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Points de vue

Face au terrorisme et à la haine, il faut plus que des condamnations, messieurs les imams !

Rédigé par Omero Marongiu-Perria | Vendredi 23 Octobre 2020 à 11:00

           


Face au terrorisme et à la haine, il faut plus que des condamnations, messieurs les imams !
Comme tous nos concitoyens, la nouvelle du meurtre de Samuel Paty m’a considérablement choqué. Il est toujours difficile de trouver les mots en de telles circonstances et, depuis les attentats du 7 janvier 2015, on ne compte plus les prises de position des autorités cultuelles musulmanes contre la barbarie terroriste. Nous en avions déjà recensé plusieurs centaines au début de l’année 2017 lorsque, avec Vincent Geisser et Kahina Smaïl, nous étions en cours de rédaction de l’ouvrage Musulmans de France, la grande épreuve.

Aujourd’hui, imams et responsables d’associations cultuelles musulmanes n’hésitent plus à prendre la parole dans les médias, mainstream ou non, de l’échelle locale à l’échelle nationale, et c’est très bien. Mais – car il y a toujours un « mais » -, s’il y a un temps pour les condamnations de principes et les vœux pieux, il est nécessaire d’entrer désormais dans le temps du changement de vision sur l’islam, son histoire et son patrimoine, au risque de tendre à nouveau le bâton pour se faire battre.

J’écris cela non pas pour stigmatiser mes coreligionnaires qui occupent une charge d’imam, d’enseignant ou de responsable associatif, mais pour les éclairer sur des points aveugles de leurs discours. En voici un exemple concret. Le Conseil des mosquées du Rhône et le Conseil théologique des imams du Rhône ont publié, dimanche 18 octobre, un communiqué intitulé « Restons unis et solidaires face à la haine aveugle et la folie meurtrière ». De son côté, un collectif d’imams a fait paraître sur Saphirnews une tribune sous le titre « Face à la barbarie, proclamons haut et fort la sacralité de la vie ».

Les deux textes appellent bien entendu à l’union et à la concorde mais, dans leur volonté de promouvoir une image positive de l’islam et du Coran, ils citent le verset 32 de la sourate 5, le Plateau servi, d’une façon tellement tronquée que toute personne, musulmane ou non, ayant un minimum de connaissance du Coran, ne pourra que demeurer dubitative face aux détournements sémantiques qu’ils opèrent.

Le verset en question fait référence au meurtre d’Abel par son frère Caïn, et le Coran indique : « C’est pour cette raison que nous avons prescrit (cette règle) aux enfants d’Israël, à savoir que quiconque tue une personne sans qu’elle n’ait commis un meurtre ou semé la corruption sur terre sera considéré comme s’il avait tué l’humanité entière. Quant à celui qui fera vivre une personne, c’est comme s’il faisait vivre l’humanité entière. »

Voici comment le Conseil des mosquées du Rhône le cite : « Le Conseil des mosquées du Rhône ne peut rester silencieux, ni insensible devant tant de haine et de violence. Il ne peut accepter qu’un tel outrage soit perpétré au nom de l’islam, qui désavoue tous les actes inhumains et barbares : "Qui tue une vie a tué toute l’humanité" (Coran 5/32). C’est pourquoi, nous sommes engagés à renforcer l’étude des fondements idéologiques de la pensée extrémiste et le combat contre ceux qui l’alimentent, la nourrissent et la financent. »

Quant au collectif d’imams, il va plus loin en tronquant complètement le passage coranique : « Nous insistons sur le caractère sacré de la personne et de la vie humaine, quelle qu’elle soit. Dieu dit dans le Coran : "Quiconque tue un être humain sur la terre est considéré comme le meurtrier de l’humanité tout entière. Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !" (Sourate 5, verset 32) »

Etre conscient d’une culture de la haine dans laquelle des musulmans sont éduqués

Ce passage indique pourtant, d’une façon allusive et générale, qu’il existe deux situations pour lesquelles la peine de mort est envisageable. Même en prenant toutes les précautions d’usage, à savoir que seul un État doté d’institutions judiciaires peut prononcer une telle sanction, un regard sur l’héritage exégétique musulman avec nos lunettes d’aujourd’hui, celles de la Déclaration universelle des droits humains, celles de la liberté de conscience et des droits fondamentaux inaliénables, celles de l’égalité en droit de tous les citoyens, laisse pantois.

Il suffit de se promener un tant soit peu sur Internet et sur les références classiques musulmanes, toujours enseignées aujourd’hui, pour s’apercevoir que la notion de « semer la corruption sur Terre », selon l’interprétation parfois très extensive qu’en ont fait les savants musulmans, peut parfaitement justifier, pour certains, le meurtre du malheureux professeur pour son simple cours.

Ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est quelque chose de très concret, c’est une culture de la haine dans laquelle une minorité de musulmans, certes, est éduquée. Mais c’est surtout une socialisation plus diffuse à travers laquelle le musulman s’imprègne, dès son plus jeune âge, d’une vision quasiment magique de toutes les choses ayant trait à la religion, en développant une réelle aversion vis-à-vis de toute expression de ce qui relève d’une critique de l’islam, y compris de son patrimoine historique érigé au rang de corpus sacré.

Décortiquer la dimension mortifère intrinsèque à l’islam contemporain et à l’usage dévoyé du patrimoine historique

Certains imams du Rhône se souviendront peut-être de la session de travail que nous avions eu à la Grande mosquée de Lyon, en 2014, sur l’extrémisme religieux violent, et au cours de laquelle j’avais indiqué que, si nous prenions tous une feuille de papier blanche et nous y résumions la vie du Prophète, nous trouverions la partie médinoise quasiment uniquement remplie de batailles et autres razzias.

C’est ce qu’on apprend aux enfants dans les lieux de culte, avec plus ou moins de distanciation, sur la base de la biographie du Prophète rédigée par Abd al-Malik Ibn Hicham près de deux siècles après la mort de Muhammad, dans le contexte du développement de l’empire abbasside. La remarque qui m’avait été faite était simple et laconique : « Mais que veux-tu qu’on enseigne ? » C’est bien là tout le problème.

Les déclarations d’intention sont une bonne chose, une étape nécessaire. Mais des intellectuels musulmans, des historiens, des imams également ont décortiqué cette dimension mortifère intrinsèque à l’islam contemporain et à l’usage dévoyé du patrimoine historique, pour lesquels l’islamisme et le wahhabisme tiennent une grande part de responsabilité. Il faut les entendre et les intégrer pleinement à la réflexion endogène sur les questions d’éducation religieuse et de formation des cadres religieux.

Plutôt que de continuer à promouvoir une version magique de la révélation, de la descente du Coran, de la personne du prophète et des premiers musulmans, il faut apprendre très tôt au musulman à user de son cerveau pour comprendre où se place le sacré dans la création du monde et comment il peut, lui, personnellement, à partir des outils intellectuels qu’on lui donne, s’approprier le sens profond d’un cheminement vers le divin. Cela nécessite de changer complètement de perspective sur le Coran et sur l’histoire de l’islam. On peut évoquer devant un parterre de fidèles les descriptions quasi mythologiques d’un ange aux 600 paires d’ailes qui est aussi grand que les cieux et la terre réunis, qui apporte le Coran au Prophète.

Enseigner que toute vie, quelles que soient nos divergences, est plus sacrée que n’importe quel texte religieux

Aujourd’hui, il serait bien plus urgent et profitable d’expliquer à ces fidèles ce que signifie le sens même d’une révélation, d’une parole divine qui entre dans l’histoire humaine, du langage symbolique, voire mythique, que Dieu emploie à l’usage des humains, de la dimension relative et non absolue de l’expérience religieuse des premiers musulmans, de la construction humaine de l’islam en tant que religion instituée, de l’obsolescence programmée des canons juridiques qui doivent évoluer parallèlement à l’évolution des sociétés humaines.

Par-dessus tout, il faut leur apprendre que, coûte que coûte, Dieu a fait de la diversité humaine le reflet de ses attributs et que toute vie, quelles que soient nos divergences, est plus sacrée que n’importe quel texte religieux. Le chantier de l’éducation et de la formation est immense, il faut cesser de le confier à des architectes qui utilisent les plans d’un édifice en ruine.

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Omero Marongiu-Perria est sociologue et spécialiste de l’islam.

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