) de l’islam de France de Dédier Leschi pour comprendre les raisons profondes de cet échec. Le CFCM devrait faire son examen de conscience, changer son nom et revoir sa ligne de conduite pour surmonter cette crise de confiance et gagner sa légitimité auprès des musulmans de France.

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Les dissensions internes du CFCM ont poussé des acteurs du culte musulman et des autorités publiques à opter pour la création du Forum de l’islam de France dans l’espoir que ce dernier travaille sereinement, en toute indépendance, avec les musulmans de tous les départements.

L’autonomie ne signifie pas la rupture avec les institutions religieuses du monde islamique comme Al Qaraouiyine, Al Azhar ou la Ligue islamique mondiale. Cependant, il serait indispensable de se poser la question sur le sens de l’autonomie des musulmans de France dans la gestion de leur culte.

Cultiver la fraternité humaine entre les religions

Les représentants du culte musulman devraient s’impliquer davantage dans des rencontres avec toutes les institutions religieuses de France et du monde pour cultiver la fraternité humaine, la concorde et la paix entre les religions. D’ailleurs, c’est ce qui résulte par exemple de l’ensemble des pactes de fraternité signés par le pape François et les leaders les plus influents du monde musulman comme le roi Mohammed VI, commandeur des croyants et descendant du Prophète de l’islam, le Grand Imam d’Al-Azhar Ahmed Al-Tayyeb et la grande référence chiite, l’ayatollah Al-Sistani.

La charte de La Mecque de 2019 s’est inspirée de la charte de Médine pour rejoindre ces déclarations fraternelles. Le dialogue interreligieux est sensé rassembler et faire abstraction de toute considération géopolitique partisane ou/et séparatiste. Le Coran (S2, V13) dit : « Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez le plus noble d’entre vous auprès d’Allah et le plus pieux Allah est certes omniscient et grand connaisseur. »

Nous sommes conscients de l’importance que représentent les diasporas subsaharienne et maghrébine pour la France et les pays d’origine. Cette diversité de diasporas est une richesse qui doit rendre possible un partenariat intelligent fondé sur le respect, la fraternité et le rapprochement des deux rives de la Méditerranée.

La non-ingérence sans indifférence face au fait religieux

La République française s’interdit de s’immiscer dans la gestion du culte musulman comme la nomination des ministres du culte, la désignation de ses représentants ou la détermination du contenu de la théologie islamique. La laïcité nous oblige tous. La Constitution indique dans son 1er article que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (...) »

Cependant, la non-ingérence de la République dans la gestion du culte ne veut pas dire son indifférence face au fait religieux. Ainsi, le ministère de l’intérieur qui est chargé des Cultes doit observer deux règles à savoir : veiller à ce que des pratiques religieuses ne troublent pas l’ordre public et discuter avec les institutions cultuelles pour garantir la liberté de conscience et de pratique religieuse.

Un Forif qui doit mériter la confiance des musulmans de France

Le Forum de l’islam de France (Forif) https://www.saphirnews.com/FORIF-nouvel-esprit-pour-l-islam-de-France_a28619.html dont je fais partie est une instance de dialogue entre l’Etat et des acteurs du culte musulman. La première séance plénière de ce forum s’est tenue le 5 février 2022 au Conseil économique social et environnemental (CESE) à Paris pour traiter quatre thématiques : professionnalisation, formation et recrutement des imams ; organisation et gestion des aumôneries musulmanes ; droit et gestion des associations du culte musulman ; sécurité des lieux de culte et lutte contre les actes antimusulmans.

Le FORIF a été reçu en février 2023 au palais de l’Elysée pour présenter les travaux de ses quatre groupes de travail. Ce forum devrait se renouveler et se pencher prochainement sur le financement du culte musulman car c’est la pierre angulaire de ce futur édifice qu’est l’islam de France. Ce forum doit mériter la confiance des musulmans de France pour construire une pratique religieuse réflexive, apaisée et citoyenne.

En conclusion, je fais mienne cette citation du prophète Chuayb : « Mon but n’est pas de vous contrarier, mais il est seulement de vous rendre meilleurs, dans la mesure de mes moyens. Et ma réussite ne dépend que du Seigneur. C’est à lui que je me confie et c’est à lui que je reviens repentant. » (Coran, S11, V88)

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Mohammed El Mahdi Krabch est membre correspondant de l’Académie de Nîmes (société savante), imam, théologien et aumônier référent des hôpitaux de l'Hérault.

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