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Monde

Tunisie : pas de démocratie sans transparence !

Rédigé par Malek Metoui et Sofien Murat | Jeudi 2 Janvier 2014 à 06:00

           

Al Bawsala (la boussole, en arabe) est une organisation tunisienne née après la Révolution qui vise à contrôler les actes du Parlement et à en informer les citoyens. Un outil de transparence inédit pour accompagner le processus démocratique. Rencontre avec son directeur, Selim Kharrat.



Les élus doivent rendre des comptes, selon les militants d'Al Bawsala, une ONG tunisienne qui a pour objectif d'informer l'opinion publique du fonctionnement de l'Assemblée constituante (présence des députés, détail des votes, etc.).
Les élus doivent rendre des comptes, selon les militants d'Al Bawsala, une ONG tunisienne qui a pour objectif d'informer l'opinion publique du fonctionnement de l'Assemblée constituante (présence des députés, détail des votes, etc.).

Pouvez-vous présenter Al Bawsala ?

Selim Kharrat : Al Bawsala est une organisation qui a été fondée en 2012 par un groupe de jeunes qui voulaient mettre en place une démarche constructive après l’élection de l’Assemblée constituante en 2011. Pour la première fois de l’histoire tunisienne, une assemblée représentative avait été démocratiquement élue. Nous nous sommes donc intéressés à la question : Comment suivre ce que font les nouveaux députés ? L’objectif est d’éviter que ne se perpétuent les mauvaises habitudes du temps de la dictature, en poussant les élus à rendre des comptes. Notre travail consiste à diffuser gratuitement toutes les informations qui entrent au sein de l’Assemblée. En un an, nous avons réussi à publier plus de 300 procès-verbaux et nous contrôlons également l’assiduité des élus.

Cela ne revient-il pas, en quelque sorte, à « fliquer » les députés ?

Selim Kharrat : Un élu nous a dit en effet : « Nous avons l’impression d’être fliqués ! » Nous ne sommes pas des policiers, nous ne punissons pas les élus. Simplement nous informons l’opinion publique de ce qui se passe au niveau de l’Assemblée. Nous publions également le détail des votes. Nous avons réussi à en publier plus d’une soixantaine, tout en préservant l’anonymat des députés. Nous soulignons aussi la différence qui peut exister entre les discours et les actes, quand il s’agit de voter ou de prendre des décisions.

Quel intérêt y voyez-vous pour le citoyen tunisien ?

Selim Kharrat : Pour pouvoir prendre une décision et voter, le citoyen doit être informé. C’est la base de la démocratie. La Tunisie est dans une phase historique, nous allons établir une Constitution qui va façonner le pays. Si le citoyen ne s’intéresse pas maintenant à l‘Assemblée, quand le fera-t-il ?

Selim Kherrat, directeur d'Al Bawsala : « Sans nouvelle Constitution, nous ne pourrons pas avoir de nouvelles institutions, ni de nouveau gouvernement, ni de nouvelle majorité. »
Selim Kherrat, directeur d'Al Bawsala : « Sans nouvelle Constitution, nous ne pourrons pas avoir de nouvelles institutions, ni de nouveau gouvernement, ni de nouvelle majorité. »

Quels obstacles rencontrez-vous ?

Selim Kharrat : Nous avons conscience de nous attaquer à une véritable montagne. Car changer les mentalités prend du temps. Il faut d’abord une prise de conscience. Notre stratégie, notre moyen pour changer cette mentalité, c’est le plaidoyer. Le fait d’être en discussion permanente avec les élus, pour leur expliquer l’intérêt d’être transparent, les pousse à nous aider, à nous transmettre des documents. Nous avons été auditionnés par la commission en charge du règlement intérieur de l’Assemblée constituante. Nous lui avons présenté nos statistiques : sur les derniers mois (l'interview a été réalisée le 30 mars 2013, ndlr), les plénières commençaient, en moyenne, avec 73 minutes de retard et moins de 50 % des élus étaient présents. Si cela continue à ce rythme, les députés ne pourront pas respecter le délai fixé pour l’adoption d’une nouvelle Constitution (qui était prévue pour fin 2013, ndlr).

Avez-vous reçu des menaces à la suite de votre travail ?

Selim Kharrat : Non. Plutôt des réactions hostiles. Le doyen de l’Assemblée constituante nous a attaqués verbalement en séance plénière, prétextant que nous n’avions rien à faire là, que nous n’avions pas le droit d’être là. Des accusations qu’Al Bawsala réfute catégoriquement. Tout ce que nous demandons, c’est que mes élus terminent leur travail, le plus rapidement possible. Nous sommes en phase de transition et les enjeux sont très importants. Sans nouvelle Constitution, nous ne pourrons pas avoir de nouvelles institutions, ni de nouveau gouvernement, ni de nouvelle majorité.

Comment financez-vous vos activités ?

Selim Kharrat : Nous sommes financés par des ONG et des fondations internationales. Marsad, notre projet d’observatoire de l’Assemblée constituante, est financé par le réseau international Parliament Watch, qui est fondé sur le transfert de savoirs et de compétences, par notre partenaire allemand MCT (Media in Corporation and Transition), par le fonds GLS Bank et par des institutions américaines comme l’Open Society Institute et la National Endowment for Democracy.

Ne craignez-vous pas pour votre indépendance avec tous ces financements étrangers ?

Selim Kharrat : En Tunisie, il n’existe aucun cadre législatif pour le financement des organisations nationales. Ce n’est pas dans nos traditions. En soixante ans de dictature, le parti unique tunisien n’a fait que contrôler la société civile, les associations ou les ONG. Pas question pour nous d’accepter ces pratiques aujourd’hui. Elles ne garantiraient pas notre indépendance. Nous refusons également les fonds privés qui étaient en rapport avec les autorités sous la dictature. Nous n’avons pas la possibilité non plus, comme en France, de faire appel aux dons publics, ni Paypal ni système de collectes d’argent.

Quel regard portez-vous sur la transition démocratique ?

Selim Kharrat : Comme toute transition, nous connaissons des hauts et des bas. Nous sortons de soixante ans d’omerta et de tabous, une période pendant laquelle il n’y avait absolument pas de dialogue. Les Tunisiens se découvrent, certains apprennent qu’il y a des conservateurs, tandis que d’autres apprennent que les filles veulent sortir et faire la fête ou que la moitié du pays est mise à l’écart du développement économique. L’injustice sociale entre les régions est d’ailleurs une question urgente à traiter. Avec la chute de Ben Ali, nous avons vécu une première année euphorique, les médias se sont libérés. Ensuite, nous avons connu une phase de décroissance. Les gens sont déçus. Les partis politiques ont promis plein de choses, mais, à l’arrivée, ont surtout montré leur incapacité à résoudre les problèmes.

Existe-t-il d’autres organisations comme la vôtre en dehors de la Tunisie ?

Selim Kharrat : Nous faisons partie du mouvement mondial Opening Parliament qui regroupe 200 organisations exerçant une veille législative. Ensemble, nous avons rédigé une déclaration dans laquelle nous définissons les grandes lignes de ce qu’est un Parlement ouvert et les recommandations sur la transparence législative. En France, Regards Citoyens fait surtout de l’analyse de données, d’autres comme Questionnervosélus.org ont mis en place un système de questions-réponses entre élus et citoyens français. Nous avons été également sollicités par une association marocaine pour la création d’une organisation semblable à la nôtre au Maroc.

En savoir plus : www.albawsala.com






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