Sur le terrain, une nouvelle attaque a visé, lundi 22 septembre 2003 au matin, l'ONU dans la capitale irakienne, tuant le kamikaze et un garde de sécurité. Cet attentat intervient après celui qui a blessé samedi un membre du Conseil de gouvernement transitoire irakien, Akila al-Hachimi. Parallèlement à ce chaos quotidien, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ont tenu leurs conférences annuelles ce week-end à Doubaï, dans les Emirats arabes unis. La reconstruction et la dette de l'Irak faisaient parti de l'ordre du jour. Deux ministres irakiens, Kamel al-Kilani (Finances) et Mahdi al-Hafez (Plan), ainsi que le gouverneur de la Banque centrale irakienne Sinan al-Chebibi ont participé aux réunions. Un représentant de la coalition américano-britannique occupant l'Irak était aussi présent. A cette occasion, le ministre irakien des Finances, a annoncé des réformes 'très libérales' de l'économie de l'Irak. Elles autorisent l'entrée de capitaux étrangers dans tous les secteurs à l'exception de celui du pétrole.
Le ministre irakien des Finances Kamel Al-Kilani a donc annoncé dimanche à Dubai, en marge des réunions du FMI, une série de réformes économiques, dont la possibilité pour les firmes étrangères de prendre 100% d'une entreprise irakienne, sauf dans le secteur pétrolier.
Ouverture du pays à tous les capitaux étrangers…
Au moment où le peuple irakien aura son mot à dire dans le choix d'un gouvernement, les décisions économiques les plus importantes à propos de l'avenir de leur pays auront déjà été prises par les forces d'occupation. 'Nous avons besoin d'une administration efficace dès le premier jour', déclare Wolfowitz. Les gens ont besoin d'eau, de nourriture et de médicaments, les canalisations doivent fonctionner tout comme l'électricité. C'est de la responsabilité de la coalition.'
On appelle le processus de remise en état des infrastructures, la 'reconstruction'. Mais les plans américains pour l'avenir de l'économie irakienne vont bien au-delà. Le pays est considéré bien plus comme un espace vierge, où les champions du néolibéralisme de Washington peuvent déployer leur économie de rêve : complètement privatisée, aux mains des entreprises étrangères et ouverte pour le commerce.
Ariel Cohen et Gerald O'Driscoll écrivaient : 'Pour réhabiliter et moderniser son économie, un gouvernement de l'après Saddam devra s'attaquer simultanément à un certains nombres de fronts économiques, en utilisant l'expérience des campagnes de privatisation et les réformes structurelles menées dans d'autres pays'. Les auteurs vont jusqu'à affirmer : 'La privatisation, ça marche partout.'
Le contrat pour l'administration du port d'Umm Qasr, d'une valeur de 4.8 millions de dollars, a déjà été attribué à une société américaine, la Stevedoring Services of America, et les aéroports sont prêts pour les enchères. L'agence américaine pour le développement international (US Agency for International Development) a invité les multinationales américaines à faire des offres sur tout, de la reconstruction des routes et des ponts jusqu'à l'impression de manuels scolaires. La plupart de ces contrats ont une durée d'un an, mais d'autres comportent des options qui permettent une prolongation sur quatre ans. Combien de temps avant que cela ne se transforme en contrats à long terme pour des canalisations, voies de transits, routes, écoles et réseaux téléphoniques privatisés ?
Le représentant californien au congrès, Darrell Issa, a déposé une proposition de loi qui demande au Ministère de la Défense de mettre en place un réseau de téléphonie mobile aux normes CDMA dans l'Irak d'après-guerre, pour que 'les détenteurs de brevets américains' en profitent. Comme le notait Farhad Manjo dans 'Salon', le système CMDA est utilisé aux Etats-Unis, mais non en Europe.
Les plans de reconstruction sont donc dressés et des contrats attribués à des entreprises américaines, liées directement à l'administration. A l'instar du groupe Bechtel, première entreprise américaine de travaux publics, qui a décroché un contrat dont la valeur devrait atteindre 680 millions de dollars. L'Union européenne a d'ailleurs décidé d'ouvrir une enquête sur la conformité d'un tel contrat avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Il est évident que les occasions de faire des affaires en Irak dépassent ces quelques contrats. On rapporte que le gouvernement Bush a réuni une dizaine de groupes de travail pour planifier la transformation de tout l'Irak, de l'agriculture au système bancaire. On s'attend à ce que les compagnies étrangères, en majorité américaines, emportent les contrats pour restructurer et faire fonctionner des installations comme les aéroports, les écoles, les hôpitaux.
…sauf dans le secteur pétrolier
Certains disent qu'il est trop facile de dire que dans cette guerre il ne s'agit que de pétrole. Ils ont raison. Il s'agit de pétrole, d'eau, de routes, de chemins de fer, de réseaux téléphoniques, de ports et de médicaments, comme nos l'avons vue précédemment…
Le comportement des troupes américaines durant le conflits reste très significatif concernant l'envie de s'accaparer le pétrole irakien. Ainsi, on peut se demander pour quelles raisons, les marines ont si bien protégé le ministère du pétrole alors que les trente autres ministères étaient non seulement pillés, mais systématiquement brûlés. Inutile de faire allusion aux pillages, notamment des hôpitaux, du saccage du Musée national comme celui de Mossoul et aux incendies des Bibliothèques (nationale et coranique) considérées non seulement comme un trésor de la culture irakienne mais également celle de l'humanité. Pourtant quelques chars auraient suffi à protéger ce patrimoine, à peine le nombre qu'il a fallu pour boucler la place où Washington avait organisé le déboulonnage de la statue de Saddam Hussein.
Il ne faisait aucun doute que les compagnies étrangères seraient appelées pour faire fonctionner la machine pétrolière irakienne. La question est de savoir si elles resteront en place indéfiniment et peut-être même si elles auront des intérêts en tant que propriétaires.
L'administration Bush sait qu'elle ne peut pas parler ouvertement de la vente des sources pétrolifères irakiennes à ExxonMobile et Shell. Elle confie cela à Fadhil Chalabi, un ancien fonctionnaire du ministère du pétrole irakien. 'Nous avons besoin que des sommes énormes rentrent dans ce pays, dit Chalabi. La seule solution pour cela, c'est la privatisation partielle de l'industrie.'
Pour l'instant, le débat dans la presse sur la reconstruction de l'Irak s'est concentré sur le 'fair-play'. Selon l'avis du commissaire européen chargés des relations extérieures, Chris Patten, il est 'particulièrement maladroit' que les Etats-Unis gardent tous les contrats juteux pour eux. Ils doivent apprendre à 'partager' : Exxon.Mobile devrait faire participer Total.Fina.Elf aux champs pétrolifères les plus lucratifs, Bechtel devrait donner des parts de ses contrats pour les canalisations à la Thames Water.
La compagnie pétrolière Halliburton, dirigée jusqu'en 2000 par M. Cheney, actuel vice président des Etats-Unis, s'est vu attribuer la charge de lutter contre les incendies des puits de pétrole.
Par ailleurs, avant même que la guerre en Irak ne soit terminée, beaucoup d'Israéliens se sont mis à rêver de conquérir le 'pays de Saddam'. Benyamin Netanyahou, ministre de l'Économie, a annoncé à Londres que l'oléoduc entre Kirkourk et Haïfa devrait être rouvert sous peu. L'ancien Premier ministre s'apprête, par ailleurs, à faire modifier la loi israélienne pour permettre aux producteurs de son pays d'exporter directement en Irak, toujours considéré comme pays ennemi. John Taylor, nouveau responsable américain en Irak, a annoncé aux investisseurs israéliens que la route de Bagdad leur était ouverte.
Conséquences
Le peuple irakien, que l'on a affamé et affaibli par des sanctions, que l'on a vaincu ensuite dans une guerre, se réveillera de ce traumatisme en constatant qu'une immense 'braderie' a eu lieu dans son pays sans sa participation. Les Irakiens découvriront également que la nouvelle liberté qui les attend - pour laquelle tant de leurs proches sont morts - est déjà entravée par des décisions économiques, prises dans les salles de conférences alors que les bombes tombaient encore. Et à la fin, on leur dira de voter pour de nouveaux dirigeants et alors, ils seront admis dans le magnifique monde de la démocratie.
Ce n'est pas étonnant que tant de multinationales se jettent sur le marché inexploité de l'Irak. Non seulement parce que la reconstruction vaut 100 milliards de dollars, mais aussi parce que le 'libre-échange' ne fonctionne pas très bien ces derniers temps. De plus en plus de pays en voie de développement refusent les privatisations et les zones de libre échange (conclusions à tirer de la conférence de l'OMC à Cancun), qui sont la priorité économique de Bush.
On peut penser que les irakiens paieront avec l'argent de l'aide américaine. Pas du tout. Sur les 2,4 milliards de dollars votés par le congrès pour aider à la reconstruction du pays, 1,7 milliard proviennent des fonds irakiens bloqués depuis 1990 et confisqués par Washington le 20 mars dernier. Il faut savoir que les recettes pétrolières vont servir, en particulier, à rembourser la dette du pays, qui s'élève aujourd'hui à 130 milliards de dollars et qui risque d'augmenter sachant que FMI et la Banque mondiale participent à la dite 'reconstruction de l'Irak.'