Connectez-vous S'inscrire

Politique

Gérald Darmanin à l'Intérieur avec une vision de l'islam de France et de la laïcité bien ancrée à droite

Rédigé par | Vendredi 10 Juillet 2020 à 08:30

           

Durant son mandat de ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner n'a pas fait montre d'une appétence forte pour le dossier islam de France. C'est le contraire qui se profile avec Gérald Darmanin, qui s'impose aujourd'hui comme une des figures fortes de la droite. Ce fidèle de Nicolas Sarkozy, qui a été réélu en mars à la mairie de Tourcoing (Nord), s'était positionné sur ce sujet en 2016 à travers un « plaidoyer pour un Islam français ».



Gérard Darmanin a pris ses fonctions de ministre de l'Intérieur mardi 7 juillet, succédant ainsi à Christophe Castaner Place Beauvau. © Capture d’écran / France Info
Gérard Darmanin a pris ses fonctions de ministre de l'Intérieur mardi 7 juillet, succédant ainsi à Christophe Castaner Place Beauvau. © Capture d’écran / France Info
« Le ministère de l’intérieur est le ministère des Cultes. En République, la liberté de conscience et de croyance doit être ardemment défendue mais jamais la foi ne doit être au-dessus de la loi. Nous devons être intraitables contre ce que le président de la République a qualifié de séparatisme et nous devons combattre de toutes nos forces contre l’islamisme politique qui attaque la République », a déclaré, mardi 7 juillet Gérald Darmanin lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur Christophe Castaner. Le ton est donné dès sa prise de fonctions.

L'ex-ministre de l'Action et des Comptes publics a d’ailleurs réitéré ces mots le lendemain en signifiant au Sénat que « l’islam politique est un ennemi mortel pour la République ». « Mon grand-père priait Allah et portait l’uniforme de la République. (…) Oui à la liberté de culte, non à l’islamisme politique, oui à des Français, quelle que soit leur couleur de peau et quelle que soit leur religion », a-t-il ajouté, rappelant au passage être fier de son deuxième prénom, Moussa.

« La guerre civile », sa sombre prédiction

Gérald Darmanin a exprimé de longue date son intérêt sur le dossier islam de France. Il est donc fort à parier que l'homme politique, proche de Nicolas Sarkozy, va vouloir imprimer son nom en la matière. Dans son « Plaidoyer pour un islam français » publié en 2016 (à télécharger plus bas) lorsqu’il était maire de Tourcoing, rapport qu’il présentait alors comme une « contribution pour la laïcité » au sein des Républicains (LR) auquel il n'appartient plus aujourd'hui, Gérald Darmanin posait d’entrée de jeu un sombre constat. « La France couve les prémices d’une possible guerre civile », disait-il, écrivant qu’« entre les Français non musulmans et l’islam, le fossé devient un canyon. »

« Non seulement la guerre civile couve mais, si elle advient, elle sera la pire de toutes : elle sera religieuse », a-t-il poursuivi. « Ne laissons plus (…) les belliqueux affirmer qu’il y a un problème musulman dans notre pays comme il y avait un problème juif avant la Seconde Guerre mondiale et que ce problème est insoluble sauf à combattre l’existence même de cette religion. (…) Ne laissons pas les réflexes l’emporter sur la réflexion. Cela nous amènerait là où les terroristes islamistes veulent amener notre pays : à la guerre civile. »

« Entre les millions de musulmans vivant en France et la République, il y a désormais un risque de rupture », disait-il également. « Il n’est plus exceptionnel d’entendre que l’islam serait incompatible avec la République. Il n’est plus extraordinaire d’entendre qu’un bon musulman ne peut vivre selon les lois de la France. Les ingrédients du drame français sont là. A nos portes, derrières nos murs, sous nos toits. »

Gérald Darmanin fustigeait alors les politiques qui, « au lieu de tenter de trouver des solutions, (...) continuent à jouer les autruches ou à lancer des anathèmes. Par des discours martiaux, on explique désormais que l’on va interdire, obliger, expulser. On le dit avec d’autant plus de force aujourd’hui qu’on ne l’a pas fait hier. On constate le soi-disant bienfait électoral de devenir le héraut des “racines”. On clive. Tant pis si cette politique est désastreuse pour le pays. Tant pis si cette politique est impossible à réaliser ». Mais lui, que prône-t-il ?

Imposer aux musulmans « une concorde »

L’homme politique déclare ne pas être partisan d’une interdiction « de pratiquer aux musulmans sous prétexte que la religion à laquelle ils croient - parfois plus culturellement que par conviction - serait incompatible avec la République ». « En dehors du fait que cette position est contraire à nos textes les plus essentiels (...), la France, à coup sûr, connaîtra une deuxième guerre d’Algérie sur son sol. Expulser des millions de Français musulmans vers la "Musulmanie" n’est pas possible. Les convertir de force en leur interdisant leur religion, chaque personne rationnelle en conviendra, est une folie. »

Pour lui, il faut « rappeler fermement nos principes républicains en respectant profondément la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, et en acceptant l’idée que notre belle laïcité ne doit pas se soumettre, mais s’enrichir ».

A ses yeux, « le temps est venu pour la République d’exprimer clairement ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas. (…) Le temps n’est plus aux phrases toutes faites qui permettent de ne pas réfléchir et d’expliquer que c’est à l’islam seul de s’organiser. Cachez moi cette religion que je ne saurais voir, ne peut pas faire une politique ». Aussi, « le temps est dépassé où les responsables religieux pouvaient simplement dire : l’Islam n’a rien à voir avec tout cela. Acceptons l’idée que l’extrémisme, c’est le culte sans la culture, que la radicalité, c’est la croyance sans la connaissance ».

« Les règles qui s’imposaient au christianisme et au judaïsme, ne sont pas totalement adaptées à l’Islam. Oui, à l’Islam nous devons imposer une concorde, c’est-à-dire un ensemble de règles, peut-être pour un temps défini, afin de l’assimiler totalement à la République », tranchait-il. Car « vouloir un Islam de France, c’est accepter fermement de couper tout lien religieux avec des pays étrangers pour nos compatriotes musulmans ».

Une charge contre le CFCM

Dans sa série de propositions, Gérald Darmanin plaidait pour la présence d’un « ministre des Cultes et de la Laïcité » sous la tutelle du Premier ministre ou du ministre de l’Intérieur et qui serait « chargé de proposer une codification du droit des cultes et de la laïcité afin de rendre plus lisible l’ensemble des droits et des devoirs des personnes morales ou physiques, privées ou publiques ».

Quatre ans après le rapport, il est appuyé dans sa mission Place Beauvau par Marlène Schiappa, nommée ministre déléguée à la Citoyenneté et qui pourrait avoir en charge les questions de laïcité, un portefeuille dont l’ex-secrétaire d’Etat pour l’Egalité femmes-hommes s’est saisie au sein de LREM avec la « mission laïcité ».

Surtout, Gérald Darmanin souhaitait le remplacement du Conseil français du culte musulman (CFCM) du fait, disait-il, de son manque de pouvoir, de légitimité et, « le plus rédhibitoire », des influences étrangères. A sa place, il prônait la création d'un « Grand Conseil de l’Islam de France », calqué sur le modèle du Consistoire central, dans lequel « toutes les mosquées présentes sur le sol français y (seraient) obligatoirement affiliées » mais aussi « agréés auprès d’un ministère des Cultes et de la Laïcité ». Celui-ci ne contrôlerait pas l’organisation du culte ou l’enseignement religieux mais « l’acceptation des règles de conformité avec les valeurs et les lois de la République », assurait-il.

Un « Grand imam de France », « compétent pour répondre aux questions savantes et théologiques », serait nommé par ce Grand Conseil ; il nommerait les imams dans chaque mosquée, pourrait revenir sur leur nomination et dirigerait même la Fondation des Œuvres de l’Islam qui serait chargée de la construction des lieux de culte et de la gestion des lieux de formation des imams. Un scénario en partie rendue impossible aujourd’hui dans les faits puisque la FOIE a depuis été remplacée par la Fondation de l’islam de France (FIF), une instance à caractère uniquement culturel.

Quant au CFCM, ses responsables ne céderont pas si facilement leur place à une quelconque structure ; après un conflit ouvert avec l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), un terrain d'entente a été trouvé ces derniers mois pour la création d’une structure commune de financement du culte musulman.

Lire aussi : CFCM/AMIF : l'unité actée pour la création d'une association du financement du culte musulman

Non au financement étranger, oui à une faculté théologique musulmane

Gérald Darmanin faisait valoir dans son rapport son opposition au financement étranger dans la construction ou le fonctionnement des lieux de culte en France. Un vœu qui a rejoint celui d’Emmanuel Macron, qui affirmait le même non lors de son discours contre le séparatisme à Mulhouse en février dernier.

En contrepartie, « les collectivités locales pourront proposer de faire des avances remboursables ou des garanties d’emprunt pour les constructions de ces lieux de culte, ou devenir propriétaires de ces derniers ». Autre point d’accord avec l'actuel président de la République, la fin du système des imams détachés dans un délai de cinq ans.

Sur le volet financement du culte, « l’hypothèse d’une taxation publique des aliments communautaires est à rejeter » car « il s’agirait là d’une adaptation de l’État au communautarisme » et que « la consommation d’aliments communautaires, déjà fort répandue, serait alors en plus d’être un acte religieux ou culturel, un acte militant ».

Sur le volet formation des imams, Gérald Darmanin affirmait aussi être pour la création d’une faculté théologique musulmane en France (à laquelle s’était opposé Christophe Castaner en 2019), « un Institut Universitaire Musulman où les ministres du culte et les laïcs membres des associations cultuelles recevront un enseignement théologique, religieux, non contraire aux valeurs de la République » qui serait géré par le Grand Conseil de l’Islam de France. Quant aux lieux de formations privés des imams qui existent à ce jour, ils devront être affiliés à cet institut « qui les contrôlera en échange d’aides financières ».

Contre le voile à l’université et les repas halal et casher dans les écoles

Si Gérald Darmanin affirme ne pas vouloir être dans une politique d’interdiction de pratiquer son culte, il est à noter qu’il plaidait contre la présence de viande halal et casher dans les menus servis tant dans les écoles que dans les administrations publiques. Ces dernières auraient tout de même le droit de proposer des repas de substitution sans viande.

Il affirmait aussi être contre le port de signes religieux dits ostentatoires comme le voile dans les universités « durant les heures d’enseignement ». Ils sont autorisés dans l’espace public mais « tout vêtement ostensiblement prosélyte ou qui tendrait à discriminer les femmes et marquer ainsi de manière ostentatoire leur différence (serait) interdit ».

De quels vêtements parlait-il ? « Je pense que les femmes qui portent des vêtements très amples qui laisse juste le visage, ce n'est plus tout à fait acceptable dans le République », précisait-il en 2016 sur RTL. tout en déclarant, en même temps, que « le foulard discret de la maman qui accompagne ses enfants dans une sortie scolaire ne (le) gêne absolument pas ».

Dans quelle mesure sa vision de l’islam et de la laïcité qu’il avait couchée sur le papier saura être déployée sur le terrain ? Les acteurs du culte musulman, attentifs, attendent, pour se prononcer, de voir ce qui va véritablement se dessiner avec Gérald Darmanin dans le cadre de ces dossiers politiques, à moins de deux ans de l'élection présidentielle.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !