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Points de vue

Les fausses pistes autour de l'islam de France

Rédigé par | Mardi 13 Février 2018 à 14:35

           

Aujourd'hui, en France, il manque une bonne connaissance de l'« islam réel », comme d’une bonne connaissance de l'« islam militant » qui est probablement l'islam qui dominera demain si nous posons les mauvais diagnostics et apportons les mauvaises réponses à la problématique de l’organisation du culte musulman.



Les fausses pistes autour de l'islam de France
Après plus d'une décennie d'existence du Conseil français du culte musulman (CFCM) qui ne peut se prévaloir d'aucune grande réalisation, face au constat de la pénétration profonde du salafisme dans l'Hexagone, et surtout suite aux attentats de 2015 et 2016, on observe une accélération des propositions pour (re)structurer l'organisation et le financement du culte musulman en France. La mission sénatoriale de 2016, la note de Gerald Darmanin sur le sujet (avant de devenir secrétaire d'Etat), ou plus récemment le rapport Un autre islam est possible de l'Institut Montaigne repris et commenté dans le dernier ouvrage d'Hakim El Karoui en témoignent.

Dans ses vœux aux représentants des cultes, le Président Macron a affiché sa volonté d'en finir avec les problèmes structurels de l'islam de France (manque de représentativité, poids des pays d'origine, blocages divers...) et, dans un entretien pour le JDD paru dimanche 11 février, esquisse quelques pistes. Si cette volonté est louable, il faut bien prendre garde de poser le bon diagnostic sur la réalité de l'islam de France, et partir de la réalité de la « base humaine » plurielle de l'islam de notre pays plutôt que de se précipiter avec des méthodes managériales « top-down ».

L'installation définitive de l'islam dans la société française

On ne peut pas considérer que la présence de l'islam en France constitue seulement une « question privée » pour les fidèles de cette religion. En effet, une religion, ce n'est pas seulement des convictions intérieures, des pratiques vécues dans l'espace des lieux de culte et dans la famille : c'est, aussi, une manière de comprendre le monde, de vouloir l'organiser, de se comporter dans la relation aux autres et dans l'espace public.

L'installation – que l'on peut désormais supposer définitive – de l'islam dans la société française – société où il n'était presque pas présent il y a seulement soixante-dix ans – constitue, de ce fait, une véritable « révolution française ». Dans nombre de quartiers de France, la vie de la majorité des gens qui ne sont pourtant pas musulmans, est désormais marquée par cette présence de plus en plus visible, de plus en plus prégnante de l'islam. Le phénomène ira, de surcroit, en augmentant, à la fois parce que les flux migratoires vont dans ce sens, et aussi parce que nous sommes dans une période de « revivalisme » de l'islam dans le monde, un islam militant et ostentatoire.

Il faut commencer par poser ce constat sans détour pour affronter les tensions qu'il suscite manifestement au sein de notre société [lire à ce propos le constat établi par les journalistes Ariane Chemin et Raphaëlle Bacqué dans leur ouvrage La Communauté, (Albin Michel, 2018) sur l'évolution de Trappes].

Islam « en » France ou islam « de » France ?

C'est une distinction chère à toute une partie de la droite : « Non à un islam en France, oui à un islam de France ! » Mais peut-on séparer ainsi les choses ?

L'islam, comme le christianisme, est une religion à dimension universelle. On pourra tenir tous les discours que l'on voudra, le cœur de l'islam restera toujours la Péninsule arabique, et la Grande Mosquée de Paris ne remplacera jamais La Mecque et sa Kaaba ! D'ailleurs, demande-t-on aux Juifs de France de vivre un « judaïsme de France » ? Aux catholiques ou aux protestants de vivre un « christianisme de France » ? (et aux évêques français de rompre leur allégeance au pape de Rome ?). De fait, le catholicisme et le protestantisme se sont largement acculturés à la réalité française (philosophie politique, dimensions socio-culturelles multiples).

Avec le temps, toute religion à dimension universelle se laisse « colorer » par la culture dominante dans laquelle elle se trouve plongée. Si on compare ce que vivent les musulmans de France et ce que vivent les musulmans de Grande-Bretagne, on voit bien qu'il y a des différences liées autant à l'origine historique de ces musulmans (le Maghreb surtout pour la France, le sous-continent indien surtout pour la Grande-Bretagne) qu'aux systèmes politiques différents de la France et de la Grande-Bretagne avec des modes d'intégration et des rapports au religieux très différents.

Toutes les études montrent qu'à l'heure actuelle (mais cela peut changer ces prochaines années si on laisse les courants fondamentalistes pendre toute la place !), la majorité des musulmans de France, toutes nationalités confondues (mais la majorité a la nationalité française), n'éprouvent aucune difficulté avec le principe de laïcité et la République. L'islam de France existe bien !

Pousser les musulmans de France à rompre avec les influences des pays d'origine ?

La volonté de provoquer une rupture des musulmans de France avec les influences de leurs pays d'origine (principalement : Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal et Turquie), influences souvent désignées sous l'appellation d'« islam consulaire », se comprend, en particulier quand on sait combien le conflit Algérie-Maroc paralyse depuis quarante ans la plupart des initiatives de construction d'institutions musulmanes « françaises ». Cette demande de « rompre le cordon ombilical » avec, principalement, l'islam d'Algérie et du Maroc, se retrouve aussi, d'ailleurs, chez un certain nombre d'acteurs musulmans de la scène française, aussi bien de tendances « libérales » que d'appartenance « Frères musulmans ». pour des raisons évidemment différentes. Mais peut-on être sûr que cette option soit la plus raisonnable ?

D'une part, on ne peut négliger le fait que ces pays sont les « pays de cœur » de la majorité des musulmans de France, lesquels sont, pour la majorité d'entre eux, des binationaux. Mettre comme condition à la construction d'un « islam de France » cette rupture, c'est un peu comme si l'on voulait imposer aux Juifs de France la rupture avec les institutions de l'Etat d'Israël, et aux catholiques la rupture avec les institutions du Vatican ! Il s'avère, de surcroit, que la plupart desdits pays sont des pays amis de la France, dont les gouvernements sont généralement nos alliés dans la lutte contre le développement et les ravages d'un islam intégriste meurtrier.

D'autre part, quelles garanties pouvons-nous avoir qu'un islam « délivré »des influences étatiques maghrébines, subsahariennes ou turques, sera « naturellement » un islam davantage « français », au sens de davantage en harmonie avec l'esprit de la République démocratique et laïque tel que nous sommes nombreux à l'appeler de nos vœux ?

Le diagnostic que l'on peut poser actuellement sur l'« islam des mosquées » de France ( à distinguer de l'islam de la majorité des musulmans de France qui ne fréquentent pas les lieux de culte pour des motifs divers) nous oblige à constater que celui-ci est de plus en plus influencé par les grands courants transnationaux, salafistes et Frères musulmans, qui se sont imposés, ces dernières décennies, comme dominants au sein de l'islam mondial.

La plupart des grandes mosquées de France, de nos jours, à l'exception des mosquées de Paris (liée au gouvernement algérien), d'Evry et de Saint-Etienne (liées au trône chérifien), de Lyon (dont le recteur veille à une indépendance absolue, mais cela pourra-t-il lui survivre ?) sont davantage sous influence salafiste ou/et Frères musulmans... et les acteurs de ce raidissement doctrinal et de cette politisation de la religion sont bien des citoyens français, quelles que soient leurs origines ! D'ailleurs, les courants Frères musulmans ont été parmi les premiers, en France, à vouloir cette rupture.

Si l'on a le souci d'un véritable diagnostic de ce qu'est devenu, en 2018, l'islam des mosquées et des organisations islamiques de France (or ce diagnostic n'existe pas, surtout depuis que les renseignements généraux ont été « dynamités » à l'époque de Monsieur Sarkozy), on relèvera aussi que l'Algérie et le Maroc financent de moins en moins celui-ci, ont de moins en moins d'influence sur lui, les gouvernements de ces pays ayant déjà trop de difficultés à maîtriser ce qui se passe sur la scène islamique de leurs propres frontières.

Le seul pouvoir étranger actuellement vraiment très entreprenant sur toute la scène islamique française, est le gouvernement turc islamo-conservateur de Monsieur Erdogan qui, aidé aussi bien de son département religieux international DITIB que du mouvement islamiste Milli Gorüs, mène une politique dynamique de construction de grands centres islamiques à travers l'Hexagone, en ayant pour souci d'influencer les musulmans de notre pays bien au-delà de la seule diaspora turque. Une influence qui renforce le courant Frères musulmans.

Il n'appartient pas à l'Etat de définir quel doit être le « bon islam »

L'honnêteté consiste à reconnaître que, en vérité, nous sommes en « terrain miné ». Certes, il peut y avoir un islam sous influences étrangères qui se présente comme nocif pour le présent et l'avenir de notre pays, mais il peut y avoir également un islam « délivré » de ces influences étatiques bien plus dommageable encore !

La question, dès lors, devrait être d'abord : quel islam appelons-nous de nos vœux pour la France ? Seulement, il n'appartient pas, dans un régime laïc, à l'Etat de définir quel doit être le « bon islam » (ou le « bon christianisme ») ! La seule liberté en ce domaine qui reste aux pouvoirs publics, est de ne pas se tromper dans les choix de ses partenaires.

Parce que l'islam organisé est une réalité neuve en France, il n'est pas étonnant que celui-ci ne possède pas encore en son sein un corps suffisant de vrais savants religieux. Dès lors, on ne saurait refuser à cet islam de France d'aller chercher la science religieuse là où celle-ci a déjà une longue histoire, en particulier dans les pays d'origine des musulmans de France.

Quand ces pays et leurs institutions religieuses professent réellement un islam d'ouverture, un islam de la concorde avec les non-musulmans, un islam du refus clair de l'extrémisme meurtrier, dans quel intérêt nous priverions-nous de leur collaboration ? De vrais partenariats devraient pouvoir s'ouvrir avec un certain nombre d'institutions religieuses du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne, en particulier pour la formation des cadres religieux, mais aussi pour l'apparition, en France, de vrais lieux de promotion d'une culture savante, autant académique que religieuse.

L'islam de France a besoin de ces apports savants traditionnels, mais la France peut certainement apporter, aussi, dans de tels échanges, sa propre habitude de la pensée critique, ses approches profanes du « fait religieux », ses outils universitaires historico-critiques.

Les quatre raisons de l'échec d'une institution centrale d'autorité de l'islam de France

Depuis le début des années 1980, les gouvernements français qui se sont succédé ont essayé de faire émerger une structure unique de représentation des musulmans de France. Car même si les institutions de la République se doivent de ne pas interférer dans le domaine religieux, elles ont légitiment la préoccupation d'avoir des interlocuteurs représentatifs des secteurs religieux de la société.

Avec Pierre Joxe, ministre socialiste de l'Intérieur, il y a eu la tentative de faire naitre une sorte de « Fédération musulmane de France » à l'image de la Fédération protestante de France, réunissant plusieurs courants de l'islam, plusieurs sensibilités, qui a abouti à la création du CORIF (Conseil représentatif de l'islam de France).

Charles Pasqua puis Nicolas Sarkozy ont, quant à eux, cédé à la tentation de mener une politique « bonapartiste », imposant aux musulmans une instance représentative comme Napoléon Ier avait imposé le Consistoire et le séminaire rabbinique aux Juifs de France.

Avec Jean-Pierre Chevènement, en partie repris par Nicolas Sarkozy, on a assisté à une volonté de faire émerger une structure élue démocratiquement par les pratiquants musulmans, à partir du nombre de fidèles supposés par lieu de prière. Mais quand les élections organisées sous Nicolas Sarkozy ont marginalisé la Grande Mosquée de Paris – et, donc, les priants d'origine algérienne – on s'est vite empressé de « corriger » les élections par des nominations du fait du prince !

En tout cas, aucune de ces tentatives n'a abouti à une situation satisfaisante, pour quatre raisons principales (l'ordre n'est pas hiérarchique) :

1. Le manque de personnalités à la fois savantes, pieuses, consensuelles et désireuses de s'engager au sein des quelque 6 millions de musulmans de France ;

2. le fait que l'immense majorité des musulmans de France se désintéresse de cette problématique et n'est pas en demande d'institutions centralisatrices ;

3. le fait que les courants musulmans les plus militants (Frères musulmans et salafistes) ont des stratégies parallèles d'organisation et ont tout fait pour saboter les efforts gouvernementaux ;

4. la rivalité Algérie-Maroc pour la préséance dans l'organisation de l'islam de France et la lutte entre les deux pays à tous les niveaux.

Ces derniers mois, des personnalités (avec l'Institut Montaigne) ont imaginé que l'Etat devrait davantage prendre en mains l'organisation de l'islam, en « ressuscitant » la FOIF (Fondation des œuvres de l'islam de France créée à l'instigation de Dominique de Villepin et quasi mort-née) et l'AMIF, l'association qui lui a été associée, en vue de l'existence d'une structure représentative unique.

Mais cette proposition se heurte, comme d'autres qui ont précédé, au principe central de la loi de 1905, qui est aujourd'hui une des rares lois considérées par la majorité des Français comme « sacrée » : celui de la séparation des Eglises et de l'Etat. Nous ne sommes plus à l'époque de Napoléon, imposant aux juifs de France la mise en place du Consistoire israélite et le séminaire rabbinique !

Comment pourrait-on imaginer, de nos jours, pouvoir imposer une instance unique de direction du culte musulman dans une société de libertés ? Qui imaginerait imposer cela aujourd'hui à d'autres religions, par exemple aux Eglises protestantes de France qui comptent plusieurs fédérations, ou aux Eglise orthodoxes qui comptent plusieurs Eglises séparées ? Ainsi, une Fondation de l'islam de France a-t-elle été créée en 2017, mais elle ne porte « que » sur le domaine culturel (très important, du reste) et non sur l'organisation du culte.

Halal, hajj et zakat, des taxes sous le contrôle de l'Etat ?

Derrière cette aspiration à faire surgir une structure représentative unique, il y a, en particulier, la question du financement de l'organisation de l'islam de France. Il est certain, en effet, qu'avec de l'argent disponible il y aurait des acteurs nouveaux avec des projets qui pourraient surgir.

Avoir le souci de trouver les moyens d'un financement « français » de l'islam de France est, de ce fait, certainement louable. Mais à partir de quelles (res)sources ?

• Les revenus du halal (taxe liée au contrôle de la véritable « halalité » des viandes) dont une partie, recueillie par l'AMIF, pourrait servir à financer les grands projets au service d'un islam de France (construction des mosquées, formation et salariat des imams principalement) ont été évoqués comme piste récurrente. Mais comment, dans une société de libertés, l'Etat pourrait-il prétendre organiser le financement du culte musulman ? A fortiori partir d'une norme cultuelle toute relative... Les Eglises comme les institutions juives accepteraient-elles une telle tutelle pour elles-mêmes ?

Certes le ministère de l'agriculture a compétence pour délivrer les autorisations de certification halal (et rappeler les normes environnementales et sanitaires à respecter). Mais la compétence de l'Etat peut-elle aller au-delà ?

Actuellement, trois institutions musulmanes bénéficient de ce privilège du contrôle de la licéité et en retirent des revenus appréciables : la Grande Mosquée de Paris, la Grande Mosquée d'Evry et la Grande Mosquée de Lyon. Envisage-t-on d'élargir le privilège à d'autres ? Les trois institutions précitées vivent aujourd'hui essentiellement grâce à cet argent. Sans lui, elles auraient beaucoup plus de difficultés !

• Ont été également évoqués les revenus de l'organisation du pèlerinage aux Lieux saints de l'islam (hajj), dont une partie, recueillie par l'AMIF, pourrait servir aux mêmes buts qu'une partie de l'argent du halal. Va-t-on, aussi, contrôler les revenus des pèlerinages chrétiens, à Lourdes, à Rome ou à Jérusalem ? Comment dans une société libérale et laïque peut-on imaginer imposer une « taxe religieuse » que l'on ferait peser sur des entreprises privées ?

• La centralisation et le contrôle de la « zakat », « impôt religieux volontaire », a enfin été évoquée. Il serait recueilli par l'AMIF et servirait aux mêmes buts que l'argent récupéré sur le halal et sur le pèlerinage. Va-t-on, pareillement, introduire un contrôle étatique sur le recueil du « denier de l'Eglise » et sur les dons des fidèles juifs aux synagogues ? Comment peut-on imaginer un pareil « régime d'exception », contraire à nos lois et à la Constitution ?

Contrôler l'argent étranger versé au bénéfice de l'islam de France ?

Ces dernières années, de nombreux responsables politiques ont préconisé que soit interdit tout financement étranger de l'islam. Ainsi, il serait possible de recevoir de l'argent étranger pour toutes les activités possibles (entreprises, clubs de foot, télévision, etc ), et non pour des entreprises religieuses ? On ne voit pas bien, là aussi, comment cela serait légalement possible ?

Et ferait-on là encore une distinction entre l'islam et les autres religions ? La cathédrale russe de Paris récemment construite l'a été avec des fonds russes ! Des églises chrétiennes de rite oriental installées en France ont aussi bénéficié, ces dernières années, de fonds étrangers (notamment libanais). De même des Eglises évangéliques peuvent avoir des subventions venues de l'étranger (Etats-Unis, en particulier). Sur le plan du financement, peut être vérifiée la licéité des fonds versés, comme pour tout financement, mais c'est probablement tout ce qui peut être fait !

Lorsqu'il s'agit de l'argent venu d'Algérie (de plus en plus rare) ou du Maroc, pays amis et d'où est originaire la majorité des musulmans de France, doit-on se plaindre de cette solidarité et s'en priver ? La Grande Mosquée d'Evry et la Grande Mosquée de Saint-Etienne ont été en grande partie payées par le Maroc. Cela constitue-t-il un dangereux trouble à l'ordre public ? Celle d'Evry a bénéficié aussi d'argent saoudien, comme la Grande Mosquée de Lyon. Pour autant, l'influence saoudienne y est manifestement sans importance.

Les deux seules choses que l'Etat peut faire dans la formation des cadres religieux musulmans

L'islam de France manque encore cruellement de cadres religieux bien formés intellectuellement. Vouloir aider à l'émergence d'un « islam savant » est, dès lors, certainement respectable. En même temps, ce n'est pas à l'Etat laïque qu'il appartient de s'immiscer dans le contenu de la formation des « ministres du culte », qu'ils soient musulmans, juifs, chrétiens, bouddhistes...

L'Etat peut seulement faire deux choses :

1. D'une part, vérifier que les cadres religieux qui interviennent dans des institutions fermées (armée, prisons, hôpitaux, lycées...) dépendantes de l'Etat ou de collectivités locales et qui bénéficient d'un traitement ou d'un défraiement public, puissent faire état d'une formation sérieuse, notamment d'une formation à la connaissance des institutions de la République. Depuis quelques années, de telles formations à la connaissance des institutions républicaines existent à travers les diplômes universitaires (DU) civils et civiques (désormais au nombre de 18 à travers la France) et c'est une très bonne chose.

2. D'autre part, favoriser la recherche et l'enseignement académiques sur l'islam dans les universités et dans l'Education nationale en général, de sorte que les gens puissent accéder à une approche critique et pas seulement pieuse ou idéologique de cette religion (comme des autres religions).

Des propositions qui malmènent la loi de 1905

Depuis plusieurs années, des voix se font aussi entendre pour dénoncer le fait que la plupart des associations musulmanes sont sous le régime de la loi sur les associations de 1901 et pas sous le régime des associations religieuses et des congrégations de 1905. Mais il se trouve que le régime de 1901 est moins contraignant ! Et les musulmans ne sont pas les seuls à le préférer à celui de 1905 : il en va ainsi aussi de toutes les communautés évangéliques très dynamiques en France. Vouloir, de surcroit, restreindre l'usage du régime de 1901, serait s'en prendre au droit d'association.

Parmi les autres propositions relevées dans le rapport de l'Institut Montaigne, on trouve une modification de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat de 1905, en vue, d'établir une réelle égalité entre les cultes présents en France avant 1905 et ceux présents depuis, mais aussi des propositions – dont la première serait « révolutionnaire » – à ce sujet :

a. municipaliser tous les lieux de culte chrétiens, musulmans construits en France depuis 1905 ;
b. inclure la possibilité d'« unions d'associations » relevant aussi bien du régime des associations selon la loi de 1901 et selon la loi de 1905.

Or, aujourd'hui déjà, les municipalités ne parviennent pas à entretenir l'immense patrimoine immobilier religieux de France. Comment imaginer que de nouvelles charges leur soient imposées ? Les municipalités ne sauraient accepter pareille proposition. De plus, les Eglises ne sont probablement pas prêtes à abandonner aujourd'hui toute une part de ce qu'elles possèdent encore.

Autre proposition issu du rapport de l'Institut Montaigne : faire passer le bureau des cultes du ministère de l'Intérieur à celui du cabinet du Premier ministre. Le rattachement au ministère de l'Intérieur se justifie notamment par le fait que le Ministre de l'Intérieur est garant de la liberté de culte et de l'ordre public et qu'il dispose des moyens de coercition pour faire respecter ce droit ( police et gendarmerie), ce qui n'est ni la fonction ni les prérogatives de Matignon.

Enfin, la création d'un secrétariat d'Etat pour les religions et la laïcité auprès du Premier ministre. Quel serait le rôle et les prérogatives d'un tel membre du gouvernement ? Etre un « commissaire politique » chargé des religions ? Là encore, ce serait en contradiction avec la loi de 1905, selon laquelle « la République ne reconnaît aucun culte ».

La réalité de l'islam de France « bouge » considérablement et rapidement

Je souhaite terminer ce billet en soulignant qu'actuellement une tendance particulière de l'islam – souvent celle inspirée par les Frères musulmans – se construit dans la discrétion, avec des citoyens français, sans chercher à mettre à contribution l'Etat.

A côté de tout un « islam officiel » existe un autre islam « non officiel » et certainement encore mieux organisé. Qui connaît celui-ci au sein des responsables politiques ?

Aujourd'hui en France, il manque d'une bonne connaissance de l'« islam réel », celui des « gens ordinaires », comme d'une bonne connaissance de l'« islam militant » qui est probablement l'islam qui dominera demain si nous posons les mauvais diagnostics et apportons les mauvaises réponses à la problématique (complexe) de l'organisation du culte musulman en France.

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Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence et à la faculté protestante de Paris. Il enseigne à l’institut théologique Almowafaq (Rabat). Il est chercheur associé à l’Observatoire du religieux (IEP Aix-en-Provence). Derniers ouvrages parus : avec Delphine Horvilleur, Des mille et une façons d'être juif ou musulman, (Le Seuil, 2017) ; avec Ismael Saidi, Finalement, il y a quoi dans le Coran ? (La Boîte à Pandore, 2017) ; Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ? (Seuil, 2016) ; avec Christian Delorme, La République, l’Église et l’islam. Une révolution française (Bayard, 2016).



Rachid Benzine
Rachid Benzine, islamologue, est chargé de cours à l’IEP d’Aix-en-Provence et à la faculté... En savoir plus sur cet auteur



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