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Points de vue

Nora Belahcen Fitzgerald : porteuse d’espoir au quotidien

En partenariat avec Lallab

Rédigé par Sarah Zouak | Lundi 14 Novembre 2016 à 11:30

           

Rencontre avec Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires, à Marrakech, dans son restaurant solidaire aux couleurs ocres, décoré avec soin par des tableaux de sa mère et des citations calligraphiées sur les murs. On retrouve ainsi l’une de ses phrases préférées de l’auteur soufie Hazrat Inayat Khan : « Il y a des gens qui cherchent des beaux endroits et d’autres qui cherchent à rendre les endroits beaux. » C’est exactement ce que fait Nora avec son restaurant : rendre cet endroit beau pour les femmes issues de milieux défavorisés.



Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires. © Sarah Zouak/Lallab
Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires. © Sarah Zouak/Lallab
Nora Belahcen Fitzgerald. Ses deux noms de famille représentent à eux seuls la diversité de sa culture. Nora est née et a grandi au Maroc mais est d’origine américaine, plus précisément de Californie. C’est dans les années 1970 que ses parents se sont installés au Maroc, après s’être convertis à l’islam. Ils souhaitaient vivre dans un pays à la fois musulman et ouvert où ils pouvaient élever sereinement leurs enfants.

Aujourd’hui, Nora se définit comme une « traductrice culturelle », qui maîtrise aussi bien l’arabe, l’anglais que le français. Nora passe facilement d’une culture à une autre et aime expliquer aux Américains la situation économique et culturelle du Maroc. Elle tient d’ailleurs un blog à ce sujet depuis plusieurs années.

Mendier 10h par jour pour gagner 20 dirhams

Nora a grandi dans une société dans laquelle la pauvreté a toujours été visible. Au quotidien, elle observait autour d’elle des femmes mendier, assises au coin des rues ou devant les feux, pour obtenir quelques pièces de la part des automobilistes. Des images qui ne choquent plus vraiment les Marocains, habitués à voir cette misère. Les rumeurs sur ces femmes sont d’ailleurs nombreuses : elles gagneraient beaucoup d’argent en faisant la manche, loueraient leurs enfants ou encore leur donnerait des sirops pour les endormir afin d’attirer la pitié des passants.

C’est en 2006, lors de la visite de l’une de ses amies américaines que Nora réalise véritablement la souffrance de ces femmes. Choquée de voir autant de femmes mendiantes avec des bébés sur le dos, son amie supplie Nora de venir l’aider à secourir l’une d’entre elles. Nora, qui devait ce jour-là simplement servir d’interprète, fait l’une des rencontres les plus bouleversantes de sa vie : celle d'une femme, mendiante, célibataire et avec deux enfants à charge, qui vit dans une chambre de la taille d’une armoire, qu’elle loue 300 dirhams par mois.

« Cette femme gagnait environ 20 à 30 dirhams par jour, soit 2 ou 3 euros. Le prix d’un café, que l’on ne va même pas finir », raconte Nora. C'est alors le déclic pour elle. Elle compare sa vie et celle de ses enfants qui ne manquent de rien, avec la vie de cette femme qui n’a même pas de quoi acheter des couches ou nourrir correctement les siens. Ces deux réalités lui sont insoutenables à observer. Alors rapidement, elle mobilise son réseau d’amis et sa famille pour venir en aide à cette femme.

Après des années de servitude, elles sont devenues leur propre chef

Nora fait par la suite la connaissance de deux autres mères célibataires issues de milieux défavorisés et qui, dès leur plus jeune âge, étaient devenues des « petites bonnes ». L’une d’elles a d’ailleurs confié à Nora qu’à l’âge de six ans, alors qu’elle pensait que ses parents l’emmenaient en vacances, elle a brusquement réalisé la triste réalité de ce voyage. Alors que la plupart des enfants rentraient à l’école primaire, elle était de corvée de ménage tous les jours de la semaine. A six ans !

Nora s'inspire du projet associatif de Aicha Ech-Chenna qui vient en aide aux mères célibataires et à leurs enfants dans la ville de Casablanca. En effet, l’association Solidarité Féminine comprend entre autres, en parallèle d’un hammam et d’une pâtisserie, un restaurant solidaire. Nora cherche donc un espace de travail pour ces deux femmes et leur obtient un poste dans une école où elles réalisent des pâtisseries.

A leur projet, Nora apporte ses compétences en gestion et les femmes – elles – font de « la magie avec leurs mains ». Ce premier projet rencontre beaucoup de succès et permet aux femmes de gagner plus d’argent que lorsqu’elles étaient « petites bonnes ». Elles sortent de l’état de servitude pour gagner dignement leur vie. Et pour la première fois de leur existence, elles deviennent leurs propres patrons. Une transformation qui encourage Nora à imaginer un projet plus grand.

Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires © Sarah Zouak/Lallab
Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires © Sarah Zouak/Lallab

Ce que propose l'association Amal

Suite au succès de ce premier projet pilote, Nora met toute son énergie dans la recherche d’un local plus grand afin de stabiliser son projet et maximiser son impact social. L’association Amal, organisation à but non lucratif, voit ainsi le jour en novembre 2012 et le restaurant ouvre véritablement ses portes quelques mois plus tard en avril 2013. Son objectif est d’améliorer le statut socio-économique des femmes issues de milieux défavorisés à travers l’apprentissage d’un métier valorisant dans le domaine des arts culinaires.

Cette association prend donc la forme d’un centre de formation pour ces femmes et d’un restaurant solidaire ouvert au grand public. L’ensemble des fonds récoltés grâce au restaurant sont donc reversés à la formation des bénéficiaires.

Grâce au soutien de la fondation Drosos, Nora peut professionnaliser sa structure, former une véritable équipe administrative composée d’une dizaine de personnes ainsi qu’un staff permanent en cuisine avec deux chefs cuisiniers, l’un spécialisé dans la cuisine française et l’autre dans la cuisine marocaine traditionnelle. D’ailleurs, l’une des chefs est une ancienne bénéficiaire de l’association. Nora a pu observer son évolution fulgurante. Il y a quelques années, cette femme était mendiante ; aujourd’hui c’est elle qui enseigne fièrement aux femmes comment cuisiner les meilleurs mets de la gastronomie marocaine. Chaque jour, Amal accueille entre 60 et 100 personnes pour le déjeuner.

Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires. © Sarah Zouak/Lallab
Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires. © Sarah Zouak/Lallab

Amal, un espoir offert à des femmes

Amal signifie « espoir » en arabe. Un espoir que Nora veut redonner à ces femmes aux parcours souvent semés d’embûches. Ces femmes sont pour la plupart veuves, mères célibataires ou victimes de violences mais, parallèlement à leur précarité socio-économique, elles ont toutes pour point commun une réelle volonté de s’en sortir.

Au sein de l’association, ces femmes suivent des formations de quatre à six mois aux arts culinaires et à la pâtisserie marocaine traditionnelle. Cette formation est complétée par des cours d’alphabétisation et de langues étrangères, en anglais et en français. Chaque année, ce sont ainsi trois promotions d’une dizaine de bénéficiaires qui profitent des services de l’association. Elles s’ouvrent ainsi à un monde qui leur était souvent inconnu et cela commence en cuisine ; certaines n’avaient, par exemple, jamais goûté une simple tartelette aux fruits.

Grâce à Amal, elles se sentent valorisées et reprennent confiance en elles. L’un des meilleurs moments pour ces femmes est celui de l’atelier cuisine dans lequel elles enseignent aux clients étrangers à préparer le pain ou d’autres produits typiquement marocains. Ces moments sont uniques pour elles car en plus de l’échange de qualité avec les clients, elles sont fières de transmettre leur culture et leur savoir-faire.

Suite à leurs formations, ces femmes sont ensuite aidées par l’assistante sociale pour leur insertion professionnelle grâce notamment à des partenariats menés avec des ryads, des hôtels ou des restaurants dans la ville de Marrakech.

L’espoir, c’est aussi ce que Nora veut pour le Maroc. Elle observe que de plus en plus de jeunes de son pays s’engagent pour résoudre avec amour et intelligence les problématiques sociétales auxquelles font face les Marocains.

Toujours se rappeler pourquoi on mène un projet

Licenciée en mathématiques, Nora ne se dirigeait pas véritablement vers les métiers de l’entrepreneuriat social. Sa famille a d’ailleurs été très surprise de la voir se lancer dans cette voix professionnelle ou ce qu’elle appelle plutôt son « projet de cœur », puisque Nora effectue ce travail de façon bénévole. « Je voulais faire cela pour Allah, dans une intention pure. J’essaie au quotidien de toujours revenir à cette première intention, de ne pas oublier pourquoi je fais cela », explique-t-elle.

Selon elle, c’est grâce à cela que les portes se sont ouvertes et que ses actions ont été facilitées. Elle a ainsi pu trouver un magnifique local dans le quartier de Gueliz à Marrakech et a pu compter sur l’aide de ses proches pour former le capital d’investissement de son association, grâce notamment à la zakat collectée (« purification » en arabe). Il s’agit de l’un des cinq piliers de l’islam et se définit comme un impôt sur l’avoir et la propriété obligatoire pour les musulmans.

Nora m’explique qu’Amal est un projet qui s’aligne sur les valeurs de l’islam, sur cette volonté de promouvoir plus d’égalité au sein des sociétés : « Le Prophète Muhammad disait: "Aucun de vous n’a complété sa foi jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ou sa sœur ce qu’il aime pour lui-même." Ainsi, tout ce que je veux pour moi et pour mes enfants, je dois le vouloir, avec le même désir pour mes frères et mes sœurs. Il ne s’agit pas seulement d’un désir passif en se disant intérieurement qu’on aimerait cette égalité, mais il faut agir pour. »

Le triste sort des mères célibataires dans les sociétés musulmanes

Nora se refuse de juger les mères célibataires et a, au contraire, beaucoup de tendresse pour elles. Certes, l’islam interdit les relations sexuelles en dehors du mariage mais pour autant, si on les exclut de la société, cela ne réglera en rien cette problématique. Nora m’explique que ces femmes sont pour la plupart analphabètes, elles n’ont reçu aucune éducation religieuse, spirituelle et ne connaissent même pas leurs corps. Ses femmes ont souvent vécu dans un état de servitude dans des familles qui n’étaient pas les leurs. Elles n’ont reçu que très peu d’amour et, lorsqu’un homme les regarde seulement avec un peu de tendresse ou d’admiration, cela peut changer leur vie.

Nora raconte qu’elle a toujours dans son cœur une citation du Prophète qui dit : « Lorsque vous voyez quelque chose qui ne vous plaît pas, changez-le avec vos mains. Si vous n’y arrivez pas, changez-le avec le stylo, écrivez. Si vous n’y arrivez toujours pas, détestez cette chose au fond de votre cœur. » L’action sociale se situerait donc à trois niveaux différents et on ne peut certes pas tout changer dans le monde, mais « il faut au moins essayer ! Faites quelque chose ! Agissez ! » Voilà son message.

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Sarah Zouak est co-fondatrice de l'association Lallab et fondatrice du Women SenseTour in Muslim Countries. Sarah est franco-marocaine, entrepreneure sociale, réalisatrice de documentaire et féministe.






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